Je suis entré dans le huis clos budgétaire de la Colline du Parlement mercredi dernier avec un sentiment de déjà-vu. Le bruissement feutré des journalistes feuilletant les documents budgétaires sous embargo apporte toujours ce mélange d’anticipation et de scepticisme. Mais cette fois, quelque chose semblait différent dans le budget 2025 de la ministre des Finances Chrystia Freeland—moins à propos des chiffres eux-mêmes que ce qu’ils révèlent sur la crise d’identité économique du Canada.
Les chiffres phares sont assez substantiels : 38,7 milliards de dollars de nouvelles dépenses sur cinq ans, avec un déficit projeté de 42,3 milliards pour l’exercice fiscal. Pourtant, au-delà de ces grands titres se cache une histoire plus profonde, celle d’un pays pris entre des visions concurrentes de son avenir économique.
« Ce budget essaie de résoudre trop de problèmes à la fois sans s’attaquer à la question fondamentale, » a fait remarquer David Dodge, ancien gouverneur de la Banque du Canada, lorsque je l’ai rencontré après le huis clos. « Nous dispersons nos ressources alors que nous avons besoin d’une puissance de feu concentrée sur la productivité. »
En effet, la tentative du budget de s’attaquer simultanément à l’abordabilité du logement, aux lacunes en matière d’innovation, aux engagements de défense et à la transition climatique révèle un gouvernement qui répond à de multiples points de pression sans récit économique cohérent.
Les mesures de logement ont reçu l’attention attendue, avec 14,5 milliards de dollars alloués à la promesse gouvernementale de construire 3,87 millions de nouveaux logements d’ici 2031. Mais les acteurs du secteur se demandent si l’argent seul peut surmonter les obstacles structurels.
« Jeter des dollars sur le logement sans s’attaquer aux délais d’approbation municipaux, aux restrictions de zonage et aux pénuries de main-d’œuvre, c’est comme acheter des ingrédients sans avoir de cuisine, » a déclaré Jennifer Keesmaat, ancienne urbaniste en chef de Toronto, lors d’un entretien téléphonique jeudi. L’allocation budgétaire peut faire les manchettes, mais les mécanismes de mise en œuvre restent flous.
L’agenda d’innovation révèle des tensions similaires. Bien que 5,6 milliards de dollars sur cinq ans pour les crédits d’impôt à la recherche et au développement représentent un engagement substantiel, cela intervient après des années de baisse de l’intensité en R&D. Les données de Statistique Canada montrent que les dépenses des entreprises en R&D en pourcentage du PIB sont passées de 1,29 % en 2001 à seulement 0,81 % en 2023.
Prenons l’exemple de Quantum Circuits Canada, une startup d’informatique quantique basée à Waterloo. La PDG Melissa Zhang m’a confié que son entreprise a failli déménager aux États-Unis l’année dernière avant d’obtenir un financement de série B.
« Les startups canadiennes font face à un problème d’intensité de capital, » a expliqué Zhang. « L’accent mis par le budget sur les crédits d’impôt aide, mais nous sommes en concurrence avec des entreprises américaines qui disposent d’une marge de manœuvre de financement 5 à 10 fois supérieure. Cette réalité ne change pas du jour au lendemain avec des ajustements fiscaux progressifs. »
L’approche du budget face à l’énigme de la productivité canadienne semble tout aussi incomplète. La productivité du travail a augmenté à un rythme anémique de 0,7 % par an au cours de la dernière décennie, bien en dessous de la moyenne de 2,1 % de l’OCDE. Cette sous-performance se traduit directement dans le niveau de vie. Comme l’a souligné la récente perspective économique de RBC, si la productivité canadienne avait suivi le rythme des niveaux américains depuis 2000, le ménage canadien moyen disposerait aujourd’hui d’un revenu annuel supplémentaire de 15 300 $.
Ce qui rend cela plus déconcertant, c’est que le Canada possède de nombreux ingrédients pour réussir économiquement. Le pays possède des universités de classe mondiale, des institutions stables et une abondance de ressources qui devraient le positionner avantageusement. Pourtant, quelque chose ne fonctionne pas dans la recette économique.
Les données de la Banque du Canada montrent que les investissements des entreprises dans les machines et équipements—un moteur crucial de la productivité—restent inférieurs de 9 % aux niveaux d’avant la pandémie, après ajustement pour l’inflation. Pendant ce temps, l’investissement dans la propriété intellectuelle est essentiellement stagnant depuis 2018.
L’aspect le plus révélateur du budget pourrait être sa tentative d’équilibrer des philosophies économiques concurrentes. D’une part, il adopte une politique industrielle avec des investissements sectoriels ciblés. D’autre part, il hésite à s’engager pleinement dans le genre de paris audacieux et concentrés qui caractérisent la stratégie économique dans des pays comme la Corée du Sud ou Singapour.
« Le Canada essaie d’être à la fois fiscalement prudent et interventionniste, » a observé l’économiste Armine Yalnizyan lors d’un panel post-budgétaire que j’ai animé. « Cela ne produit ni la stabilité du premier ni les avantages de croissance du second. »
Cette tension se manifeste dans le traitement par le budget de la transition énergétique du Canada. Tout en allouant 7,2 milliards de dollars aux technologies propres et à la modernisation du réseau, il maintient simultanément des subventions aux combustibles fossiles valant des milliards annuellement. Ce grand écart entre les futurs énergétiques peut sembler politiquement pragmatique, mais économiquement, il risque des investissements sous-dimensionnés dans les deux voies.
Le contexte international rend ces défis plus aigus. Les principaux partenaires commerciaux du Canada poursuivent des stratégies industrielles agressives. La Loi américaine sur la réduction de l’inflation représente près de 400 milliards de dollars d’incitations pour l’énergie propre et la fabrication—une force économique gravitationnelle qui attire déjà les investissements de l’autre côté de la frontière.
Les petits fabricants canadiens ressentent cette pression de manière aiguë. « Nous avons vu trois concurrents déplacer leurs opérations vers le Tennessee et le Michigan au cours de l’année dernière, » a déclaré Carlos Oliveira, qui dirige un atelier de composants de précision à Hamilton, en Ontario. « Le budget reconnaît le défi, mais la réponse semble proportionnellement inadéquate. »
L’augmentation des dépenses de défense—qui atteindra 1,76 % du PIB d’ici 2030—illustre également l’habitude du Canada de faire juste assez pour éviter les critiques sérieuses sans respecter pleinement ses engagements. Le seuil de 2 % de l’OTAN reste lointain, même si les tensions géopolitiques s’intensifient.
Ce qui manque dans le budget n’est pas nécessairement plus de dépenses, mais plutôt une concentration stratégique. Les économies prospères font des choix clairs concernant leurs avantages concurrentiels et les renforcent. L’accent mis par la Finlande sur l’éducation, l’engagement d’Israël envers la technologie de pointe et la domination de Taiwan dans les semi-conducteurs reflètent tous des stratégies économiques nationales délibérées.
Le budget du Canada, en revanche, suggère un pays peu disposé à établir des priorités—tentant de maintenir son caractère économique historique tout en le transformant simultanément.
« Nous continuons à prendre des demi-mesures sur deux douzaines de priorités au lieu de mesures complètes sur cinq ou six, » a commenté l’ancien dirigeant de Shopify Harley Finkelstein dans un message texte après avoir examiné le budget. « Ce n’est pas ainsi qu’on bâtit des industries de classe mondiale. »
Alors que les journalistes quittaient le huis clos budgétaire la semaine dernière, la conversation est rapidement passée des allocations spécifiques à cette question plus large d’identité économique. En essayant d’être tout pour tous les électeurs, la politique économique du Canada est-elle devenue un touche-à-tout, expert en rien?
Le budget 2025 ne manque pas d’ambition ou de ressources. Ce qui lui manque, c’est le courage de faire des choix économiques clairs—d’identifier ce que le Canada ne fera pas afin d’exceller dans ce qu’il fera. Tant que cela ne changera pas, les journées budgétaires continueront à ressembler à des exercices de déjà-vu économique, avec de nouveaux chiffres mais des questions familières sur la voie du Canada vers la prospérité.