J’ai passé les trois derniers jours à parler avec des postiers dans toute la ville d’Ottawa alors que Postes Canada dévoilait cette semaine son plan de refonte complet. Le moment ne pourrait être plus litigieux, survenant juste au moment où des grèves tournantes frappent les installations postales partout au pays.
« Nous luttons pour nos emplois pendant qu’ils planifient notre remplacement« , m’a confié Darlene Michaels, factrice depuis 17 ans, lors de notre conversation devant l’usine de traitement du courrier d’Ottawa mardi matin.
La stratégie « Livrer pour les Canadiens » récemment publiée par la société d’État présente une transformation quinquennale qui remodèlerait fondamentalement les services postaux dans tout le pays. Le plan est arrivé sur le bureau du ministre des Services publics, Jean-Yves Duclos, en plein conflit de travail avec le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP).
Selon les documents obtenus de Postes Canada, cette refonte comprend la réduction de la fréquence de livraison à domicile à trois jours par semaine dans les zones urbaines, la consolidation de 1 400 bureaux de poste ruraux en 700 centres régionaux, et l’expansion des services numériques comme la gestion en ligne des colis. La société projette que ces changements pourraient réduire les coûts d’exploitation de 1,2 milliard de dollars par an d’ici 2029.
Maria Santos, porte-parole de Postes Canada, a confirmé l’authenticité du plan lorsque je l’ai contactée hier. « Ces changements proposés reflètent la réalité économique du déclin des volumes de courrier et de la concurrence croissante dans le secteur de la livraison de colis« , a-t-elle expliqué. « Sans restructuration significative, Postes Canada fait face à un déficit projeté de 2,7 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. »
La proposition a touché une corde sensible chez les postiers déjà engagés dans des actions syndicales. Lors des assemblées communautaires auxquelles j’ai assisté cette semaine à Kanata et Orléans, les travailleurs des postes ont exprimé leur frustration face à ce que beaucoup considèrent comme une négociation de mauvaise foi.
Doug Carson, président de la section locale d’Ottawa du STTP, n’a pas mâché ses mots lorsque nous nous sommes rencontrés dans un Tim Hortons près de la Colline du Parlement. « Ils utilisent une crise fabriquée pour justifier l’éviscération d’un service public sur lequel les Canadiens comptent« , a déclaré Carson, en pointant sa copie tachée de café de la proposition. « Les communautés rurales seront les plus durement touchées par ces fermetures. »
Les chiffres suggèrent qu’il a raison. Les données de Statistique Canada montrent que 22 % des Canadiens ruraux dépendent encore fortement des services postaux pour leurs communications essentielles, contre seulement 8 % dans les centres urbains. La consolidation proposée signifierait que certains résidents ruraux devraient parcourir jusqu’à 40 kilomètres pour atteindre leur bureau de poste le plus proche.
En me promenant dans le quartier du Glebe hier après-midi, je me suis arrêté pour discuter avec des propriétaires de petites entreprises qui dépendent d’un service postal régulier. Marianne Chang, qui dirige la boutique Birling Skateboard, a exprimé ses inquiétudes concernant les changements proposés.
« Mon entreprise dépend de délais d’expédition prévisibles« , m’a confié Chang tout en organisant une étagère de nouvelles marchandises. « Si la livraison devient moins fréquente, je devrai passer à des transporteurs privés, ce qui coûte plus cher. Ces coûts sont répercutés sur les clients. »
Cette refonte représente la restructuration la plus importante de Postes Canada depuis 2013, lorsque le gouvernement précédent avait tenté d’éliminer complètement la livraison à domicile – un plan qui a été abandonné suite au tollé public.
Le bureau du ministre Duclos a publié mercredi une déclaration prudente, accusant réception de la proposition tout en soulignant que « tout changement à ce service essentiel doit équilibrer la responsabilité fiscale avec les besoins de tous les Canadiens, particulièrement les populations vulnérables et celles des communautés rurales. »
La politique entourant les services postaux reste délicate. Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, a noté dans sa mise à jour fiscale du dernier trimestre que, bien que Postes Canada ait connu cinq années consécutives de pertes totalisant 779 millions de dollars, son activité de colis a augmenté de 23 % pendant la même période.
« Le défi n’est pas que Postes Canada ne peut pas être rentable », a expliqué Giroux lors d’un briefing médiatique auquel j’ai assisté le mois dernier. « C’est que son mandat de fournir un service universel à des tarifs uniformes crée des inefficacités structurelles que les concurrents privés n’ont pas à affronter. »
Le STTP a riposté avec sa propre vision de la transformation postale, « Livrer le pouvoir communautaire », qui propose d’étendre les services pour inclure des services bancaires postaux dans les communautés mal desservies et de convertir la flotte de livraison en véhicules électriques.
Lorsque j’ai parlé avec Dr. Jasmine Thomas, professeure de politique publique à l’Université Carleton, elle a souligné le contexte international. « De nombreux services postaux dans le monde se diversifient – la Deutsche Post allemande a réussi à intégrer des services bancaires et numériques tout en maintenant des normes de livraison« , a expliqué Thomas depuis son bureau surplombant le canal Rideau.
Alors que les premières neiges d’Ottawa tombaient hier, j’ai regardé des facteurs patauger dans la gadoue pour terminer leurs tournées. Le temps semblait approprié pour l’accueil glacial qu’a reçu le plan de refonte.
Pour les Canadiens ordinaires comme Gérard Tremblay, un enseignant à la retraite que j’ai rencontré au bureau de poste du centre commercial Westgate, le débat transcende la politique. « J’envoie encore des cartes d’anniversaire à mes petits-enfants et je reçois mes médicaments par la poste« , m’a-t-il confié tout en apposant soigneusement des timbres sur des cartes de Noël. « Tout ne devrait pas être une question de rentabilité. »
Le gouvernement devrait répondre à la proposition d’ici la mi-décembre, juste au moment où la ruée du courrier des Fêtes atteindra son apogée. Quelle que soit la décision qui en émergera, elle façonnera non seulement l’avenir de Postes Canada, mais aussi le rythme quotidien des communautés à travers le pays.