Quand Grégoire Tremblay reste éveillé à 3 heures du matin, ses jambes pulsent d’une douleur familière qui le suit depuis l’Afghanistan. Ce vétéran de 42 ans a essayé presque tous les traitements disponibles pour ses blessures chroniques aux jambes, développées durant ses trois missions avec les Forces canadiennes. Mais aujourd’hui, la thérapie qui lui a enfin apporté un soulagement—la thérapie par ondes de choc—a été jugée « expérimentale » par Anciens Combattants Canada (ACC), laissant des milliers d’anciens militaires dans l’incertitude.
« C’est la seule chose qui a fonctionné, » me confie Tremblay alors que nous sommes assis dans son salon à Edmonton. Les murs sont décorés de photos de sa carrière militaire à côté des dessins de ses enfants. « Sans ça, je reviens aux médicaments quotidiens contre la douleur qui embrument mon esprit et m’empêchent d’être présent pour ma famille. »
Tremblay n’est pas seul. Environ 4 000 vétérans qui utilisent actuellement la thérapie par ondes de choc pour des blessures allant de la fasciite plantaire aux affections chroniques de l’épaule font maintenant face à l’incertitude après la récente décision d’ACC de restreindre sévèrement la couverture de ce traitement.
La thérapie par ondes de choc utilise des ondes de pression acoustiques pour stimuler la guérison des tissus endommagés. Cette procédure non invasive est utilisée au Canada depuis plus de vingt ans et est couverte par de nombreux régimes de santé provinciaux et assureurs privés. Mais le 15 mars, ACC a annoncé qu’il ne couvrirait le traitement que pour deux conditions spécifiques—la tendinite calcifiante et la fasciite plantaire—et seulement après l’échec d’autres traitements.
Cette décision a créé ce que Suzanne Marchand, directrice clinique des Services de santé pour vétérans à Calgary, appelle « une parfaite tempête d’échec bureaucratique. »
« Ce ne sont pas des traitements expérimentaux, » explique Marchand en me montrant l’installation clinique où les vétérans reçoivent des soins. « La littérature scientifique soutenant la thérapie par ondes de choc pour diverses affections musculo-squelettiques est solide. Santé Canada a approuvé ces appareils il y a des années. »
En effet, une revue systématique de 2021 publiée dans le Journal of Rehabilitation Medicine a trouvé des preuves modérées à fortes soutenant la thérapie par ondes de choc pour de nombreuses affections courantes chez les vétérans, y compris les blessures de la coiffe des rotateurs et la tendinopathie rotulienne. L’Association canadienne de physiothérapie a également exprimé son soutien quant à l’efficacité du traitement.
Lorsque j’ai contacté Anciens Combattants Canada au sujet de la décision, le porte-parole Michel Doiron a souligné que le ministère suit une « approche fondée sur des preuves » pour déterminer la couverture. « Nous révisons continuellement nos politiques pour nous assurer que les vétérans reçoivent le plus haut standard de soins, » a écrit Doiron dans une déclaration envoyée par courriel. Mais les défenseurs des vétérans remettent en question ce raisonnement.
« Ça ressemble plus à une mesure de réduction des coûts qu’à une décision fondée sur des preuves, » affirme Bernard McKenzie, directeur de l’Alliance des vétérans du Canada, un groupe de défense qui a recueilli plus de 1 200 signatures sur une pétition demandant l’annulation de cette politique. « Si ça fonctionne pour ces vétérans—dont beaucoup ont tout essayé—pourquoi le leur retirer? »
Pour de nombreux vétérans, cette décision représente quelque chose de plus profond qu’un simple changement de politique. L’ancienne militaire Sarah Lacroix, qui a servi en Bosnie et vit maintenant avec des douleurs chroniques à la hanche et au dos, y voit une autre promesse brisée.
« Quand on s’est engagés à servir, on nous a promis des soins à vie, » dit Lacroix, la voix légèrement brisée alors que nous parlons lors d’une réunion de soutien aux vétérans dans le nord d’Edmonton. « Maintenant, on nous dit que notre douleur n’a pas d’importance, ou qu’il faut d’abord essayer plus de pilules. C’est démoralisant. »
L’impact s’étend au-delà de la santé physique. Dr. Rajan Gupta, spécialiste de la douleur qui traite des vétérans à la Clinique de transition militaire d’Edmonton, met en garde contre les implications plus larges.
« Beaucoup de ces vétérans luttent déjà contre des problèmes de santé mentale, » explique le Dr. Gupta. « Quand nous supprimons des options efficaces de gestion de la douleur, nous risquons d’exacerber la dépression, l’anxiété et même les idées suicidaires. La douleur et la santé mentale sont intrinsèquement liées. »
Les données de Statistique Canada montrent que les vétérans sont déjà à risque élevé de douleur chronique et de problèmes de santé mentale, avec 41% signalant des douleurs chroniques contre 27% de la population générale.
La frustration parmi les vétérans est aggravée par ce qu’ils perçoivent comme un décalage entre l’engagement déclaré d’ACC envers des soins fondés sur des preuves et cette récente décision. Le Journal de l’Association médicale canadienne a publié une étude en 2019 indiquant que la thérapie par ondes de choc montre des promesses particulières pour les patients qui n’ont pas répondu aux traitements conventionnels—précisément la situation dans laquelle se trouvent de nombreux vétérans.
Pour les prestataires comme le Centre médical Healthpointe, qui traite des centaines de vétérans en Alberta, la décision crée des défis à la fois médicaux et commerciaux. Dr. Amol Deshpande, directeur médical chez Healthpointe, estime que les traitements des vétérans représentent environ 15% de leurs cas de thérapie par ondes de choc.
« Nous sommes pris entre deux feux, » dit le Dr. Deshpande. « Nous savons que le traitement fonctionne pour ces patients, mais maintenant nous devons soit les refuser, soit leur demander de payer de leur poche des soins auxquels ils avaient droit auparavant. »
Certaines cliniques continuent de fournir la thérapie à des tarifs réduits pendant que la politique est contestée, mais cette solution n’est pas viable à long terme.
Les groupes de défense des vétérans se sont mobilisés rapidement. La Légion royale canadienne a écrit à la ministre des Anciens Combattants Ginette Petitpas Taylor demandant une révision immédiate de la décision, tandis que des organisations locales plus modestes recueillent des témoignages personnels des vétérans affectés.
Pour Grégoire Tremblay, la question transcende la politique. Alors que la soirée s’installe sur sa maison d’Edmonton et que les devoirs de ses enfants reposent sur la table de cuisine, il réfléchit à ce qui est en jeu.
« Je veux juste pouvoir entraîner l’équipe de soccer de mon fils sans être à l’agonie le lendemain, » dit-il, en frottant distraitement sa jambe. « Est-ce vraiment trop demander après ce que nous avons donné pour ce pays? »
Alors que les vétérans attendent une réponse d’ACC, beaucoup se demandent si leurs sacrifices liés au service sont vraiment valorisés au-delà de la reconnaissance cérémonielle. La décision sur la thérapie par ondes de choc peut sembler technique par nature, mais pour des milliers de vétérans, elle représente quelque chose de bien plus fondamental : une promesse de soins qui paraît de plus en plus conditionnelle.