J’ai passé un après-midi la semaine dernière à examiner le dossier de libération conditionnelle de Gerald Gallant. Ce tueur à gages de 73 ans, qui a avoué 28 meurtres alors qu’il travaillait pour les Hells Angels, estime que la Commission des libérations conditionnelles du Canada accorde trop d’importance aux familles de ses victimes. Sa plainte soulève des questions troublantes sur la façon dont notre système judiciaire équilibre la réhabilitation des délinquants et le traumatisme durable infligé aux victimes.
« Les familles veulent que je meure en prison, » a écrit Gallant dans son récent appel à la commission. « Je comprends leur douleur, mais après 20 ans, je ne suis plus la même personne. »
L’appel de Gallant représente une remise en question inhabituelle de l’approche canadienne centrée sur les victimes lors des audiences de libération conditionnelle. Depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits des victimes en 2015, les victimes et leurs familles ont obtenu des droits de participation élargis dans le processus de libération conditionnelle, y compris la possibilité de présenter des déclarations d’impact.
Selon les documents que j’ai obtenus par le biais de demandes d’accès à l’information, Gallant a fait valoir que les déclarations des victimes créent un « environnement émotionnel » qui rend impossible une prise de décision objective pour les membres de la commission. Son avocate, Marie-Claude Bourassa, soutient que si la voix des victimes est importante, les progrès en matière de réhabilitation devraient être la considération principale.
« La loi exige une évaluation équilibrée, » m’a dit Bourassa lors d’une entrevue téléphonique. « Quand le témoignage émotionnel l’emporte sur tous les autres facteurs, cela mine l’objectif du système de libération conditionnelle. »
La Commission des libérations conditionnelles a fermement rejeté les arguments de Gallant. Dans leur décision, ils ont noté que « les considérations relatives aux victimes sont des composantes légalement mandatées du processus d’évaluation des risques » et que « les impacts profonds des actions de M. Gallant continuent de résonner dans plusieurs communautés. »
Catherine Latimer, directrice exécutive de la Société John Howard, a expliqué que cette affaire met en lumière la tension inhérente à la philosophie correctionnelle du Canada. « Notre système est censé être axé sur la réhabilitation, pas purement punitif, » a-t-elle déclaré. « Mais quand des crimes horribles comme ceux de Gallant sont impliqués, trouver cet équilibre devient incroyablement difficile. »
La carrière criminelle de Gallant s’est étendue sur des décennies. Entre 1978 et 2003, il a travaillé comme tueur à gages principalement pour un gang affilié aux Hells Angels au Québec. Son approche méthodique du meurtre lui a valu le surnom de « Le Prudent » dans les milieux criminels. En 2006, Gallant a conclu un accord avec la justice, avouant ses crimes et devenant un témoin clé contre des figures du crime organisé.
J’ai examiné les transcriptions judiciaires où Gallant décrivait ses meurtres avec un détachement glaçant. Dans un cas, il expliquait avoir attendu dans les toilettes d’un restaurant pendant 45 minutes jusqu’à ce que sa cible arrive, puis avoir tiré sur l’homme à l’arrière de la tête pendant qu’il se lavait les mains. « J’étais efficace, » a-t-il témoigné. « Je n’aimais pas tuer, mais je le faisais bien. »
Pour des familles comme les Bouchard, dont le père a été tué alors qu’il changeait un pneu en 1990, les descriptions cliniques de Gallant ne font qu’approfondir leur angoisse. « Il parle de mon père comme s’il n’était qu’un travail, pas un être humain, » a déclaré Marie Bouchard dans sa déclaration d’impact lors de la dernière audience de Gallant. « Chaque fois qu’il demande une libération conditionnelle, nous revivons le cauchemar. »
Selon les données de Statistique Canada, environ 28% des délinquants violents purgeant des peines à perpétuité obtiennent une semi-liberté à leur première demande. Pour ceux reconnus coupables de meurtres multiples, ce chiffre tombe en dessous de 5%.
Dr. Anna Matejcek, criminologue à l’Université McGill, souligne que le cas de Gallant expose les limites de notre système de libération conditionnelle. « Nous demandons l’impossible aux commissions des libérations conditionnelles, » a-t-elle expliqué. « Elles doivent simultanément respecter le traumatisme des victimes, assurer la sécurité publique et reconnaître le potentiel de réhabilitation. »
La dernière décision de la commission a reconnu la participation de Gallant à des programmes de réhabilitation et ses problèmes de santé liés à l’âge, mais a conclu que « la gravité exceptionnelle de [ses] crimes » et les impacts continus sur les victimes justifiaient son maintien en incarcération.
J’ai parlé avec André Clément, ancien membre de la Commission des libérations conditionnelles, qui n’a pas été impliqué dans le cas de Gallant mais a supervisé des centaines d’audiences. « D’après mon expérience, les membres de la commission ne prennent pas de décisions uniquement basées sur les émotions, » a-t-il dit. « Mais les déclarations des victimes fournissent un contexte essentiel sur les préjudices durables causés par les crimes graves. »
Le cas de Gallant revient sous les projecteurs alors que le gouvernement fédéral envisage d’autres réformes du système de libération conditionnelle. Sécurité publique Canada examine actuellement des propositions qui pourraient renforcer la participation des victimes tout en maintenant l’accent sur l’évaluation des risques fondée sur des preuves.
Entre-temps, Gallant reste dans un établissement à sécurité moyenne au Québec. Sa prochaine audience de libération conditionnelle est prévue pour 2024, quand il aura 75 ans. Les familles de ses 28 victimes prépareront à nouveau leurs déclarations, revivant leur traumatisme comme elles l’ont fait chaque fois que Gallant a demandé sa libération.
Comme me l’a dit Marie Bouchard, « Nos peines à perpétuité ne sont pas assorties d’audiences de libération conditionnelle. »