L’incident a commencé discrètement. Une professeure de l’Université de Calgary a vu son panel sur les droits de la personne en Chine soudainement reporté sans véritable explication. Quelques semaines plus tôt, des représentants diplomatiques avaient exprimé des « préoccupations » concernant l’événement auprès de l’administration.
« On ne m’a pas directement demandé d’annuler, » explique Dre Amelia Wong, organisatrice du panel qui devait accueillir des militants pro-démocratie de Hong Kong. « Mais le message était clair à travers les canaux bureaucratiques—cela devenait problématique pour l’université. »
J’ai passé le mois dernier à enquêter sur des cas similaires dans les campus canadiens, examinant des courriels internes obtenus grâce aux demandes d’accès à l’information et interrogeant plus d’une douzaine d’universitaires et d’administrateurs. Ce qui émerge est un inquiétant modèle de pressions étrangères qui remodèlent le discours académique dans nos universités.
Des documents judiciaires d’une récente affaire devant la Cour fédérale révèlent qu’au moins trois grandes universités canadiennes ont conclu des accords de partenariat avec des entités étrangères contenant des clauses restreignant certains sujets de recherche ou discussions publiques. Ces restrictions sont souvent associées à des financements lucratifs ou à des programmes d’échange d’étudiants.
« Nous observons des opérations d’influence sophistiquées ciblant nos institutions académiques, » explique Thomas Kirkwood, chercheur principal au Citizen Lab, l’organisme de surveillance des droits numériques de l’Université de Toronto. « Les méthodes vont des conditions de financement directes à des formes plus subtiles de pression sur la direction des universités. »
L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université a documenté 37 cas depuis 2019 où des membres du corps professoral ont signalé avoir subi des pressions pour modifier le contenu de leurs cours ou leurs orientations de recherche suite à des plaintes de responsables étrangers ou de donateurs. Dans près de la moitié de ces cas, la pression est venue par le biais des administrateurs universitaires plutôt que directement aux professeurs.
Un cas particulièrement préoccupant concernait un professeur de l’Université de Montréal dont le renouvellement de subvention a été retardé après la publication d’un article sur les transferts de technologies militaires mentionnant plusieurs régimes autoritaires. Ce professeur, qui a demandé l’anonymat par crainte de répercussions professionnelles, a partagé des courriels montrant comment les partenaires financiers avaient remis en question la « sensibilité politique » de la recherche.
La question s’étend au-delà des sujets de recherche jusqu’aux discussions en classe. David Chen, chargé de cours en sciences politiques à l’Université de la Colombie-Britannique, a décrit comment les plaintes d’étudiants concernant des discussions « inconfortables » sur les violations des droits de la personne passaient de plus en plus par des responsables consulaires plutôt que par les voies académiques habituelles.
« Des étudiants m’ont confié se sentir surveillés en classe, » m’a expliqué Chen. « Certains craignent que leur participation à certaines discussions puisse les suivre, eux ou leurs familles, jusque dans leur pays d’origine. »
Ces préoccupations ne sont pas théoriques. Un rapport de 2022 du Service canadien du renseignement de sécurité avertissait que l’ingérence étrangère dans les milieux universitaires représente « une menace importante pour l’intégrité de notre écosystème de recherche. » Le rapport, que j’ai examiné en entier, détaille comment les États autoritaires ciblent des domaines de recherche stratégiques, notamment l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et le développement de vaccins.
L’ancienne juge de la Cour suprême Beverly McLachlin, lors d’une récente conférence sur la liberté académique, a souligné les dimensions constitutionnelles. « L’article 2(b) de notre Charte protège la liberté d’expression, qui inclut la liberté académique, » a-t-elle noté. « Quand nous permettons à l’influence étrangère de compromettre ces libertés, nous minons un principe fondamental de notre démocratie. »
Les incitatifs financiers poussant les universités à maintenir ces relations sont considérables. Les données gouvernementales montrent que les inscriptions d’étudiants internationaux ont plus que doublé au cours de la dernière décennie, apportant plus de 22 milliards de dollars par an à l’économie canadienne. De nombreuses universités dépendent désormais des frais de scolarité internationaux pour leurs budgets de fonctionnement.
« Les administrateurs universitaires sont pris dans une situation impossible, » explique Maria Santos, directrice des politiques au Centre d’études en politiques internationales. « Ils font face à des réductions de financement gouvernemental tout en devant maintenir une recherche et un enseignement de classe mondiale. Les partenariats internationaux aident à combler ce déficit. »
J’ai examiné les états financiers de cinq grandes universités canadiennes et découvert que entre 17% et 31% de leurs budgets de fonctionnement proviennent maintenant des frais des étudiants internationaux et des partenariats de recherche avec des entités étrangères. Cette dépendance financière crée des vulnérabilités institutionnelles.
Le gouvernement fédéral a commencé à reconnaître ces risques. En mars, le ministère de la Sécurité publique a lancé une consultation sur la protection de la recherche contre l’ingérence étrangère, tandis qu’Innovation, Sciences et Développement économique Canada a introduit de nouvelles directives pour la collaboration internationale en recherche.
« Nous sommes en train de rattraper notre retard, » admet un haut fonctionnaire qui a demandé l’anonymat pour parler franchement. « D’autres pays comme l’Australie ont mis en œuvre des mesures de sécurité de la recherche il y a des années, alors que nous avons adopté une approche plus détachée jusqu’à récemment. »
Les groupes universitaires réclament des protections plus fortes. L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université a proposé une législation similaire à la loi australienne sur les relations étrangères, qui oblige les universités à divulguer leurs arrangements avec l’étranger et permet au gouvernement d’examiner les partenariats potentiellement problématiques.
« La liberté académique ne concerne pas seulement la protection des professeurs, » soutient James Turk, directeur du Centre pour la liberté d’expression de l’Université métropolitaine de Toronto. « Il s’agit de garantir que les Canadiens aient accès à des connaissances non censurées par des gouvernements étrangers ou des intérêts commerciaux. »
Les solutions nécessiteront d’équilibrer ouverture et sécurité. Les experts recommandent la création de mécanismes de signalement clairs pour les tentatives d’ingérence, l’établissement de bureaux de sécurité de la recherche dans les universités et des accords de financement qui protègent explicitement la liberté académique.
En terminant les entrevues pour cet article, j’ai reçu une mise à jour de Dre Wong. Son panel sur les droits de la personne a finalement été reprogrammé, mais avec un soutien institutionnel nettement moindre et dans une salle plus petite. Trois conférenciers invités ont décliné l’invitation à participer à l’événement reprogrammé.
« C’est comme ça que ça fonctionne, » m’a-t-elle confié. « Pas par une censure évidente, mais par des frictions bureaucratiques et des pressions subtiles qui rendent certains sujets plus difficiles à aborder. »
Pour l’enseignement supérieur canadien, le défi à venir exige de reconnaître que la liberté académique nécessite une protection active, même dans une société qui considère la liberté d’expression comme acquise. Sans garanties délibérées, les espaces de questionnement critique—particulièrement sur des sujets sensibles pour les régimes autoritaires—pourraient progressivement se rétrécir, non pas par une confrontation dramatique mais par l’érosion silencieuse du courage institutionnel.