Les couloirs d’un blanc éclatant de l’Hôpital Général de Montréal ne m’ont jamais particulièrement évoqué un champ de bataille—jusqu’à mardi dernier. C’est ce jour-là que j’ai interviewé la Dre Elena Mikhailov, qui a servi comme médecin de combat avant de devenir urgentologue au Canada.
« Notre système de santé fonctionne à 110% de sa capacité n’importe quel jour, » m’a confié la Dre Mikhailov, examinant sa tasse de café comme si elle contenait la solution à nos défis de santé. « Le concept de capacité d’appoint n’existe pratiquement plus. »
Ses préoccupations ne sont pas isolées. Au cours des trois derniers mois, j’ai enquêté sur l’état de préparation médicale du Canada face aux urgences de grande envergure—plus précisément, si notre infrastructure de soins de santé pourrait résister aux exigences d’un conflit international impliquant les forces canadiennes.
La question n’est pas simplement théorique. Nos engagements envers l’OTAN et l’instabilité mondiale croissante rendent prudent l’examen des vulnérabilités de nos infrastructures critiques. Les soins de santé sont au premier plan de ces préoccupations.
« Dans un scénario de guerre, les hôpitaux civils devraient accueillir à la fois les urgences habituelles et les blessés liés au conflit, » a expliqué le Colonel Jean-Paul Savard des Services de santé des Forces canadiennes. « Notre système actuel manque de redondance. »
Les chiffres racontent une histoire troublante. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, le Canada dispose d’environ 2,5 lits d’hôpital pour 1 000 personnes—bien en dessous de la moyenne de l’OCDE de 4,7. Lorsque j’ai examiné les temps d’attente aux urgences dans cinq provinces, la moyenne était de 3,7 heures avant une première évaluation médicale.
La Dre Samantha Wong, présidente du Comité de préparation aux situations d’urgence de l’Association médicale canadienne, m’a partagé des évaluations internes qui dressent un tableau préoccupant. « Nos systèmes d’inventaire juste-à-temps pour les produits pharmaceutiques et les fournitures médicales laissent une marge minimale pour les perturbations, » a-t-elle expliqué. « Pendant la COVID, nous avons dû nous débrouiller pour l’ÉPI. Dans un conflit prolongé, nous ferions face à des pénuries critiques de tout, des antibiotiques aux produits sanguins. »
Le problème va au-delà des fournitures. Lors de ma visite au Centre des sciences de la santé Queen Elizabeth II d’Halifax, le gestionnaire des soins infirmiers Thomas Reid m’a expliqué leurs défis de planification du personnel. « Nous sommes constamment en sous-effectif, » a-t-il confié. « Nos infirmières font régulièrement des doubles quarts. Dans un scénario de crise, qui couvrirait la demande supplémentaire? »
J’ai examiné les directives de Santé Canada sur la préparation et l’intervention d’urgence et les ai trouvées complètes pour les catastrophes naturelles et les épidémies, mais notablement légères sur les scénarios de conflits armés. Le document ne contenait que trois paragraphes traitant des « incidents de sécurité internationale » avec des protocoles d’action limités.
Le contexte historique est important. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Canada a rapidement étendu sa capacité de soins de santé, établissant des hôpitaux militaires dédiés et des programmes de formation. L’environnement médical complexe d’aujourd’hui rend une telle expansion rapide beaucoup plus difficile.
« La spécialisation médicale s’est intensifiée, » a expliqué le Dr Richard Chen, historien médical à l’Université McGill. « Dans les années 1940, un médecin généraliste pouvait traiter de nombreuses blessures de guerre. Aujourd’hui, nous avons besoin de chirurgiens traumatologues, de neurochirurgiens, de spécialistes vasculaires—du personnel hautement qualifié qui prend des années à former. »
La répartition géographique de nos ressources de santé présente une autre vulnérabilité. En Saskatchewan rurale, j’ai parlé avec la Dre Margaret Ouellet, qui dessert une communauté de 8 000 personnes réparties sur des centaines de kilomètres.
« Nous sommes déjà isolés en termes d’accès aux spécialités, » a-t-elle déclaré. « Si l’infrastructure de transport était compromise pendant un conflit, des régions entières pourraient perdre l’accès aux soins critiques. »
Le rapport du Citizen Lab sur la sécurité des infrastructures critiques canadiennes a identifié les soins de santé comme particulièrement vulnérables aux perturbations physiques et cybernétiques. Leurs tests ont révélé que 37% des établissements de santé canadiens échantillonnés présentaient des vulnérabilités de sécurité exploitables.
« Un adversaire sophistiqué ciblerait les systèmes de santé dès le début de tout conflit, » a averti l’expert en cybersécurité Omar Khatib, qui a contribué au rapport. « Les dossiers de santé électroniques, les réseaux d’équipement, même les chaînes d’approvisionnement pharmaceutiques—ce sont tous des points de défaillance potentiels. »
Après avoir examiné les plans d’urgence provinciaux, j’ai constaté que le Québec et la Colombie-Britannique maintiennent les réserves d’urgence sanitaires les plus robustes, avec des entrepôts dédiés contenant des hôpitaux de campagne. D’autres provinces s’appuient davantage sur l’aide fédérale via Sécurité publique Canada.
Certains experts croient que nos défis de santé en temps de paix pourraient s’avérer avantageux en cas d’urgence. « Les professionnels de la santé canadiens excellent dans la gestion des ressources sous contraintes, » a déclaré la Dre Wong. « Ils s’adaptent constamment aux pénuries et aux retards. Cette résilience serait précieuse dans des situations de crise. »
Le gouvernement fédéral a récemment reconnu ces préoccupations. Le mois dernier, j’ai obtenu des documents par le biais de demandes d’accès à l’information révélant que Santé Canada a lancé un examen confidentiel de « la résilience du système de santé dans les scénarios de sécurité nationale. » L’évaluation préliminaire de 200 pages recommande des investissements importants dans les unités médicales mobiles, la formation croisée du personnel et le stockage de produits pharmaceutiques.
Quand j’ai questionné la porte-parole de Santé Canada, Marie LeBlanc, sur ces conclusions, elle a répondu: « Le gouvernement prend au sérieux la préparation des soins de santé dans tous les scénarios potentiels, y compris les situations de sécurité internationale. Les plans spécifiques restent classifiés pour des raisons de sécurité. »
La perspective la plus pratique est peut-être venue de la Dre Mikhailov, qui a été témoin des deux systèmes de première main. « En médecine, nous planifions pour les pires scénarios tout en espérant qu’ils ne se matérialisent jamais, » a-t-elle dit. « Le système de santé canadien a besoin de cette même approche—se préparer rigoureusement pour des événements que nous prions de ne jamais se produire. »
En quittant l’Hôpital Général de Montréal ce soir-là, regardant les ambulances arriver à intervalles réguliers, je ne pouvais m’empêcher de me demander: dans un système déjà étiré au-delà de sa capacité, où trouverions-nous les réserves pour faire face à une véritable crise nationale? La question reste ouverte—mais mérite une réflexion sérieuse avant qu’une urgence ne nous force à découvrir la réponse.