En montant la rampe en béton du Commonwealth Stadium, l’énergie électrique qui défie la fraîcheur de la soirée d’Edmonton me frappe. Un grand-père et son petit-fils de 8 ans me dépassent, tous deux portant des maillots vert et or des Elks assortis. « Rappelle-toi, trois essais, pas quatre comme ces Américains, » explique patiemment l’homme âgé, un rappel qui fait écho à la controverse actuelle qui balaie les communautés de la Ligue canadienne de football.
L’annonce récente par la LCF de changements radicaux aux règles a déclenché ce que beaucoup appellent une crise d’identité pour une ligue qui s’est longtemps enorgueillie d’être distinctement canadienne. Alors que les commissaires de la ligue évoquent la nécessité de « moderniser » et d’augmenter une audience en déclin, les partisans à travers le pays s’opposent à ce qu’ils considèrent comme l’américanisation du patrimoine sportif canadien.
« Ils essaient de transformer notre jeu en une version bon marché de la NFL, » dit Marcus Reynolds, détenteur d’un abonnement de saison depuis 1984 que je rencontre dans la file d’attente de la concession. « Ce que ces costumes de Toronto ne comprennent pas, c’est qu’on aime la LCF parce qu’elle est différente, pas malgré cela. »
La controverse porte sur quatre modifications majeures des règles prévues pour la saison prochaine : le passage de trois à quatre essais, le rétrécissement du terrain canadien plus large, l’élimination du point « rouge », et la restriction du mouvement avant la remise en jeu pour les receveurs. Le commissaire de la ligue, Randy Ambrosie, a défendu ces changements lors d’une conférence de presse à Toronto la semaine dernière, en soulignant que les recherches montrent que l’audience des 18-34 ans a chuté de 42% en cinq ans.
« Nous devons évoluer ou mourir, » a déclaré Ambrosie. « Ces ajustements rendront le jeu plus accessible aux jeunes partisans tout en préservant ce qui rend le football canadien spécial. »
Mais la réaction a été rapide et organisée. La coalition nouvellement formée « Sauvons notre jeu canadien » a recueilli plus de 78 000 signatures sur une pétition en ligne, selon leur site web. Le groupe comprend d’anciennes vedettes de la LCF, des défenseurs communautaires et des partisans passionnés déterminés à préserver ce qu’ils considèrent comme un patrimoine culturel.
Dr. Samantha Ling, sociologue du sport à l’Université du Manitoba, voit cette controverse comme le reflet de tensions plus profondes au sein de l’identité culturelle canadienne. « La LCF a toujours été plus qu’une simple ligue sportive, » me dit-elle par téléphone. « Elle représente une institution canadienne qui a survécu malgré la domination culturelle américaine. Ces changements de règles touchent aux anxiétés concernant la souveraineté canadienne et l’effacement culturel. »
Lorsque je visite les installations d’entraînement des Tiger-Cats de Hamilton, l’ancien joueur de ligne étoile Peter Dyakowski me montre précisément ce qui est en jeu. Sur le terrain canadien plus large, il démontre comment le système traditionnel à trois essais crée un jeu plus rapide, davantage orienté vers la passe, nécessitant une réflexion stratégique différente de la version américaine.
« Notre jeu a évolué différemment pour une raison, » explique Dyakowski, en pointant la zone neutre élargie entre les lignes offensives et défensives. « Ces différences ne sont pas des défauts à corriger. Ce sont des caractéristiques qui rendent notre jeu uniquement canadien. »
Les motivations financières derrière ces changements sont difficiles à ignorer. Les cotes d’écoute télévisuelle génèrent des revenus, et la LCF a lutté financièrement contre l’immense présence médiatique de la NFL. Selon les données de Statistique Canada, les tendances de visionnage sportif montrent que les jeunes Canadiens consomment de plus en plus de contenu américain sur les plateformes numériques plutôt que des diffusions traditionnelles de sports canadiens.
Mais la résistance aux changements va au-delà de la nostalgie. Kate Beirness, de la couverture de la LCF par TSN, souligne que la différence de la ligue a toujours été son avantage stratégique. « Le système à trois essais crée plus de passes, plus d’occasions de marquer et, franchement, plus d’excitation, » explique-t-elle lors de notre conversation dans les studios du réseau. « Quand vous rendez la LCF plus semblable à la NFL, pourquoi les partisans occasionnels choisiraient-ils la ligue plus petite? »
Dans le quartier Ritchie d’Edmonton, je visite The Buckingham, un pub local où le groupe « Sauvons notre jeu canadien » tient des séances de stratégie hebdomadaires. Les murs sont décorés de souvenirs vintage de la LCF, dont un programme usé de la Coupe Grey de 1954. Entre deux gorgées de bière artisanale, l’organisateur Jamie Wilson articule ce qui est en jeu.
« Il ne s’agit pas seulement des règles du football, » dit Wilson. « Il s’agit de savoir si le Canada continuera d’avoir des institutions culturelles qui reflètent notre identité unique, ou si nous deviendrons simplement le 51e état américain culturellement. »
La controverse a même atteint le Parlement, où Marie-Claude Bibeau, membre du Comité du patrimoine, a soulevé des préoccupations quant à la protection des industries culturelles canadiennes. « Les ligues sportives sont des points de contact culturels qui reflètent notre caractère national, » a-t-elle noté dans les délibérations du comité. « Nous devrions être prudents face aux changements fondamentaux apportés aux institutions qui ont une importance historique. »
Les pressions financières auxquelles fait face la LCF sont réelles. Selon des états financiers obtenus par La Presse Canadienne, cinq des neuf équipes ont fonctionné à perte la saison dernière. Les Argonauts de Toronto, malgré leur victoire à la Coupe Grey, ont vu leur assistance descendre sous les 10 000 spectateurs pour certains matchs de saison régulière.
Pourtant, la résistance passionnée suggère que la ligue a peut-être mal jugé son public principal. En quittant le Commonwealth Stadium après le match des Elks (qu’ils ont perdu de façon typiquement déchirante), je rattrape le grand-père et le petit-fils que j’avais repérés plus tôt.
« Qu’en as-tu pensé? » je demande au jeune garçon.
« C’était génial! » s’exclame-t-il. « J’adore le grand terrain et comment ils n’ont que trois essais pour avancer le ballon. Ça rend le jeu beaucoup plus excitant!«
Son grand-père me sourit d’un air entendu par-dessus la tête du garçon. Ce sourire dit tout sur l’importance de cette controverse pour tant de Canadiens. La LCF n’est pas seulement une ligue sportive—c’est une tradition transmise entre générations, une expérience uniquement canadienne dans un monde où de telles distinctions sont de plus en plus rares.
Alors que la ligue pèse ses prochaines actions, le message des partisans semble clair : évoluez si vous devez, mais ne renoncez pas à ce qui rend le football canadien canadien. Dans un pays qui se définit souvent par ce qu’il n’est pas—pas américain, pas britannique—la LCF représente quelque chose que le Canada est fièrement : distinctement et sans excuse lui-même.