Debout au bord du fleuve Saint-Laurent par un matin frais de novembre, je ne pouvais m’empêcher de remarquer le contraste entre l’activité industrielle et les ondulations tranquilles où le chevalier cuivré—une espèce qu’on ne trouve nulle part ailleurs sur Terre—nage depuis des siècles. Pourtant, ce poisson menacé se retrouve aujourd’hui au centre d’un différend politique grandissant concernant les ambitieux plans d’expansion de l’Administration portuaire de Montréal.
« Ce processus de consultation a été entièrement inadéquat, » m’a confié le député bloquiste Xavier Barsalou-Duval lors d’une entrevue à son bureau de circonscription la semaine dernière. « Nous parlons d’un projet de 750 millions de dollars qui pourrait altérer de façon permanente l’habitat essentiel d’une espèce menacée qui n’existe que dans cet écosystème spécifique. »
La controverse porte sur l’expansion du terminal de Contrecœur du Port de Montréal, un projet visant à augmenter la capacité d’expédition de 1,15 million de conteneurs par an. Alors que les arguments économiques se concentrent sur la création d’environ 5 000 emplois et le renforcement de la position du Québec dans le transport maritime international, les préoccupations environnementales se sont intensifiées suite aux révélations concernant le processus de consultation.
Des documents obtenus par des demandes d’accès à l’information montrent que les scientifiques de Pêches et Océans Canada (MPO) ont soulevé d’importantes inquiétudes concernant les impacts sur l’habitat du chevalier cuivré, qui ont été largement minimisées dans les documents destinés au public. Le chevalier cuivré, inscrit sur la liste de la Loi sur les espèces en péril depuis 2007, dépend de zones peu profondes spécifiques du Saint-Laurent qui seraient directement affectées par l’augmentation du trafic maritime et les travaux de construction.
« Quand des scientifiques fédéraux identifient des risques sérieux pour une espèce menacée et que ces avertissements n’apparaissent pas dans les documents de consultation publique, nous devons nous demander quels intérêts sont privilégiés, » a déclaré Barsalou-Duval, pointant une pile de mémos internes du MPO sur son bureau.
L’Administration portuaire a défendu son processus, la porte-parole Marie-Claude Guérin affirmant que « les considérations environnementales ont été intégrées tout au long du processus de planification » et soulignant que le projet comprend un fonds d’atténuation environnementale de 15 millions de dollars. Mais les critiques se demandent si n’importe quelle mesure d’atténuation peut compenser la perte potentielle d’habitat essentiel.
Lors d’une réunion communautaire à Verchères le mois dernier, j’ai observé le résident local Pierre Lafontaine présenter des photos du chevalier cuivré aux responsables du Port. « Mon grand-père avait l’habitude de pêcher ces poissons. Ils font partie de notre patrimoine, ce n’est pas juste une case à cocher dans un formulaire environnemental, » a-t-il déclaré sous les applaudissements d’environ 75 participants.
La situation met en lumière l’équilibre délicat entre développement économique et protection environnementale qui est devenu de plus en plus contesté dans les projets d’infrastructure et de ressources du Canada. Selon un récent sondage Angus Reid, 68 % des Québécois soutiennent des protections environnementales plus fortes même si elles limitent la croissance économique, contre 54 % à l’échelle nationale.
Dre Nathalie Vachon, biologiste qui étudie le chevalier cuivré depuis plus d’une décennie à l’Université du Québec à Montréal, a expliqué que l’espèce fait face à de multiples menaces. « Le chevalier cuivré fait déjà face au ruissellement agricole, aux impacts du changement climatique sur la température de l’eau et à la navigation de plaisance. Ajouter une expansion portuaire majeure dans l’une de leurs dernières frayères pourrait être le coup fatal. »
L’Administration portuaire soutient que ses études environnementales montrent que les impacts peuvent être gérés grâce à des restrictions saisonnières sur le dragage et la construction, ainsi qu’en créant des frayères artificielles ailleurs. Cependant, ces affirmations ont été contestées lors d’une audience de comité parlementaire la semaine dernière lorsque le scientifique du MPO, Dr Marc Trudeau, a témoigné que « la création d’habitat artificiel pour cette espèce a montré un succès limité dans les tentatives précédentes. »
Pour les communautés le long du fleuve, ce différend reflète des questions plus larges concernant la consultation et la participation locale. La mairesse Suzanne Roy de Sainte-Julie m’a confié que les municipalités se sentent mises à l’écart. « On nous informe des décisions après qu’elles soient essentiellement prises. Ce n’est pas une consultation; c’est une notification. »
L’expansion a reçu l’approbation préliminaire de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, mais les permis définitifs nécessitent encore l’approbation du ministre des Pêches et des Océans, qui a fait l’objet de pressions croissantes tant des groupes environnementaux que du Bloc Québécois pour rejeter le plan actuel.
En me promenant le long de la rive où la construction devrait commencer au printemps prochain, j’ai parlé avec Jean Bélanger, qui pêche dans ces eaux depuis 40 ans. « Le fleuve change, je comprends ça, » a-t-il dit en ajustant sa casquette usée. « Mais il y a le changement qui respecte ce qui est déjà là, et le changement qui passe tout simplement au bulldozer. J’espère qu’on est assez intelligents pour faire la différence. »
Le chevalier cuivré, avec ses grandes écailles distinctives et sa queue rougeâtre, ne fait pas les manchettes comme les ours polaires ou les baleines. Pourtant, il représente quelque chose de profond sur notre relation avec les écosystèmes locaux. Les espèces endémiques—celles qu’on ne trouve nulle part ailleurs—sont des liens vivants avec des lieux spécifiques, des histoires évolutives uniques aux paysages que nous appelons notre chez-nous.
Alors que le gouvernement fédéral fait face à son délai de décision en janvier, l’expansion du port de Montréal est passée d’un projet d’infrastructure régional à un cas test de la façon dont le Canada équilibre ses aspirations économiques avec ses obligations légales et morales de protéger les espèces menacées. Pour les résidents le long du Saint-Laurent et le chevalier cuivré nageant sous la surface, les enjeux ne pourraient être plus importants.