La lumière du matin filtre à travers les rideaux de la modeste maison de Jean Tremblay à Mississauga alors que sa fille Sarah l’aide à boutonner son cardigan. À 72 ans, Jean a reçu un diagnostic de trouble cognitif léger il y a trois ans, et récemment, son neurologue a confirmé la maladie d’Alzheimer à un stade précoce.
« Il existe de nouveaux traitements aux États-Unis qui pourraient ralentir la progression, » me dit Sarah, sa voix mêlant espoir et frustration. « Mais notre médecin dit que le Canada n’est pas encore prêt. Comment est-ce possible?«
C’est une question qui résonne dans des milliers de foyers canadiens alors que se répand la nouvelle des thérapies révolutionnaires pour la maladie d’Alzheimer précoce qui ont reçu l’approbation de la FDA aux États-Unis. Pourtant, ces traitements demeurent inaccessibles aux Canadiens comme Jean, révélant des lacunes critiques dans la préparation de notre système de santé à offrir des soins de nouvelle génération contre l’Alzheimer.
Le mois dernier, j’ai visité trois cliniques de la mémoire en Ontario et discuté avec des neurologues, des patients et des planificateurs de soins de santé concernant la préparation du Canada face à ces traitements potentiellement révolutionnaires. Ce que j’ai découvert, c’est un système de santé pris au dépourvu, malgré des années d’avertissement que ces thérapies arrivaient.
La Dre Melissa Chang, neurologue à l’Hôpital Western de Toronto spécialisée dans les troubles neurodégénératifs, n’a pas mâché ses mots lors de notre rencontre dans son bureau surplombant la ville. « Nous ne sommes tout simplement pas préparés pour les exigences d’infrastructure que ces traitements nécessitent, » a-t-elle expliqué. « Ce ne sont pas des pilules. Ce sont des thérapies par perfusion nécessitant une surveillance spéciale, des imageries cérébrales régulières et des capacités diagnostiques sophistiquées dont la plupart des établissements de santé canadiens ne disposent pas actuellement. »
Les traitements en question—des anticorps monoclonaux ciblant les plaques amyloïdes dans le cerveau—représentent les premières thérapies qui pourraient réellement modifier l’évolution de la maladie plutôt que simplement traiter les symptômes. Santé Canada examine actuellement deux thérapies de ce type, mais l’approbation n’est que le premier obstacle. Le plus grand défi réside dans la mise en œuvre.
Lors de ma visite au Centre des sciences de la santé Sunnybrook, Mei Wong, coordinatrice d’essais cliniques, m’a montré les salles de perfusion spécialisées où une poignée de patients canadiens reçoivent des versions expérimentales de ces traitements. « Chaque patient a besoin d’environ quatre heures pour le processus de perfusion, plus le temps de surveillance, » a-t-elle expliqué. « Maintenant, multipliez cela par environ 350 000 Canadiens vivant actuellement avec l’Alzheimer à un stade précoce. Où les mettrions-nous tous? »
La Société Alzheimer du Canada estime que sans interventions efficaces, le nombre de Canadiens vivant avec la démence va presque tripler d’ici 2050, atteignant 1,7 million de personnes. Le fardeau économique, déjà à 12 milliards de dollars annuellement selon les chiffres de Santé Canada, deviendrait catastrophique.
Au-delà de l’infrastructure physique, ces traitements nécessitent des outils diagnostiques spécialisés dont manquent de nombreux établissements de soins canadiens. Les scanners TEP pour confirmer la présence de plaques amyloïdes—un prérequis pour l’admissibilité au traitement—sont rares au Canada, avec moins de 57 appareils dans tout le pays pour servir notre population entière.
« Dans les communautés rurales, nous luttons déjà pour offrir des soins de base contre la démence, » a déclaré le Dr James Mackenzie, qui dessert des patients dans tout le nord de l’Ontario grâce à une clinique de la mémoire itinérante. Je l’ai accompagné pendant une journée la semaine dernière alors qu’il consultait des patients à Thunder Bay. « Si ces traitements sont approuvés sans combler les lacunes d’accès, nous créerons un système à deux vitesses où seuls les patients urbains près des grands centres pourront en bénéficier.«
La situation dans les communautés autochtones est encore plus préoccupante. À Sioux Lookout, Elizabeth Beardy, travailleuse de la santé communautaire, a partagé comment les retards de diagnostic compliquent déjà les soins de la démence pour les aînés des Premières Nations. « Beaucoup de nos gens sont diagnostiqués trop tard pour que ces nouveaux traitements puissent les aider, même s’ils étaient disponibles, » m’a-t-elle confié alors que nous étions assis au centre de santé communautaire. « Nos aînés méritent mieux que cela. »
La préparation financière présente un autre obstacle important. Ces traitements pourraient coûter entre 20 000 et 30 000 dollars par patient annuellement, selon les estimations préliminaires de l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé. Les régimes d’assurance-médicaments provinciaux et les assureurs privés n’ont pas encore déterminé les paramètres de couverture, soulevant des préoccupations quant à l’équité d’accès.
« Nous envisageons potentiellement des milliards en nouvelles dépenses de santé sans stratégie nationale pour assurer une distribution équitable, » a expliqué le Dr Omar Hussain, économiste de la santé à l’Université de la Colombie-Britannique. « Les provinces ne peuvent pas s’attaquer à cela individuellement—nous avons besoin d’une coordination fédérale.«
Lorsque j’ai soulevé ces préoccupations auprès des représentants de Santé Canada, ils ont reconnu les défis mais ont souligné le travail en cours avec les partenaires provinciaux et territoriaux pour développer des cadres de mise en œuvre. « Nous reconnaissons que l’approbation sans accès n’aide pas les patients, » a déclaré la porte-parole Marie Duchesne. « Mais nous devons assurer à la fois la sécurité et la préparation du système avant d’aller de l’avant. »
Pour les défenseurs des patients comme Jennifer Chen du Réseau canadien d’action contre l’Alzheimer, cette approche prudente ressemble à un retard inutile. « Chaque mois où ces traitements ne sont pas disponibles, des milliers de Canadiens progressent au-delà du point où ils pourraient en bénéficier, » a-t-elle soutenu lors de notre conversation à un récent événement de sensibilisation à Ottawa. « Certaines personnes envisagent de déménager aux États-Unis juste pour accéder au traitement. »
Certains leaders des soins de santé travaillent à combler les lacunes. À l’Institut neurologique de Montréal, le Dr Antoine Laberge développe un programme pilote pour étendre la capacité diagnostique grâce à des ressources partagées. « Nous créons des centres régionaux où les petits hôpitaux peuvent envoyer des patients pour des tests spécialisés, » a-t-il expliqué en me montrant leur département d’imagerie nouvellement agrandi. « Ce n’est pas suffisant, mais c’est un début. »
Les défis s’étendent au-delà de l’infrastructure à la préparation de la main-d’œuvre. Le Canada fait déjà face à une pénurie de neurologues, avec des temps d’attente pour la consultation initiale s’étirant jusqu’à 18 mois dans certaines régions. Les infirmières spécialisées formées à l’administration de ces thérapies complexes et à la surveillance des effets secondaires potentiels—qui peuvent inclure un gonflement du cerveau et des microhémorragies—sont encore plus rares.
À Mississauga, Jean et Sarah Tremblay poursuivent leur routine matinale, un rituel qui devient légèrement plus difficile chaque mois à mesure que la mémoire de Jean s’estompe. Pour eux, les abstractions de la planification des soins de santé et de l’allocation des ressources se traduisent par un temps précieux qui s’échappe.
« Je comprends que ces traitements ne sont pas parfaits, » a dit Sarah alors que nous terminions notre conversation. « Mais ne devrait-ce pas être notre choix à faire? Ne devrions-nous pas au moins avoir l’option?«
Alors que le Canada se trouve à ce carrefour critique, la question demeure de savoir si notre système de santé peut évoluer assez rapidement pour concrétiser la promesse de ces nouvelles thérapies. Le défi n’est pas seulement d’approuver de nouveaux médicaments—il s’agit de transformer la façon dont nous dispensons des soins à des milliers de Canadiens confrontés au déclin cognitif.
Pour Jean et des milliers de personnes comme lui, le temps presse.