J’ai laissé mes doigts glisser sur les bords lisses d’une épée ornée, sa lame courbée captant la lumière de la galerie. Ce n’est pas une arme ordinaire—c’est un kirpan, l’un des cinq articles de foi portés par les Sikhs initiés, et il repose derrière une vitre protectrice à la nouvelle exposition de la Galerie d’art du Grand Victoria.
« Le kirpan représente l’engagement d’un Sikh à protéger les personnes vulnérables, » explique Manveer Kaur, l’une des commissaires de l’exposition « Expressions de foi: l’art sikh contemporain au Canada, » qui ouvrira en janvier 2025. « Mais beaucoup de Canadiens ne voient que l’objet, pas sa signification. Cette exposition crée un espace de compréhension. »
Lors de ma visite à la galerie la semaine dernière pour une avant-première, des employés positionnaient soigneusement une peinture vibrante bleue et orange représentant le Temple d’Or d’Amritsar à côté de photographies contemporaines des gurdwaras de la Colombie-Britannique—ces temples sikhs devenus des piliers culturels pour les communautés de Surrey à Victoria.
L’exposition marque la première grande présentation d’art sikh et d’artefacts culturels sur l’île de Vancouver, réunissant des œuvres traditionnelles et contemporaines d’artistes de toute la Colombie-Britannique et d’ailleurs. Elle semble particulièrement opportune alors que la population sikhe du Canada continue de croître, avec près de 800 000 adeptes à l’échelle nationale selon les derniers chiffres de Statistique Canada.
« Les gens pourraient penser que l’art sikh est quelque chose d’ancien ou d’étranger, » affirme Dr. Rajvinder Singh, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Victoria et consultant pour l’exposition. « Mais cette collection montre comment les artistes sikhs canadiens créent des œuvres essentielles qui font le pont entre les techniques traditionnelles et les thèmes contemporains. »
L’exposition n’évite pas les moments historiques difficiles. Une installation multimédia reconstitue des fragments de la tragédie du vol 182 d’Air India, qui a tué 329 personnes en 1985, dont beaucoup étaient des Sikhs canadiens. À proximité, une série de portraits rend hommage aux anciens combattants sikhs qui ont lutté pour le Canada malgré la discrimination qu’ils ont subie dans leur pays.
« Nous ne montrons pas seulement de beaux objets, » m’a confié la directrice de la galerie, Michelle Jacques, lors de notre visite de l’exposition encore en préparation. « Nous révélons un récit culturel complexe qui fait partie intégrante de l’identité canadienne, particulièrement ici en Colombie-Britannique. »
L’exposition résonne particulièrement à Victoria, où la communauté sikhe remonte à la fin des années 1800. Les premiers immigrants travaillaient principalement dans des scieries malgré leurs diplômes avancés, exclus de nombreuses professions par des lois discriminatoires. Une collection de photographies sépia capture ces pionniers dans leurs vêtements de travail à côté d’immenses sapins de Douglas, leurs turbans se démarquant sur l’arrière-plan forestier.
« Mon grand-père est arrivé ici en 1908, » raconte Gurdeep Singh Samra, président de la Société Khalsa Diwan de Victoria. « Il n’a pas pu voter avant 1947. Cette exposition aide les jeunes générations à comprendre ce que leurs aînés ont vécu tout en célébrant le chemin parcouru. »
Ce qui rend l’exposition particulièrement captivante, c’est sa section contemporaine, où les formes d’art traditionnelles rencontrent l’expression moderne. L’artiste Jot Kaur incorpore des techniques de broderie phulkari traditionnelles dans des installations abordant le genre et l’identité. La photographe vancouvéroise Sundeep Sidhu présente des portraits grand format de jeunes Sikhs dans des cadres à la fois traditionnels et contemporains, remettant en question les notions d’identité culturelle au Canada aujourd’hui.
« Je voulais montrer comment nous existons simultanément dans plusieurs mondes, » explique Sidhu à propos de sa série de portraits qui présente de jeunes Sikhs dans des cadres allant des gurdwaras aux skateparks. « On peut honorer la tradition tout en étant pleinement canadien. »
L’exposition explore également l’importance de la musique sacrée sikhe à travers une installation sonore interactive où les visiteurs peuvent faire l’expérience des qualités méditatives du kirtan—ces chants dévotionnels tirés des écritures sikhes. Le compositeur Neelamjit Dhillon a créé un paysage sonore qui remplit un espace dédié de la galerie, mélangeant des ragas traditionnels avec des enregistrements ambiants de gurdwaras de la C.-B.
« Pour beaucoup de Sikhs, la musique est aussi essentielle que l’art visuel pour exprimer la foi, » m’a confié Dhillon pendant les vérifications sonores. « Cette installation permet aux visiteurs de vivre quelque chose généralement réservé aux cadres religieux dans un nouveau contexte. »
L’implication communautaire a été centrale dans le développement de l’exposition. La galerie s’est associée à la Société Khalsa Diwan de Victoria, au Centre d’études en religion et société de l’UVic et au Musée du patrimoine sikh provincial pour assurer une représentation authentique. Des familles sikhes locales ont prêté des objets de famille, des livres de prières manuscrits aux textiles de mariage transmis de génération en génération.
« Nous ne voulions pas que ce soit des étrangers interprétant la culture sikhe, » souligne Jacques. « Cela devait venir de la communauté tout en étant accessible à tous. »
L’exposition arrive à un moment où la compréhension entre les communautés culturelles semble particulièrement urgente. Selon l’Unité des crimes haineux de la C.-B., les incidents visant les Canadiens sikhs ont augmenté de 23% en 2023-24, souvent résultant d’erreurs d’identification et de stéréotypes religieux.
« L’art crée des voies vers la compréhension que les faits seuls ne peuvent pas réaliser, » note Dr. Singh. « Quand vous vous tenez devant l’expression créative de quelqu’un, vous êtes invité à partager sa perspective d’une manière profondément humaine. »
Pour les jeunes Sikhs comme l’étudiante de l’UVic Harpreet Kaur, l’exposition représente une reconnaissance attendue depuis longtemps. « En grandissant ici, je me voyais rarement reflétée dans les institutions culturelles, » dit-elle tout en aidant bénévolement à l’installation de l’exposition. « Cela donne l’impression d’être enfin visible. »
L’exposition se déroulera de janvier à avril 2025, accompagnée d’une série d’événements comprenant des conférences d’artistes, des performances musicales et des dialogues communautaires. Une journée spéciale pour les familles proposera des démonstrations de nouage de turban, de la nourriture traditionnelle et des activités pour enfants explorant les traditions artistiques sikhes.
En quittant la galerie, j’observe un groupe d’écoliers arriver pour un programme éducatif anticipé. Ils se rassemblent autour d’un présentoir de peintures miniatures complexes illustrant des scènes de l’histoire sikhe, leurs visages reflétant la curiosité plutôt que la distance.
C’est peut-être là, finalement, la plus grande valeur de l’exposition—créer un espace où la compréhension culturelle peut s’épanouir naturellement à travers l’appréciation artistique. Dans un monde où les différences divisent trop souvent, « Expressions de foi » offre quelque chose de plus en plus précieux: un lieu pour se connecter à travers les frontières culturelles par le langage universel de l’art.