L’accord annoncé hier entre CAE, entreprise montréalaise, et le géant suédois de la défense Saab représente bien plus qu’une simple poignée de main corporative transatlantique. Il signale un changement dans la façon dont la technologie de formation militaire est développée et déployée mondialement, avec l’innovation canadienne en son cœur.
CAE, reconnue depuis longtemps pour ses simulateurs de vol et systèmes de formation, a conclu un accord pour fournir des services et dispositifs de formation pour la gamme croissante de plateformes militaires de Saab. Bien que les conditions financières n’aient pas été divulguées, les analystes de l’industrie suggèrent que cela pourrait générer des centaines de millions en revenus au cours de la prochaine décennie, alors que les dépenses mondiales en défense poursuivent leur trajectoire ascendante.
« Cet accord positionne les solutions de formation de CAE à l’avant-garde des plateformes de défense les plus sophistiquées au monde, » a déclaré Marc Parent, président-directeur général de CAE, lors de l’annonce virtuelle. « Il représente non seulement une croissance commerciale, mais aussi la technologie canadienne rendant les forces alliées plus efficaces et plus sécuritaires. »
Le moment ne pourrait être plus stratégique. Les budgets de défense des pays de l’OTAN augmentent depuis 2022, avec une priorité croissante accordée aux systèmes de formation, car les militaires cherchent à maintenir leur état de préparation sans les coûts énormes des exercices réels. Les technologies de simulation de CAE permettent au personnel militaire de s’entraîner dans des scénarios complexes sans brûler de carburant d’avion ni risquer d’endommager l’équipement.
Ce qui rend ce partenariat particulièrement remarquable, c’est sa portée mondiale. Contrairement aux accords précédents qui ciblaient des régions spécifiques, cette collaboration couvre toute la gamme de systèmes aériens, navals et terrestres de Saab, vendus à plus de 40 pays dans le monde. CAE développera des solutions de formation sur mesure pour chaque plateforme, y compris le programme d’avion de chasse Gripen qui continue de remporter des contrats en Europe et en Asie.
Derrière l’annonce corporative se cache une histoire sur l’évolution des priorités de défense. L’équipement militaire moderne est devenu si complexe que la formation a évolué d’une considération secondaire à une composante critique de l’état de préparation défensive. Un pilote de chasse aujourd’hui doit maîtriser des systèmes qui auraient semblé relever de la science-fiction il y a une génération.
« L’époque où l’on pouvait former quelqu’un uniquement sur de l’équipement physique est révolue, » explique Dr. Anita Sharma, analyste en technologie de défense chez RBC Marchés des Capitaux. « Les exigences informatiques de la guerre moderne signifient que la simulation n’est pas seulement moins coûteuse — c’est souvent le seul moyen pratique de s’entraîner à certains scénarios. »
Pour l’économie canadienne, cet accord offre un aperçu de la façon dont la fabrication à haute valeur ajoutée peut prospérer même à une époque de concurrence mondiale. CAE emploie plus de 10 000 personnes dans le monde, dont environ un tiers au Canada, principalement dans des rôles d’ingénierie qualifiée et de développement logiciel.
Le parcours de l’entreprise depuis sa fondation en 1947 jusqu’à devenir un leader mondial de la technologie de simulation démontre comment des connaissances techniques spécialisées peuvent créer des avantages concurrentiels durables. Alors que la fabrication d’électronique grand public s’est largement déplacée vers l’Asie, les simulateurs complexes de CAE — qui peuvent coûter plus de 15 millions de dollars chacun — restent fermement ancrés en Amérique du Nord.
L’action de CAE a bondi de 3,7% à l’annonce de l’accord, reflétant la confiance des investisseurs dans la stratégie de l’entreprise axée sur les revenus récurrents des services de formation plutôt que sur les ventes ponctuelles d’équipement. Ce modèle a aidé CAE à traverser les ralentissements précédents dans l’industrie de l’aviation, y compris la période pandémique lorsque la formation des pilotes commerciaux s’est effondrée.
L’accord avec Saab représente également un changement subtil dans l’approche du Canada en matière de politique industrielle de défense. Plutôt que de concurrencer directement les grands fabricants d’armes, des entreprises canadiennes comme CAE se sont taillé des niches spécialisées où elles peuvent atteindre un leadership mondial. Les systèmes de formation nécessitent des mises à jour constantes à mesure que les menaces évoluent, créant des relations clients à long terme qui s’étendent sur des décennies au-delà des achats initiaux d’équipement.
« Ce que nous voyons est une approche intelligente du marché de la défense, » a déclaré Thomas Ferguson, ancien conseiller en approvisionnement au ministère de la Défense nationale. « Au lieu d’essayer de construire des avions de chasse à partir de zéro, nous devenons indispensables pour assurer que les pilotes peuvent les utiliser efficacement. »
L’accord comprend des dispositions pour la recherche et le développement conjoints, potentiellement accélérant le travail de CAE dans les applications d’intelligence artificielle pour la formation militaire. Les simulateurs modernes ne reproduisent pas seulement l’expérience physique de l’opération d’équipement; ils utilisent l’IA pour générer des scénarios réalistes et des adversaires qui s’adaptent aux actions de l’apprenant.
Pour des communautés comme Saint-Laurent, où CAE maintient d’importantes opérations, l’accord renforce la stabilité des emplois manufacturiers hautement qualifiés qui sont devenus de plus en plus rares dans les villes nord-américaines. Le salaire moyen chez CAE dépasse 85 000 $, selon des rapports de l’industrie, générant des retombées économiques substantielles dans toute l’économie québécoise.
Tout le monde ne voit pas positivement l’activité accrue de l’industrie de la défense, bien sûr. Des groupes de défense de la paix ont précédemment soulevé des préoccupations concernant l’intégration plus profonde des entreprises canadiennes dans les chaînes d’approvisionnement militaires mondiales. CAE a répondu en soulignant que les technologies de formation rendent finalement les conflits moins probables en assurant la préparation et la dissuasion.
L’entreprise a également mis l’accent sur son activité civile croissante, qui comprend la formation des professionnels de la santé et des travailleurs du secteur énergétique. Ces efforts de diversification aident à équilibrer la nature cyclique des dépenses de défense.
Alors que les nations d’Europe de l’Est et d’Asie-Pacifique continuent de moderniser leurs forces, CAE s’attend à ce que les services de formation représentent une portion croissante des budgets d’approvisionnement de défense. L’entreprise estime que pour chaque dollar dépensé sur des plateformes majeures comme les avions ou les navires, les militaires allouent maintenant environ 30 cents aux systèmes de formation — une hausse par rapport à moins de 10 cents il y a deux décennies.
L’accord avec Saab positionne CAE pour capturer une part significative de ce marché croissant, tout en renforçant la réputation du Canada comme source de technologie sophistiquée plutôt que de matières premières. Dans une économie mondiale où les industries à forte intensité de connaissances commandent des prix premium, le succès de CAE offre un modèle pour d’autres fabricants canadiens cherchant à monter dans la chaîne de valeur.
Pour une entreprise fondée à une époque où la simulation de vol signifiait des liaisons mécaniques et des cadrans analogiques, l’évolution de CAE vers la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle met en valeur l’adaptabilité canadienne dans un paysage technologique en rapide évolution. Le partenariat avec Saab suggère que même sur le marché de la défense hautement compétitif, il y a de la place pour l’excellence spécialisée — quelque chose que Montréal fournit discrètement depuis des décennies.