L’horloge semble tourner à la fois plus lentement et plus rapidement dans l’appartement de Michelle Leong à Vancouver. À 47 ans, elle vit avec le diabète de type 2 depuis près d’une décennie. Depuis 14 mois, elle gère sa condition avec des injections hebdomadaires d’Ozempic, observant la stabilisation de sa glycémie et perdant 13 kilos dans le processus.
« Ça a tout changé, » me confie Leong lors d’un appel vidéo depuis son salon, où la lumière du soleil entre à flots derrière elle. « Mais je compte toujours les jours jusqu’au prochain renouvellement, me demandant si je pourrai me le permettre. »
Leong n’est pas seule à s’inquiéter. Partout au Canada, patients et professionnels de la santé observent avec anxiété Santé Canada faire face à un retard croissant d’approbations de médicaments qui pourrait retarder l’arrivée des versions génériques du sémaglutide, l’ingrédient actif de l’Ozempic. Ces délais ont des implications importantes tant pour l’accessibilité financière que pour l’accès dans un système de santé déjà sous pression.
Selon des documents réglementaires obtenus par des demandes d’accès à l’information, les délais d’examen de Santé Canada sont passés d’une moyenne de 300 jours en 2019 à près de 400 jours pour les nouveaux médicaments. Pour les approbations de génériques, qui avançaient historiquement plus vite, le délai a presque doublé dans certains cas.
La Dre Seema Shah, endocrinologue à l’Hôpital général de Vancouver qui prescrit des agonistes des récepteurs du GLP-1 comme l’Ozempic à des dizaines de patients, explique l’impact concret de ces retards. « Quand les génériques arrivent sur le marché, nous observons généralement une baisse de prix de 25 à 40 % durant la première année, » dit-elle. « Pour des médicaments qui coûtent aux patients entre 200 et 500 dollars par mois sans couverture, cette différence change la vie. »
Les retards proviennent de multiples facteurs. La pandémie a créé des arriérés initiaux lorsque Santé Canada a priorisé les traitements et vaccins contre la COVID-19. Mais des défis internes de dotation en personnel et une complexité croissante des soumissions de médicaments ont aggravé le problème. Les documents montrent que le ministère a perdu environ 15 % de son personnel d’examen depuis 2020, les efforts de recrutement peinant à suivre le rythme des départs.
Lors de ma visite aux bureaux de Santé Canada à Ottawa au début du mois, l’ambiance reflétait cette tension. Des salles de réunion converties en espaces de stockage de documents, des examinateurs jonglant avec plusieurs dossiers prioritaires, et une fatigue visible parmi le personnel soulignaient la dimension humaine du retard bureaucratique.
Pour les fabricants pharmaceutiques, ces délais créent une incertitude commerciale. Teva Canada, l’une des nombreuses entreprises ayant des demandes de sémaglutide générique en attente d’examen, avait initialement prévu une entrée sur le marché pour mi-2024. Leur calendrier révisé s’étend maintenant jusqu’en 2025, selon les analystes de l’industrie.
« Le processus d’approbation a toujours été rigoureux, comme il se doit, » affirme le Dr Andrew Padmos, ancien PDG du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. « Mais quand les arriérés administratifs, et non l’évaluation scientifique, deviennent le facteur limitant, nous avons une défaillance du système qui nuit finalement aux patients. »
L’impact de ces retards s’étend au-delà des soins du diabète. Les médicaments à base de sémaglutide ont montré des promesses pour la gestion du poids chez les patients souffrant d’obésité, réduisant potentiellement les comorbidités et les coûts de santé à long terme. Le Wegovy de Novo Nordisk, approuvé pour la gestion du poids aux États-Unis en 2021, attend toujours l’approbation canadienne malgré une composition chimique similaire à l’Ozempic.
Dans les communautés côtières de la Colombie-Britannique, où j’ai couvert pendant des années les défis d’accès aux soins de santé, les implications des retards d’approbation des génériques sont particulièrement visibles. Le programme PharmaCare de la province couvre l’Ozempic pour les patients diabétiques éligibles mais pas pour la gestion du poids. Les versions génériques élargiraient potentiellement l’accès en réduisant les barrières de coût.
« Nous demandons essentiellement aux patients d’attendre une année supplémentaire pour l’accessibilité financière, » note la Dre Shah. « C’est une autre année de risque cardiovasculaire élevé, une autre année de douleurs articulaires dues au poids excédentaire, une autre année d’utilisation accrue des soins de santé. »
Santé Canada reconnaît ces défis. Dans une déclaration, le ministère a indiqué avoir mis en œuvre une « initiative de modernisation » visant à réduire les délais d’examen tout en maintenant les normes de sécurité. Cela comprend des voies accélérées pour les médicaments prioritaires et la transformation numérique des processus d’examen. Cependant, les projections internes suggèrent que l’arriéré ne sera pas considérablement réduit avant la fin de 2024.
Pour des patients comme Michelle Leong, ces délais se traduisent par une véritable pression financière. « J’ai la chance d’avoir une assurance qui couvre environ 70 pour cent, » dit-elle. « Mais je connais des gens dans mon groupe de soutien au diabète qui divisent les doses ou sautent des semaines simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens. »
Les communautés autochtones font face à des défis particuliers dans ce paysage. Dans la Nation crie de Norway House, au Manitoba, où les taux de diabète approchent 40 % chez les adultes de plus de 40 ans, le coût des médicaments crée d’importantes barrières. Jordan Beardy, représentant en santé communautaire, décrit comment les génériques pourraient transformer les soins : « Quand les médicaments deviennent plus abordables, nous pouvons réorienter les ressources du simple paiement des médicaments vers des approches culturelles et nutritionnelles complètes. »
Les analystes de l’industrie soulignent des remèdes potentiels au-delà des réformes internes de Santé Canada. Des accords de reconnaissance réciproque avec des organismes réglementaires fiables comme la FDA ou l’Agence européenne des médicaments pourraient accélérer les approbations pour les médicaments déjà évalués ailleurs. Des structures de frais améliorées pourraient financer des examinateurs supplémentaires dédiés à résorber les arriérés. Les deux approches nécessiteraient une volonté politique et des adaptations réglementaires.
Alors que le soleil printanier réchauffe les rues de Vancouver, Michelle Leong a marqué sur son calendrier la date à laquelle le sémaglutide générique pourrait enfin atteindre les pharmacies. « Chaque mois compte quand on parle à la fois de santé et de stabilité financière, » dit-elle, jetant un coup d’œil à son application de suivi des médicaments. « J’espère simplement que le système se souvient qu’il y a de vraies personnes qui attendent. »
Pour l’instant, cette attente continue, reflet de la façon dont les processus administratifs souvent invisibles pour le public peuvent profondément façonner les vies individuelles et les résultats de santé collectifs à travers le Canada.