Lorsque Justin Trudeau a annoncé la semaine dernière son intention d’imposer un tarif de 100 % sur les véhicules électriques chinois, il espérait probablement apaiser une tempête politique naissante. Au lieu de cela, le Premier ministre s’est retrouvé pris dans le dernier chapitre d’une relation commerciale complexe qui tourmente les gouvernements libéraux depuis des décennies.
L’annonce est survenue dans un contexte de pression croissante des partis d’opposition et des syndicats, préoccupés par l’afflux de véhicules électriques chinois qui menacent à la fois le secteur automobile canadien et sa relation avec les États-Unis. Le chef conservateur Pierre Poilievre martelait le gouvernement depuis des mois, soutenant que les importations chinoises bon marché détruiraient les emplois manufacturiers canadiens.
« On a déjà vu ce film », affirme Walid Hejazi, professeur associé à l’École de gestion Rotman de l’Université de Toronto. « Les dirigeants canadiens sont perpétuellement coincés entre le maintien de l’accès aux marchés asiatiques en croissance et la protection des industries nationales tout en s’alignant sur la politique commerciale américaine. »
Les parallèles avec le gouvernement de Jean Chrétien sont frappants. Dans les années 1990, Chrétien faisait face à des critiques similaires concernant l’expansion du commerce avec la Chine alors que les préoccupations relatives aux droits de la personne persistaient. Les libéraux d’aujourd’hui sont confrontés à la même tension fondamentale, mais avec des enjeux plus élevés, l’influence économique mondiale de la Chine ayant augmenté de façon exponentielle.
Le secteur automobile canadien emploie environ 135 000 travailleurs directement et contribue à près de 13 milliards de dollars annuellement à l’économie. Beaucoup de ces emplois se concentrent dans le cœur manufacturier de l’Ontario – une région que les deux grands partis considèrent comme cruciale sur le plan électoral.
Des constructeurs automobiles chinois comme BYD et Geely ont rapidement étendu leurs opérations mondiales, offrant des véhicules électriques à des prix généralement inférieurs de 20 à 30 % à ceux des concurrents nord-américains et européens. Cet avantage de coût provient des subventions gouvernementales massives, des coûts de main-d’œuvre plus bas et des chaînes d’approvisionnement verticalement intégrées qui donnent aux fabricants chinois le contrôle des matières premières aux produits finis.
« Pékin a fait de la domination du marché des véhicules électriques une priorité nationale dans le cadre de leur stratégie Made in China 2025 », note Stephanie Carvin, professeure de relations internationales à l’Université Carleton. « Ils ont investi des centaines de milliards dans le développement de cette capacité, et maintenant ils sont prêts à exporter de manière agressive. »
L’administration Biden a été la première à agir, mettant en œuvre des tarifs allant jusqu’à 100 % sur les véhicules électriques chinois plus tôt cette année. Cela a créé une opportunité pour les fabricants chinois d’utiliser le Canada comme porte dérobée pour accéder aux marchés américains – un scénario qui menaçait les relations canado-américaines déjà tendues par des différends sur les produits laitiers, le bois d’œuvre et l’aluminium.
Pour le gouvernement Trudeau, le calcul politique est devenu de plus en plus clair alors que les sondages montraient que les Canadiens se méfiaient davantage de la dépendance économique envers la Chine. Une récente enquête de Nanos Research indique que 72 % des Canadiens soutiennent la restriction des investissements chinois dans les secteurs sensibles, contre 58 % il y a seulement deux ans.
La transformation de l’industrie automobile vers l’électrification a ajouté une autre couche de complexité. Le Canada a obtenu d’importants investissements de la part de constructeurs automobiles traditionnels et de fabricants de batteries, notamment une usine de batteries Volkswagen de 5 milliards de dollars à St. Thomas, en Ontario, et l’installation Stellantis-LG de 5,1 milliards de dollars à Windsor.
« Ces investissements reposaient sur des incitatifs gouvernementaux et supposaient des règles du jeu équitables », explique Charlotte Yates, présidente de l’Université de Guelph et experte de l’industrie automobile. « Permettre aux véhicules électriques chinois sous-évalués d’inonder le marché signifierait effectivement que les contribuables canadiens ont subventionné des usines qui ne pourraient pas être compétitives. »
Pourtant, les tarifs apportent leurs propres complications. Les consommateurs canadiens à la recherche d’options électriques abordables pourraient faire face à des prix plus élevés précisément au moment où les objectifs climatiques exigent une adoption accélérée des véhicules électriques. Cette politique risque également de provoquer des représailles chinoises contre les exportations canadiennes de produits agricoles, de minéraux ou d’énergie.
Certains observateurs de l’industrie se demandent si les tarifs à eux seuls représentent une stratégie judicieuse. « Nous traitons les symptômes plutôt que les causes », soutient Jim Stanford, économiste et directeur du Centre for Future Work. « Ce dont le Canada a vraiment besoin, c’est d’une politique industrielle complète qui investit dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques, des minéraux critiques au développement de logiciels. »
La dimension géopolitique ne peut pas non plus être ignorée. L’arrestation par le Canada de la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, en 2018 a conduit la Chine à détenir deux Canadiens – Michael Kovrig et Michael Spavor – pendant près de trois ans. L’incident a révélé les coûts potentiels associés au fait de contrarier les intérêts de Pékin.
Les fabricants de pièces automobiles ont exprimé des réactions mitigées. Si certains accueillent favorablement la protection contre la concurrence chinoise, d’autres s’inquiètent de la perturbation des chaînes d’approvisionnement intégrées. « De nombreux composants des véhicules nord-américains proviennent déjà de Chine », souligne Flavio Volpe, président de l’Association des fabricants de pièces automobiles. « Nous devons être stratégiques quant aux segments que nous protégeons et ceux sur lesquels nous établissons des partenariats. »
Pour les Canadiens moyens, le débat sur les tarifs des véhicules électriques reflète des questions plus larges sur l’avenir du travail, la politique climatique et les relations internationales. À mesure que le secteur manufacturier évolue, les communautés qui prospéraient autrefois grâce aux emplois dans l’assemblage automobile font face à l’incertitude quant à savoir si de nouvelles opportunités dans la production de batteries ou le développement de logiciels soutiendront les moyens de subsistance de la classe moyenne.
La leçon la plus durable de ce dernier différend commercial est peut-être de constater le peu de changements dans la politique canadienne malgré le passage des décennies. Les tensions fondamentales entre la dépendance aux ressources, les ambitions manufacturières et les relations avec les grandes puissances continuent de définir les choix de politique économique du Canada.
Alors que Trudeau navigue à travers ces défis, il rejoint une longue lignée de premiers ministres qui ont découvert que dans l’économie mondiale, il y a rarement des réponses simples – seulement des compromis aux conséquences considérables.