La saison des achats des Fêtes est arrivée plus tôt que jamais alors que les détaillants canadiens lancent leurs promotions du Vendredi fou plusieurs semaines avant l’événement traditionnel qui suit l’Action de grâce. Des géants de l’électronique aux boutiques de vêtements, les entreprises prolongent leurs périodes de rabais dans ce qui semble être une réponse stratégique à la prudence des consommateurs.
Chez Best Buy Canada, le « Vendredi fou » a débuté il y a près de trois semaines avec des économies annoncées allant jusqu’à 40 % sur les téléviseurs, les ordinateurs portables et les petits électroménagers. « Nous constatons que les consommateurs planifient leurs achats beaucoup plus soigneusement cette année, » explique Zayn Mitchell, analyste du commerce de détail chez Desjardins. « Les détaillants réagissent en étirant ces périodes promotionnelles pour attirer les acheteurs avant que leurs budgets ne soient épuisés. »
Ce déploiement précoce ne se limite pas à l’électronique. La Baie d’Hudson, Canadian Tire et Sport Chek ont tous lancé des campagnes prolongées du Vendredi fou, certaines se déroulant tout au long de novembre. Même Amazon Canada a lancé ses « offres anticipées du Vendredi fou » le 1er novembre, bien plus tôt que les années précédentes.
Ce devancement promotionnel survient alors que Statistique Canada signale une baisse des ventes au détail de 0,5 % en septembre, la troisième baisse mensuelle depuis juin. Avec l’inflation qui continue de dépasser la croissance des salaires pour de nombreux ménages, les consommateurs deviennent de plus en plus sélectifs dans leurs dépenses.
« Les Canadiens ressentent la pression des taux d’intérêt plus élevés et de l’inflation persistante, » explique Marvin Ryder, professeur de marketing à l’École de commerce DeGroote de l’Université McMaster. « On observe une fatigue face aux achats des Fêtes. Les gens recherchent une véritable valeur, pas seulement des rabais sur des prix gonflés. »
En effet, un récent sondage du Conseil canadien du commerce de détail suggère que 74 % des Canadiens prévoient rechercher les prix plus minutieusement avant d’effectuer des achats cette année. Le même sondage indique que les consommateurs s’attendent à dépenser environ 8 % de moins pour les achats des Fêtes par rapport à 2023, soit en moyenne 896 $ par personne.
Pour les propriétaires de petites entreprises comme Tara Chen, qui exploite la boutique Three Leaves dans le quartier Leslieville de Toronto, la saison promotionnelle prolongée crée des défis. « Les grandes surfaces peuvent se permettre de réduire leurs prix pendant des semaines. Nous essayons de rivaliser en offrant des expériences plus personnalisées et des produits uniques qu’on ne trouve pas au centre commercial, » me confie Chen lors d’une visite à sa boutique.
Le contexte économique a créé une dynamique unique cette saison. Bien que les dépenses de consommation se soient adoucies, les niveaux d’inventaire chez de nombreux détaillants restent élevés suite aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement pendant la pandémie. Cette combinaison a créé ce que RBC Marchés des Capitaux appelle « les conditions parfaites pour des rabais profonds. »
Mais les consommateurs obtiennent-ils vraiment de meilleures offres avec ces promotions précoces? Les données de suivi des prix de RedFlagDeals suggèrent des résultats mitigés. Si certains articles affichent de véritables rabais, d’autres révèlent ce que les initiés du commerce de détail appellent une « tarification haut-bas » – où les articles sont majorés avant d’être « réduits » pour créer l’apparence d’économies.
« Les acheteurs les plus avisés utilisent des outils de suivi des prix pour identifier les vraies aubaines, » indique Rubina Ahmed-Haq, experte en finances personnelles. « Des applications comme Flipp ou des sites comme CamelCamelCamel peuvent montrer l’historique des prix, aidant les consommateurs à déterminer si cette ‘offre exclusive’ est réellement avantageuse. »
Plusieurs détaillants avec qui j’ai discuté ont reconnu l’environnement difficile, mais demeurent optimistes quant aux ventes des Fêtes. « Nous voyons des clients commencer leurs achats plus tôt, mais faire des achats plus modestes répartis dans le temps, » note Michael Goldberg, directeur des opérations d’une chaîne de vente au détail de taille moyenne dans l’Ouest canadien. « Ils étalent leurs dépenses plutôt que de faire de gros achats en une seule journée. »
Ce changement de comportement explique pourquoi les détaillants prolongent les promotions tout au long de novembre et probablement au-delà du weekend traditionnel du Vendredi fou. Walmart Canada et Canadian Tire ont tous deux annoncé que leurs promotions se dérouleront en « phases, » avec de nouvelles offres chaque semaine jusqu’en décembre.
La tendance vers des promotions plus précoces n’est pas entièrement nouvelle, mais s’est considérablement accélérée après la pandémie. Selon les données de McKinsey & Company, la saison des achats des Fêtes est passée d’environ six semaines en 2019 à près de dix semaines en 2024.
Pour les consommateurs, cette extension offre à la fois des opportunités et des défis. « La période promotionnelle plus longue donne aux gens plus de temps pour comparer les prix et budgétiser adéquatement, » affirme Jessica Moorhouse, conseillère en crédit. « Mais cela crée aussi plus d’occasions de dépenser excessivement si vous ne suivez pas attentivement vos achats. »
Certains analystes du commerce de détail estiment que le calendrier promotionnel étendu pourrait réellement profiter aux consommateurs en réduisant la frénésie associée aux événements d’achat d’une seule journée. « L’époque où l’on campait devant les magasins à minuit est largement révolue, » note le consultant en commerce de détail Bruce Winder. « Répartir les offres sur plusieurs semaines signifie moins de pression, moins de foules et potentiellement des décisions d’achat plus réfléchies. »
Les indicateurs économiques suggèrent que cette saison des Fêtes mettra à l’épreuve les stratégies de prix et la créativité promotionnelle des détaillants. Avec la Banque du Canada qui abaisse graduellement les taux d’intérêt, on observe un optimisme prudent quant à une reprise des dépenses, bien que la plupart des économistes ne s’attendent pas à un soulagement significatif avant 2025.
Pour l’instant, tant les détaillants que les consommateurs s’adaptent à ce qui semble être une nouvelle normalité – une saison d’achats des Fêtes prolongée, marquée par des dépenses calculées et des promotions stratégiques. Reste à voir si ces offres anticipées du Vendredi fou procurent des économies significatives ou étalent simplement les plans de rabais existants sur davantage de semaines.
Ce qui semble certain, c’est que les frontières traditionnelles du Vendredi fou se sont définitivement estompées, créant un marathon plutôt qu’un sprint pour les détaillants comme pour les acheteurs qui naviguent dans le paysage commercial canadien en évolution.