L’annonce récente de Mark Carney signalant un recalibrage de l’approche canadienne en matière de politique étrangère féministe a suscité un débat dans le paysage politique d’Ottawa. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada, désormais architecte clé des politiques du Parti libéral, a esquissé une évolution pragmatique plutôt qu’un abandon des principes d’égalité des genres dans les relations internationales.
Lors d’un déjeuner du Club canadien hier, Carney a souligné que les considérations de genre resteraient « intégrées dans tout ce que nous faisons« , mais a suggéré que la terminologie et la mise en œuvre évolueraient vers des résultats plus mesurables. Ce changement représente un ajustement subtil mais significatif d’une initiative phare introduite sous le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau en 2017.
« Il ne s’agit pas de reculer sur nos valeurs », a déclaré Carney à l’audience composée de leaders d’affaires et de politiques. « Il s’agit de garantir que notre approche livre des résultats tangibles pour les femmes et les filles dans les zones de conflit et les économies en développement tout en maintenant des relations solides avec nos alliés. »
Le cadre actuel de politique étrangère féministe a canalisé environ 650 millions de dollars vers des initiatives internationales d’égalité des genres depuis sa création, selon les données d’Affaires mondiales Canada. Les projets vont du soutien à l’entrepreneuriat féminin en Asie du Sud-Est à la lutte contre la violence basée sur le genre dans les crises humanitaires.
Les réactions politiques ont été, comme on pouvait s’y attendre, divisées. Le critique conservateur des affaires étrangères Michael Chong a salué ce changement, qualifiant l’approche actuelle de « plus symbolique que substantielle ». Pendant ce temps, le chef du NPD Jagmeet Singh a exprimé son inquiétude quant aux coupes potentielles dans les programmes internationaux axés sur les femmes, mettant en garde contre « un changement d’image qui masque un recul des engagements en matière d’égalité des genres. »
Pour Sarah Davidson, directrice du Centre pour la gouvernance mondiale à l’Université d’Ottawa, ce recalibrage reflète des tensions plus larges dans la politique étrangère canadienne. « Les libéraux tentent de naviguer entre des priorités concurrentes – maintenir des valeurs progressistes tout en répondant aux critiques selon lesquelles la position du Canada a parfois compliqué les relations diplomatiques avec des pays qui ne partagent pas la même vision de l’égalité des genres », a expliqué Davidson lors d’une entrevue téléphonique.
Cet ajustement politique survient dans un contexte de dynamiques mondiales changeantes, notamment la compétition croissante avec la Chine et la guerre continue de la Russie en Ukraine. Un récent sondage d’Angus Reid indique que 63% des Canadiens privilégient les partenariats de sécurité et économiques par rapport à la promotion des droits humains dans les relations internationales – en hausse par rapport à 47% en 2019.
Les organisations de défense des droits des femmes ont réagi avec un scepticisme mesuré. Karen Williams, directrice exécutive du Réseau d’action mondiale pour les femmes, reconnaît la nécessité d’une évolution politique mais met en garde contre tout recul. « La terminologie importe moins que les ressources et la volonté politique qui la sous-tendent », a déclaré Williams. « Nous surveillerons de près pour nous assurer qu’il ne s’agit pas simplement d’un changement rhétorique qui mine le financement de l’égalité des genres. »
Les remarques de Carney suggèrent une approche plus intégrée où les considérations de genre deviennent un élément des objectifs plus larges de politique étrangère plutôt qu’une initiative étiquetée séparément. Cela se rapproche des approches adoptées par des pays comme la Suède et la France, qui ont intégré des indicateurs d’égalité des genres dans leurs cadres diplomatiques et de développement traditionnels sans étiquette distincte de politique étrangère féministe.
Pour les résidents de communautés comme Thunder Bay, où j’ai parlé avec des électeurs la semaine dernière, la politique internationale semble souvent éloignée des préoccupations quotidiennes. « L’égalité me tient à cœur, mais je suis plus préoccupée par l’abordabilité en ce moment », a déclaré Diane Legault, 47 ans, travailleuse de la santé. « Le gouvernement doit montrer comment ces politiques aident concrètement les Canadiens ordinaires. »
Le moment de cet ajustement politique, alors que les libéraux sont en retard dans les sondages à l’approche d’une possible élection en 2025, n’a pas échappé aux observateurs politiques. Carney, largement pressenti comme un futur prétendant au leadership, pourrait se positionner, ainsi que le parti, pour un attrait électoral plus large en recalibrant des politiques qui ont fait l’objet de critiques de la part des électeurs centristes et conservateurs.
Les experts notent que l’approche de Carney représente un exercice d’équilibre plutôt qu’un revirement idéologique. « Il signale une continuité dans les valeurs tout en reconnaissant la nécessité d’une évolution dans la mise en œuvre », a expliqué Robert McIntosh, ancien ambassadeur canadien et chercheur principal à l’Institut canadien des affaires mondiales. « La question est de savoir si cela se traduira par des résultats politiques plus efficaces ou simplement par une image différente. »
À mesure que les détails de la politique émergeront dans les semaines à venir, la véritable mesure sera de savoir si ce changement renforce ou diminue l’influence du Canada sur l’égalité des genres à l’échelle mondiale. Pour l’instant, l’annonce de Carney suggère un gouvernement cherchant à maintenir des principes progressistes tout en s’adaptant à un paysage international complexe où les préoccupations de sécurité et les partenariats économiques dominent de plus en plus l’ordre du jour.