Dans un monde de relations internationales chaotiques, l’approche du Canada pour sécuriser son avenir économique prend une voie distincte à deux vitesses. Alors que les manchettes se concentrent sur la position imprévisible de Trump envers le commerce canadien, une histoire plus discrète mais potentiellement plus conséquente se déroule à travers les mouvements stratégiques de Mark Carney, qui continue de positionner le Canada pour des opportunités d’investissement mondial avec une précision remarquable.
Le contraste ne pourrait être plus frappant. Alors que le président américain nouvellement élu oscille entre menaces de tarifs et indifférence totale envers notre nation, Carney—ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre—a méthodiquement renforcé le cadre d’investissement international du Canada à travers Brookfield Asset Management et maintenant dans son rôle de conseiller auprès du premier ministre Trudeau.
« Ce que nous voyons est un cas classique d’approches divergentes en matière de diplomatie économique, » explique Deborah Hargreaves, professeure de finance internationale à l’Université de Toronto. « Une voie est erratique et conflictuelle, tandis que l’autre construit une architecture financière durable indépendamment des vents politiques. »
La stratégie de Carney s’articule autour de trois piliers interconnectés qui méritent un examen plus approfondi. Premièrement, il a priorisé les flux d’investissement alignés sur le climat, positionnant le Canada comme un carrefour pour le capital mondial cherchant à la fois des rendements et un impact environnemental. Deuxièmement, il renforce les relations financières multilatérales à une époque où les accords bilatéraux font face à une volatilité croissante. Troisièmement, il crée une résilience institutionnelle grâce à la diversification des marchés et des secteurs.
Les chiffres racontent une histoire intrigante. L’investissement direct canadien à l’étranger a augmenté de 15% depuis 2021, atteignant 1,5 billion de dollars selon les derniers chiffres de Statistique Canada. Pendant ce temps, l’investissement entrant a augmenté plus modestement de 9%, suggérant que l’avenir économique du Canada dépend de plus en plus de notre capacité à déployer des capitaux mondialement plutôt que simplement à les attirer au niveau national.
« Le véritable génie de l’approche de Carney est qu’elle fonctionne indépendamment de qui détient le pouvoir politique à Washington, » note Raj Mehta, stratège en chef chez Hamilton Capital. « En se concentrant sur des cadres d’investissement fondés sur des règles à travers plusieurs juridictions, il crée une police d’assurance contre les impulsions protectionnistes de n’importe quel partenaire commercial. »
Des exemples récents illustrent cette stratégie en action. Le mois dernier, l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada a annoncé une coentreprise de 3,2 milliards de dollars avec GIC de Singapour pour développer des centres de données à travers l’Asie du Sud-Est. Pendant ce temps, la plateforme d’énergie renouvelable de Brookfield continue d’étendre son empreinte en Europe et en Amérique latine, avec 12,5 milliards de dollars déployés au cours des dix-huit derniers mois.
Le contraste avec les approches précédentes est révélateur. Pendant des décennies, la stratégie économique canadienne était presque exclusivement centrée sur l’accès privilégié au marché américain. La vulnérabilité de cette approche est devenue douloureusement évidente lors des renégociations de l’ALENA et des disputes sur les tarifs de l’aluminium. Le cadre de Carney n’abandonne pas l’intégration nord-américaine—il la complète simplement avec des systèmes parallèles qui fournissent un lest économique en période de turbulence.
« Pensez-y comme à la diversification d’un portefeuille mais appliquée à la stratégie économique nationale, » explique Maria Vasquez, partenaire à l’Institut mondial de McKinsey. « Les États-Unis seront toujours notre plus grand partenaire commercial, mais Carney comprend la différence entre concentration et surconcentration. »
Les critiques soutiennent que cette approche risque de diluer les ressources en capital limitées du Canada à travers trop d’initiatives. Le critique des finances conservateur Pierre Poilievre a récemment suggéré que le Canada devrait renforcer l’intégration nord-américaine plutôt que de « poursuivre des projets de vanité à travers le monde. » Cependant, les données d’investissement indiquent que la stratégie pourrait porter ses fruits.
Les investissements canadiens dans la région indo-pacifique ont généré des rendements moyens de 11,8% au cours des cinq dernières années, comparativement à 8,3% pour les investissements nord-américains, selon les recherches de BMO Marchés des capitaux. Cette différence de performance devient particulièrement significative compte tenu des taux de croissance prévus dans les économies émergentes par rapport aux marchés développés.
L’aspect humain de cette stratégie passe souvent inaperçu. Derrière les flux financiers se cachent des relations interpersonnelles renforcées qui créent de la résilience pendant les tensions politiques. Lorsque des dirigeants canadiens siègent à des conseils d’administration à Singapour, en Inde ou en Allemagne, ils créent des canaux diplomatiques informels qui fonctionnent indépendamment des positions gouvernementales officielles.
« Mark comprend que l’architecture financière est ultimement construite sur la confiance entre individus, pas seulement entre institutions, » dit Jennifer Chen, qui a travaillé avec Carney à la Banque d’Angleterre. « Il a toujours excellé à créer ces connections humaines qui sous-tendent les investissements réussis à long terme. »
Les implications pour les Canadiens ordinaires peuvent ne pas être immédiatement visibles mais pourraient s’avérer substantielles avec le temps. Les fonds de pension déployant du capital internationalement retournent ces profits aux retraités canadiens. Les entreprises élargissant leur empreinte mondiale créent des emplois de siège social au pays. Et peut-être plus important encore, la diversification économique réduit la vulnérabilité aux chocs de n’importe quel marché unique.
Les mois à venir mettront à l’épreuve les deux approches. L’administration Trump a signalé des tarifs potentiels généralisés qui affecteraient dramatiquement les exportateurs canadiens. Pendant ce temps, Carney continue de bâtir des coalitions autour de la finance climatique et l’innovation technologique qui pourraient ouvrir de nouveaux marchés indépendamment de la politique américaine.
« Ce qui est fascinant dans le moment actuel est la façon dont le Canada se prépare simultanément à deux avenirs très différents, » observe Eric Miller, président du Rideau Potomac Strategy Group. « Nous renforçons l’intégration nord-américaine à travers des initiatives comme l’ACEUM tout en construisant des voies alternatives grâce au travail de Carney. »
Pour les entreprises canadiennes naviguant dans cet environnement, la leçon semble être « les deux » plutôt que « l’un ou l’autre. » Les entreprises maintenant de solides relations américaines tout en explorant des opportunités en Europe, en Asie et au-delà sont positionnées pour résister à toutes les tempêtes économiques qui pourraient survenir.
Alors que l’hiver descend sur Ottawa, le travail discret de construction de l’architecture d’investissement international du Canada continue. Tandis que les tweets présidentiels et les menaces de tarifs font les manchettes, l’histoire la plus conséquente pourrait être le renforcement méthodique par Carney de la position financière mondiale du Canada—une stratégie qui regarde au-delà des cycles électoraux vers des décennies de sécurité économique.
Pour une nation prise entre les superpuissances dans un monde de plus en plus fracturé, cette réflexion à long terme pourrait s’avérer notre atout le plus précieux.