Alors que je regarde par la fenêtre d’un petit avion à turbopropulseurs qui descend sous la couverture nuageuse, le paysage du nord de la Colombie-Britannique se déploie sous mes yeux comme une tapisserie vivante. Des kilomètres de forêts denses s’étendent jusqu’à l’horizon, interrompus par les fils argentés des rivières qui serpentent vers le Pacifique. C’est le territoire au cœur du débat canadien sur les oléoducs, un endroit où les préoccupations écologiques, les ambitions économiques et les droits autochtones convergent dans des relations complexes et souvent tendues.
« Nous menons cette bataille depuis des générations », me confie Marian Williams, une aînée Wet’suwet’en que je rencontre à Smithers. « La terre ne nous soutient pas seulement physiquement—elle contient nos histoires, nos ancêtres, notre avenir. »
Le moratoire fédéral sur les pétroliers le long de la côte nord de la C.-B. a été célébré par les groupes environnementaux comme une protection cruciale pour les écosystèmes marins fragiles. Établi en 2019, le moratoire interdit aux pétroliers transportant plus de 12 500 tonnes métriques de pétrole brut ou persistant de s’arrêter dans les ports le long de la côte nord de la Colombie-Britannique. Mais les experts environnementaux et les dirigeants autochtones avertissent que se concentrer uniquement sur cette interdiction néglige les impacts écologiques plus larges que présente le développement des oléoducs nordiques.
Dr Karen Thompson, une écologiste du Centre de recherche sur le bassin versant du Pacifique qui étudie la région depuis plus de vingt ans, explique l’interdépendance des préoccupations. « L’interdiction des pétroliers répond à un risque important, mais la construction même des oléoducs menace les bassins versants critiques, perturbe les corridors fauniques et fragmente des écosystèmes sensibles qui sont restés largement intacts. »
Lors de ma visite du bassin versant de la rivière Skeena au printemps dernier, j’ai pu constater de mes propres yeux les conditions écologiques intactes qui pourraient être affectées. La Skeena, deuxième plus grande rivière non endiguée du Canada, soutient des migrations de saumon cruciales qui nourrissent à la fois la faune et les communautés côtières. Selon Pêches et Océans Canada, ces bassins versants abritent plus de 60 % des populations de saumon sauvage de la C.-B.
Thompson souligne les recherches de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique montrant que la construction d’oléoducs peut augmenter les taux d’érosion jusqu’à 300 % dans les régions montagneuses, ce qui a un impact direct sur la qualité de l’eau dans ces ruisseaux à saumon. « Ce qui se passe en amont affecte inévitablement tout l’écosystème en aval », note-t-elle.
Au-delà de la qualité de l’eau, les impacts sur la faune s’étendent tout au long des corridors proposés. Les troupeaux de caribous des bois, déjà classés comme menacés en vertu de la Loi sur les espèces en péril, dépendent d’un habitat non perturbé que les emprises d’oléoducs diviseraient. Une étude de 2022 publiée dans Conservation Biology a documenté comment les perturbations linéaires comme les oléoducs peuvent augmenter les taux de prédation des caribous en créant des corridors de déplacement pour les loups.
Le tracé proposé traverse également certains des habitats d’ours grizzlys les plus productifs d’Amérique du Nord. « Ce ne sont pas seulement des préoccupations environnementales », explique Raymond Harris, chasseur et guide de la Nation Gitxsan. « Ce sont des préoccupations culturelles. Nos traditions dépendent de populations saines de saumon, d’orignal et de baies—qui dépendent toutes d’écosystèmes intacts. »
Pendant ma semaine de voyage dans la région, j’ai passé du temps avec des membres de plusieurs nations dont les territoires seraient traversés par des infrastructures d’oléoducs. Leurs préoccupations s’étendaient constamment au-delà du potentiel de déversements marins.
« L’accent mis sur les pétroliers semble être une distraction », affirme Marlene Jackson, coordonnatrice d’évaluation environnementale pour la Nation Haïda. « Nous sommes tout aussi préoccupés par les impacts quotidiens—l’augmentation de l’activité industrielle, la fragmentation de l’habitat et les effets cumulatifs du développement déjà en cours. »
Les effets cumulatifs mentionnés par Jackson sont confirmés par les données provinciales. Un rapport de 2023 du Bureau d’évaluation environnementale de la C.-B. reconnaît que le développement industriel dans le nord de la C.-B. a déjà modifié environ 20 % du territoire, principalement par l’exploitation forestière, minière et les infrastructures énergétiques existantes.
Les représentants de l’industrie et les défenseurs du développement économique répliquent que la technologie moderne des oléoducs a considérablement réduit les risques environnementaux. Ils soulignent les systèmes de surveillance avancés, les matériaux de tuyauterie plus épais dans les zones sensibles et les capacités d’arrêt automatique qui peuvent détecter et répondre aux fuites en quelques minutes.
« Ce ne sont pas les oléoducs d’il y a vingt ans », déclare Michael Robertson, porte-parole de l’Association canadienne des infrastructures énergétiques. « L’industrie a investi des milliards dans des améliorations de sécurité, et nos normes de protection environnementale dépassent celles de la plupart des pays à l’échelle mondiale. »
Robertson souligne les avantages économiques potentiels pour les communautés confrontées à un chômage persistant. Selon Statistique Canada, les taux de chômage dans le nord de la C.-B. sont constamment de 3 à 4 points de pourcentage plus élevés que les moyennes provinciales. « Ces projets représentent des opportunités générationnelles pour un développement économique durable », fait-il valoir.
Mais pour de nombreux résidents, l’argument économique n’est pas simple. Des opérateurs touristiques comme Jessica Wilson, qui dirige un service de guide en milieu sauvage près de Terrace, considèrent que leurs moyens de subsistance sont directement menacés par le développement industriel. « Mon entreprise existe parce que cet endroit est encore sauvage », me dit Wilson alors que nous pagayons devant des nids d’aigles sur la Skeena. « Nos clients viennent du monde entier spécifiquement parce qu’il s’agit de l’une des dernières forêts pluviales tempérées intactes. Une fois disparue, c’est fini. »
Les climatologues soulignent également que les nouvelles infrastructures de combustibles fossiles contredisent les engagements du Canada en matière de réduction des émissions. Dr Simon Parker du Réseau Action Climat note que l’engagement du gouvernement fédéral à réduire les émissions de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030 devient de plus en plus difficile avec l’expansion du développement pétrolier et gazier. « Chaque nouvel oléoduc verrouille effectivement des décennies d’émissions », explique Parker.
Alors que le soleil se couche sur les montagnes côtières, je m’assieds avec Williams devant sa maison. Elle parle doucement des générations de sa famille qui ont vécu en relation avec cette terre. « Nous ne nous opposons pas au développement parce que nous voulons vivre dans le passé », dit-elle. « Nous nous opposons à certains types de développement parce que nous voulons qu’il y ait un avenir—pour nos petits-enfants, pour le saumon, pour tout le monde. »
Le débat sur les oléoducs du nord de la C.-B. transcende finalement l’interdiction des pétroliers, révélant des questions plus profondes sur la voie à suivre pour le Canada. Alors que les propositions d’oléoducs continuent de naviguer dans les processus réglementaires, ce qui ressort clairement de mon séjour dans la région, c’est que les préoccupations environnementales sont aussi interconnectées que les écosystèmes eux-mêmes.