L’air frais des montagnes tourbillonnait autour de nous alors que je posais le pied sur le terrain de ce qui deviendrait bientôt le nouveau foyer de la plus ancienne académie de brassage d’Amérique. Nichée aux abords forestiers de Chilliwack, en Colombie-Britannique, la grange centenaire en rénovation racontait une histoire de transformation – pas seulement de cet espace, mais d’un héritage brassicole de 150 ans effectuant une traversée frontalière sans précédent.
« Nous n’avions jamais imaginé quitter le Wisconsin, » avoue Michael Kallenberger, directeur de l’Institut Siebel de Technologie, alors qu’il me guide à travers le chantier. Ses doigts tracent les poutres en bois patinées qui soutiendront bientôt des équipements de brassage ultramodernes. « Mais parfois, la préservation exige le mouvement. »
Fondé en 1872, l’Institut Siebel est la plus ancienne école de brassage d’Amérique du Nord, ayant formé des générations de maîtres brasseurs qui ont façonné le paysage brassicole du continent. Leur décision de déménager au Canada après un siècle et demi à Chicago représente plus qu’un simple changement d’adresse – elle signale l’évolution des courants dans la culture et l’éducation brassicole nord-américaine.
Ce déménagement est survenu après que l’institut ait fait face à des défis croissants dans son emplacement chicagoan, notamment des coûts d’exploitation prohibitifs et des obstacles réglementaires de plus en plus complexes. Lorsque l’entreprise brassicole canadienne Chilliwack Hops a proposé une relocalisation sur leur campus agricole et brassicole en expansion, Siebel y a vu l’opportunité de se réinventer tout en préservant son patrimoine.
Pour la communauté grandissante de la bière artisanale en Colombie-Britannique, cette arrivée ressemble à une validation. « Cela place l’éducation brassicole canadienne sur la carte mondiale, » explique Janelle Brouwer, maître-brasseuse chez Strange Fellows Brewing à Vancouver et elle-même diplômée de Siebel. « Les étudiants n’apprendront pas seulement la science du brassage ici – ils seront immergés dans l’une des régions de culture du houblon les plus innovantes d’Amérique du Nord. »
La relocalisation implique le transport d’équipements historiques, d’archives et de traditions brassicoles développées sur quinze décennies. Lors de ma visite, j’ai observé des ouvriers déballer soigneusement des cuves en cuivre et du matériel de laboratoire qui ont formé des milliers de brasseurs, y compris les fondateurs de brasseries emblématiques comme Goose Island et Sierra Nevada.
« Chaque pièce porte en elle un savoir, » explique Emma Christensen, instructrice à l’institut, en déballant un microscope des années 1920 utilisé pour enseigner la biologie des levures à des générations. « Ce ne sont pas de simples outils – ce sont des dépositaires de l’histoire brassicole. »
Les autorités canadiennes ont accueilli cette arrivée avec enthousiasme. Selon les statistiques d’Agriculture Canada, la bière artisanale contribue à plus de 4,3 milliards de dollars annuellement à l’économie canadienne, la Colombie-Britannique menant la croissance provinciale à 17% d’année en année depuis 2018. Le gouvernement provincial a fourni 800 000 dollars en subventions éducatives pour soutenir la transition de l’institut.
Mais tous ne célèbrent pas ce déménagement. À Chicago, où l’institut a opéré pendant la majeure partie de son histoire, certains y voient une perte culturelle. « Siebel a formé des brasseurs pendant la Prohibition, deux Guerres mondiales et la révolution de la bière artisanale, » se lamente Randy Mosher, historien brassicole de Chicago. « Ce lien avec le lieu est important. »
Lorsque j’ai visité le campus de Chicago presque vide le mois dernier, les salles de classe vidées résonnaient de décennies de connaissances brassicoles. Un concierge balayant les sols m’a parlé des célèbres brasseurs qui avaient parcouru ces couloirs. « Maintenant, toute cette histoire s’en va vers le nord, » a-t-il dit en haussant les épaules.
L’institut prévoit d’accueillir sa première cohorte d’étudiants basée au Canada en septembre prochain. Les demandes ont explosé, avec des étudiants potentiels de 23 pays ayant déjà sécurisé leur place. Le programme relocalisé maintiendra son curriculum intensif tout en ajoutant de nouveaux éléments axés sur la durabilité et les connexions agricoles au brassage.
« Nous construisons quelque chose qui honore la tradition tout en embrassant l’innovation, » explique Hannah Taylor, maître-brasseuse canadienne supervisant le développement du curriculum. Alors que nous traversons les champs de houblon adjacents au nouveau campus, elle indique des variétés expérimentales développées spécifiquement pour les conditions climatiques changeantes. « Les étudiants verront littéralement leurs ingrédients pousser devant les fenêtres de leur salle de classe. »
Pour les étudiants actuels en brassage, la relocalisation offre des perspectives inattendues. « Je me suis inscrit en pensant étudier à Chicago, mais maintenant je vis une expérience complètement différente, » témoigne Miguel Fernandez, qui a quitté le Mexique pour étudier le brassage. « Ce paysage façonne des saveurs différentes, des approches différentes. »
Au-delà de la formation technique, le déménagement de l’institut représente des tendances plus larges dans le brassage artisanal nord-américain. L’industrie fait face à des pressions de consolidation, avec des entreprises multinationales acquérant des brasseries indépendantes et le changement climatique affectant les régions de culture traditionnelles. La production canadienne de houblon a augmenté de 43% depuis 2019 selon Agriculture Canada, en partie en réponse aux conditions de culture difficiles dans les régions houblonnières traditionnelles américaines.
Alors que le soir tombe sur le chantier, Kallenberger et moi regardons les ouvriers installer des cuves étincelantes qui captent la dernière lumière. « La bière connecte les gens au-delà des frontières, » réfléchit-il. « C’est peut-être ce que nous enseignons réellement – comment le brassage transcende les limites. »
Le voyage vers le nord de l’Institut Siebel représente quelque chose de rarement observé : une institution historique américaine choisissant le Canada comme son avenir. Lorsque les cours commenceront cet automne, des étudiants du monde entier se réuniront dans cette grange transformée pour apprendre des techniques centenaires tout en surplombant les champs de houblon canadiens – un rappel que la tradition trouve parfois de nouvelles racines dans des lieux inattendus.
En retournant vers ma voiture, je remarque quelque chose de poétique : des ouvriers installent une enseigne en bois patiné récupérée du campus de Chicago. Elle indique simplement « Est. 1872 » – la date demeurant inchangée, alors même que tout le reste se transforme.