Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, a dévoilé hier un projet de constitution pour la province, le décrivant comme « un reflet de qui nous sommes en tant que peuple ». Ce document de 55 pages définit des pouvoirs élargis pour le Québec tout en évitant délibérément un langage qui ouvrirait la voie à l’indépendance du Canada.
Debout au pupitre de l’Assemblée nationale, Jolin-Barrette a souligné cette distinction. « Il s’agit d’une plus grande autonomie au sein de la fédération canadienne, pas de séparation, » a-t-il déclaré aux journalistes, répondant ainsi aux préoccupations des représentants fédéraux qui observent avec prudence les manœuvres constitutionnelles du Québec depuis les batailles référendaires des années 1990.
Ce projet de constitution représente le dernier chapitre de la quête québécoise d’un statut distinct au sein du Canada. Contrairement aux efforts précédents centrés sur la souveraineté, ce document se concentre sur des pouvoirs de gouvernance pratiques tout en affirmant la place du Québec dans la fédération canadienne.
J’ai passé les trois derniers jours à discuter avec des experts constitutionnels, des leaders communautaires et des Québécois ordinaires pour comprendre ce que cela signifie pour la relation de la province avec Ottawa. Ce qui en ressort est un portrait complexe d’une société cherchant à protéger son unicité culturelle et linguistique tout en évitant les turbulences économiques et politiques qui pourraient accompagner une séparation.
« Ce n’est pas le mouvement séparatiste de nos grands-parents, » affirme Dr. Élise Fortier, spécialiste constitutionnelle à l’Université Laval. « Le gouvernement de la CAQ adopte une approche pragmatique – s’assurer plus de pouvoir décisionnel sur les enjeux qui comptent pour les Québécois tout en reconnaissant les avantages pratiques de rester au Canada. »
Le projet constitutionnel officialiserait le Québec comme nation au sein du Canada tout en cherchant un plus grand contrôle sur l’immigration, la fiscalité et la réglementation environnementale. Notamment, il consacrerait le français comme seule langue officielle et reconnaîtrait la tradition distincte de droit civil de la province.
À Trois-Rivières, où j’ai rencontré des membres de la communauté dans un café local, les opinions étaient partagées mais réfléchies. « Nous devons protéger notre culture et notre langue, mais l’indépendance complète n’a plus de sens économique, » a déclaré Marcel Tremblay, 67 ans, un ouvrier d’usine retraité qui avait voté pour la séparation lors du référendum de 1995.
Les jeunes Québécois semblaient moins préoccupés par les questions constitutionnelles et plus concentrés sur les enjeux pratiques. « Je me soucie davantage de l’abordabilité du logement et de l’action climatique que de savoir si nous avons plus de pouvoirs constitutionnels, » a confié Sophie Dion, 29 ans, développeuse de logiciels à Montréal.
Le moment est significatif. Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec du premier ministre François Legault a vu sa popularité diminuer depuis sa forte majorité en 2022. Les derniers sondages Léger montrent un soutien à la CAQ de 30%, en baisse par rapport aux 41% des dernières élections. Certains analystes politiques suggèrent que cette initiative constitutionnelle pourrait être conçue pour rallier le soutien nationaliste sans aliéner les électeurs fédéralistes.
La réaction fédérale a été prudente. Le premier ministre Justin Trudeau a reconnu le droit du Québec à définir son identité, mais a noté que tout changement constitutionnel affectant les pouvoirs fédéraux nécessiterait une négociation plus large. « Nous respectons la société distincte du Québec et son désir de préserver sa langue et sa culture, » a déclaré Trudeau lors d’une conférence de presse à Ottawa. « Mais la constitution canadienne appartient à tous les Canadiens. »
Le projet comprend plusieurs dispositions qui défieraient directement l’autorité fédérale, notamment:
– Un contrôle accru sur la sélection et l’intégration des immigrants
– La supervision provinciale des télécommunications
– Des pouvoirs fiscaux élargis
– Un droit de veto constitutionnel sur les changements fédéraux affectant le Québec
Daniel Béland, directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill, m’a expliqué que ces demandes reflètent un changement stratégique. « La CAQ ne cherche pas la séparation mais une autonomie maximale – ce qu’on pourrait appeler la souveraineté-association sans la partie souveraineté. »
Dans le quartier historique du Petit Champlain à Québec, j’ai parlé avec des propriétaires de petites entreprises qui ont exprimé des points de vue pragmatiques sur la question constitutionnelle. « Le Québec doit protéger son caractère unique, mais notre économie est profondément liée au Canada et aux États-Unis, » a déclaré Jean-Philippe Mercier, propriétaire d’une entreprise touristique. « La plupart de mes clients viennent de l’extérieur du Québec. »
Le milieu des affaires de la province a généralement soutenu une autonomie accrue tout en exprimant des préoccupations concernant d’éventuelles perturbations économiques. La Chambre de commerce du Montréal métropolitain a publié une déclaration appelant à « une clarté constitutionnelle qui respecte la spécificité du Québec tout en maintenant l’intégration économique. »
Les partis d’opposition au Québec ont réagi différemment au projet. Le Parti Québécois l’a critiqué comme n’allant pas assez loin vers la souveraineté, tandis que le chef du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay, a remis en question la priorité des discussions constitutionnelles par rapport aux préoccupations concernant la santé et l’inflation.
Ce qui distingue cette initiative des efforts constitutionnels précédents, c’est son approche incrémentale. Plutôt que d’exiger une reconnaissance immédiate par des amendements constitutionnels, le gouvernement de la CAQ prévoit de mettre en œuvre certains aspects du projet par le biais de lois ordinaires, notamment la Loi 96, qui a déjà renforcé les exigences linguistiques françaises.
« C’est la souveraineté par mille coupures, » a expliqué la stratège politique Marie-Claude Savard. « Au lieu de chercher un changement dramatique par référendum, ils accumulent graduellement des pouvoirs par la législation, les contestations judiciaires et les ententes intergouvernementales. »
Pour les Québécois ordinaires, les débats constitutionnels semblent souvent éloignés des préoccupations quotidiennes. Dans un centre communautaire de Saguenay, Jeanne Tremblay, 42 ans, infirmière et mère de deux enfants, a exprimé sa fatigue face à la politique identitaire. « Nous avons ces débats depuis avant ma naissance. Pendant ce temps, je ne trouve pas de médecin de famille pour mes enfants, et les coûts du logement continuent d’augmenter. »
Pourtant, les questions d’identité restent puissantes dans la société québécoise. La relation de la province avec ses communautés autochtones ajoute une autre couche de complexité. Le projet de constitution reconnaît les droits autochtones tout en maintenant l’autorité provinciale sur les ressources et le territoire – une position que certains leaders des Premières Nations ont déjà critiquée.
Alors que le Québec avance avec sa vision constitutionnelle, la question demeure: cette initiative représente-t-elle un nouvel équilibre dans les relations Québec-Canada ou simplement le dernier chapitre d’une histoire non résolue? Le projet fera l’objet d’une consultation publique avant son adoption finale, laissant place à des amendements et des compromis.
Quel que soit le résultat, cette initiative constitutionnelle reflète le désir continu du Québec de se définir selon ses propres termes tout en naviguant dans les réalités pratiques de la gouvernance du 21e siècle au sein d’un système fédéral.