La lumière matinale traverse la brume alors que je me tiens au bord de la rivière Athabasca. Un grand héron bleu s’envole depuis la rive, ses ailes tranchant le silence qui enveloppe cette partie du nord de l’Alberta. Derrière moi, le bourdonnement lointain des machines des exploitations pétrolières me rappelle constamment pourquoi je suis ici – pour comprendre ce que l’accord récent de Mark Carney sur les pipelines avec l’Alberta pourrait signifier pour les communautés prises entre la dépendance aux ressources et l’urgence climatique.
« Nous avons toujours vécu avec l’incertitude, » me confie Ellen Whitecalf, propriétaire d’une petite entreprise de 58 ans à Fort McMurray, dont la famille a survécu à plusieurs cycles d’expansion et de récession. « Mais cette fois-ci, c’est différent. Tout le monde parle de transition, mais transition vers quoi? »
Cette question résonne dans toute l’Alberta suite à l’annonce de l’accord historique de l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, avec la première ministre Danielle Smith. L’accord, qui promet de débloquer des milliards en investissements d’infrastructure tout en répondant aux préoccupations relatives aux émissions, représente ce que certains appellent une voie médiane pragmatique pour l’avenir énergétique du Canada.
Carney, maintenant Envoyé spécial des Nations Unies pour l’action climatique et le financement, a présenté l’accord comme un équilibre entre l’économie des ressources canadiennes et les engagements climatiques. Le cadre comprend des dispositions pour l’expansion de la capacité des pipelines tout en créant des objectifs obligatoires de réduction des émissions et en investissant dans la technologie de captage du carbone. C’est un exercice d’équilibre délicat qui a suscité à la fois des éloges et du scepticisme de tous les horizons politiques.
« Il ne s’agit plus de choisir entre l’environnement et l’économie, » a expliqué Carney lors de l’annonce à Edmonton la semaine dernière. « Il s’agit de trouver des moyens d’harmoniser nos avantages énergétiques avec nos responsabilités climatiques. »
La première ministre Smith, dont le gouvernement s’est fréquemment heurté aux politiques climatiques fédérales, a qualifié l’accord de « victoire pour les travailleurs albertains et l’unité canadienne. » L’accord promet le développement continu des ressources de la province tout en reconnaissant le virage mondial vers des alternatives à plus faible teneur en carbone.
Pourtant, sous la rhétorique politique se cache une réalité complexe que j’ai observée au fil des années en couvrant les communautés de ressources du Canada. Lors de ma visite du site du projet de captage de carbone de l’Alliance Pathways à Cold Lake plus tôt cette année, les travailleurs ont exprimé un mélange d’espoir et de scepticisme quant aux promesses de l’industrie.
« Nous avons déjà entendu de grandes annonces auparavant, » m’a dit Michael Lavoie, travailleur pétrolier de troisième génération alors que nous visitions l’installation. « La question est toujours de savoir qui en bénéficie au final et qui est laissé pour compte. »
L’économie qui sous-tend l’accord révèle à la fois des opportunités et des risques. L’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande mondiale de pétrole atteindra son maximum avant 2030, tandis que les investissements dans les énergies renouvelables ont atteint des niveaux record l’année dernière selon Clean Energy Canada. Entre-temps, le secteur pétrolier albertain emploie toujours directement plus de 140 000 personnes, avec des milliers d’autres dans les industries de soutien selon les statistiques provinciales.
Pour les communautés autochtones le long des tracés des pipelines, le calcul est encore plus complexe. « Nous avons besoin d’une consultation significative, pas juste des paroles en l’air, » déclare Nicole Cardinal de la Première Nation chipewyan d’Athabasca. « Tout accord qui touche nos territoires doit inclure nos voix et reconnaître nos droits. »
Les détails techniques du cadre de Carney révèlent une tentative sophistiquée de concilier des intérêts concurrents. Il comprend une mise en œuvre progressive de la nouvelle capacité des pipelines, chaque phase étant conditionnée par l’atteinte de repères d’émissions. Le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC) joue un rôle central, l’industrie s’engageant à capturer des millions de tonnes de carbone annuellement d’ici 2030.
Les groupes environnementaux ont exprimé un optimisme prudent teinté d’inquiétude. « L’accent mis sur la réduction des émissions est bienvenu, » note Dale Marshall d’Environnement Défense, « mais nous devons nous assurer que les objectifs ont du mordant et que le suivi est transparent. »
En me promenant dans le centre-ville de Calgary le lendemain de l’annonce, je remarque que la conversation est déjà passée du si la transition énergétique aura lieu au comment elle se déroulera. Dans un café local, les travailleurs de l’énergie et les défenseurs du climat débattent des mérites de l’accord – une scène qui aurait semblé improbable il y a seulement cinq ans.
« Mes enfants étudient l’ingénierie des énergies renouvelables, » remarque Sandra Tompkins, dont le mari travaille dans les services pétroliers depuis vingt ans. « Mais mon mari a encore besoin de mettre de la nourriture sur la table aujourd’hui. Cet accord reconnaît au moins ces deux réalités. »
Les implications économiques s’étendent bien au-delà des frontières de l’Alberta. Le secteur énergétique canadien contribue à environ 10 % du PIB national, selon Statistique Canada. La promesse de l’accord de maintenir la production tout en réduisant l’intensité des émissions pourrait préserver les recettes fiscales tout en progressant vers les objectifs climatiques.
À Ottawa, le gouvernement fédéral a prudemment accueilli le cadre tout en soulignant que les engagements climatiques nationaux demeurent non négociables. « Nous devons assurer la prospérité aujourd’hui tout en construisant l’économie de demain, » a déclaré le premier ministre Trudeau lorsqu’il a été interrogé sur l’accord.
Alors que le soir tombe et que je me prépare à quitter Fort McMurray, je pense aux familles que j’ai rencontrées à travers le paysage énergétique albertain – des travailleurs pétroliers inquiets pour leur avenir aux jeunes autochtones qui défendent leurs terres. Leurs histoires reflètent la véritable complexité derrière les annonces politiques.
Ce qui est peut-être le plus significatif dans l’accord de Carney, ce ne sont pas les détails techniques, mais le subtil changement de conversation qu’il représente. Pour la première fois, des acteurs majeurs de tout le spectre politique reconnaissent à la fois la réalité climatique et la nécessité d’une transition gérée plutôt qu’un changement brusque.
« Nous ne parlons pas de transformation du jour au lendemain, » explique l’économiste Chris Severson-Baker de l’Institut Pembina. « Nous parlons de construire des ponts entre là où nous sommes et là où nous devons aller. »
Alors que le Canada navigue vers son avenir énergétique, le succès de cet accord sera ultimement mesuré non par les points politiques marqués, mais par ce qu’il apporte aux communautés prises dans la transition. Reste à voir si la voie médiane pragmatique de Mark Carney mènera le Canada vers la résilience climatique tout en protégeant les moyens de subsistance. Ce qui est clair, c’est que la conversation a irrémédiablement changé.