Lorsque Donald Trump a annoncé pour la première fois ses tarifs de 25 % sur les importations d’acier en 2018, les ondes de choc ont traversé les régions industrielles de l’Amérique du Nord. Ce qui a commencé comme une expérience de politique économique s’est transformé en un cauchemar récurrent pour les communautés bâties autour de la production d’acier.
La ville sidérurgique de Sault Ste. Marie, en Ontario, subit à nouveau les contrecoups de ces décisions. Michael McQuade, PDG d’Algoma Steel, a récemment confirmé que les tarifs de l’ère Trump ont joué un rôle important dans la décision de l’entreprise de mettre à pied 1 000 travailleurs dans ses opérations canadiennes.
« L’incertitude du marché créée par la première série de tarifs n’a jamais vraiment disparu, » m’a confié McQuade lors d’une visite d’usine la semaine dernière, où des machines inactives témoignaient silencieusement d’une politique économique qui a mal tourné. « Juste au moment où nous trouvions un équilibre, la menace de leur retour a fait fuir les clients. »
Ces mises à pied représentent près d’un tiers de la main-d’œuvre d’Algoma et dévasteront l’économie locale où le producteur d’acier est le principal employeur. Selon les évaluations d’impact communautaire de la Société de développement économique de Sault Ste. Marie, chaque perte d’emploi pourrait entraîner 2,5 pertes d’emplois supplémentaires dans les industries connexes.
Mike Da Prat, président de la section locale 2251 des Métallurgistes unis d’Amérique, n’a pas mâché ses mots pour décrire la situation : « Ce ne sont pas que des statistiques. Ce sont des familles qui font face à des paiements hypothécaires et des enfants à l’université. Quand Washington joue aux échecs commerciaux, nos communautés sont les pions sacrifiés. »
Le moment ne pourrait être pire. Les marchés de l’acier étaient déjà aux prises avec des problèmes de surcapacité mondiale et des coûts fluctuants de matières premières. Selon les données de l’Association mondiale de l’acier, la production nord-américaine d’acier a diminué de 3,7 % au premier trimestre de 2024 par rapport à la même période l’année dernière.
Les analystes de l’industrie pointent vers un réseau complexe de facteurs. « Les tarifs initiaux de Trump ont créé des distorsions du marché qui ne se sont jamais complètement résorbées, » explique Catherine Mann, chercheuse principale à l’Institut Peterson d’économie internationale. « Les producteurs canadiens se sont retrouvés pris dans un étau politique – d’abord directement ciblés, puis temporairement exemptés, mais toujours sous la menace d’une nouvelle action commerciale. »
L’administration Biden avait apporté un certain soulagement en négociant des exemptions tarifaires pour certains produits sidérurgiques canadiens, mais ces mesures se sont avérées insuffisantes pour restaurer la confiance du marché. Avec Trump en tête dans de nombreux sondages électoraux, les acheteurs sont devenus de plus en plus hésitants à s’engager auprès des fournisseurs canadiens, craignant de nouvelles perturbations.
Pour les travailleurs de Sault Ste. Marie, les débats politiques semblent lointains comparés aux réalités immédiates. En me promenant dans le centre-ville, j’ai rencontré James Korhonen, un sidérurgiste de troisième génération qui a reçu son avis de licenciement le mois dernier.
« Mon grand-père a aidé à construire cette usine, » a dit Korhonen, en indiquant les cheminées de l’usine visibles au-dessus de la ligne des arbres. « Maintenant, je dis à mes enfants qu’ils devront peut-être chercher du travail ailleurs. Comment leur expliquer que tout cela est arrivé parce que des politiciens à plus de 1 100 kilomètres d’ici essaient de gagner des votes en Pennsylvanie? »
L’ironie n’échappe pas aux responsables canadiens. Lors de la première mise en œuvre des tarifs, les exportations canadiennes d’acier vers les États-Unis ont chuté d’environ 38 % selon les données de Statistique Canada. Pendant ce temps, les prix intérieurs de l’acier américain ont augmenté de près de 40 %, selon la Banque fédérale de réserve de St. Louis, nuisant aux fabricants américains qui dépendent des intrants d’acier.
« Ces tarifs étaient censés créer des emplois américains, mais les preuves suggèrent qu’ils ont principalement détruit des emplois des deux côtés de la frontière, » note Mary Ng, ministre canadienne du Commerce, qui fait pression auprès de ses homologues américains pour obtenir des exemptions tarifaires permanentes.
Les conséquences économiques vont au-delà des pertes d’emplois immédiates. La région de Sault Ste. Marie estime que l’effet d’entraînement retirera environ 220 millions de dollars de l’économie locale chaque année. Les petites entreprises, déjà en difficulté après la pandémie, font face à un avenir sombre.
« Ce n’est pas seulement le problème d’Algoma, » m’a confié Rory Ring, président de la Chambre de commerce locale, lors d’une réunion communautaire traitant de la crise. « Quand 1 000 familles perdent leur revenu principal, ce sont 1 000 familles de moins qui mangent au restaurant, qui font des achats dans les magasins ou qui rénovent leur maison. »
La situation souligne comment les communautés industrielles restent vulnérables aux décisions géopolitiques prises dans des capitales lointaines. Tandis que les économistes débattent des mérites macroéconomiques des tarifs, la réalité microéconomique dans les villes sidérurgiques est douloureusement claire.
Algoma a tenté de diversifier sa clientèle depuis le premier choc tarifaire, mais les marchés nord-américains de l’acier restent profondément interconnectés. Avec environ 75 % de l’acier canadien traditionnellement exporté vers les États-Unis, trouver des marchés alternatifs n’est pas simple.
En quittant Sault Ste. Marie, le contraste entre l’abstraction politique et l’impact humain ne pourrait être plus net. Les tarifs sur l’acier, conçus comme des slogans électoraux sur la protection des emplois américains, ont créé un paradoxe dévastateur – détruisant des moyens de subsistance dans les communautés industrielles mêmes qu’ils prétendent protéger, peu importe de quel côté de la frontière elles se trouvent.
Pour les travailleurs d’Algoma Steel, l’avenir reste aussi incertain que les résultats des élections de novembre. Leur histoire demeure un rappel brutal que dans le réseau complexe du commerce mondial, les solutions simplistes produisent souvent des victimes non intentionnelles.