Alors que le froid automnal s’installe sur Ottawa, je suis assis face à l’inspecteur Kai Jackson dans un petit café non loin de la Colline du Parlement. Son uniforme est absent aujourd’hui, remplacé par un chandail gris charbon qui fait paraître ses 25 ans de service policier à la fois lointains et omniprésents. La vapeur de son café intact s’élève entre nous tandis qu’il raconte son parcours.
« J’ai rejoint les forces policières en 1998 parce que je croyais en quelque chose de simple – que les communautés fonctionnent mieux quand elles se voient reflétées dans ceux qui les servent, » me confie Jackson, sa voix portant le poids de quelqu’un qui a observé l’institution de l’intérieur. « Être Noir dans la police canadienne signifie naviguer entre deux mondes qui parfois ne se comprennent pas.«
L’expérience de Jackson reflète ce que les chercheurs de l’Association canadienne des chefs de police ont documenté l’an dernier – que les agents issus des minorités deviennent souvent des ponts officieux entre leurs services et leurs communautés, assumant des responsabilités que leurs collègues blancs rencontrent rarement.
Des données récentes de Statistique Canada montrent que les minorités visibles ne représentent que 8,1% des policiers à l’échelle nationale, malgré qu’elles constituent plus de 22,3% de la population canadienne. Dans les grands centres urbains comme Toronto et Vancouver, ce décalage devient encore plus frappant.
« L’écart ne concerne pas seulement les chiffres, » explique Dre Elena Mendez, experte en études policières à l’Université Carleton. « Il s’agit de savoir quelles perspectives façonnent les politiques, quelles voix sont entendues dans les salles de briefing et, ultimement, quelles expériences influencent notre façon de protéger nos communautés. »
Pour Jackson, cet écart s’est manifesté dans d’innombrables petits moments tout au long de sa carrière – être confondu avec un suspect en civil, voir son autorité remise en question lors d’interventions de routine, ou faire face au scepticisme subtil de ses collègues lorsqu’il évoque les préoccupations communautaires.
« Il y a eu cet appel au début de ma carrière, » se souvient Jackson, faisant une pause pour enfin siroter son café refroidissant. « Une dispute familiale dans un quartier majoritairement blanc. Quand je suis arrivé, le propriétaire m’a immédiatement demandé mon numéro de badge et a réclamé ‘un autre agent’ avant même que j’aie prononcé un seul mot.«
Ces expériences ne sont pas des incidents isolés. Un sondage exhaustif de 2021 mené par l’Association canadienne des policiers a révélé que 78% des agents issus de minorités visibles ont signalé avoir subi une forme de traitement différentiel, soit du public ou de collègues, contre 23% des agents blancs.
L’ascension de Jackson dans la hiérarchie n’a pas éliminé ces défis, mais en a changé la nature. « En tant qu’agent, il s’agissait de faire mes preuves à chaque intervention. En tant qu’inspecteur, il s’agit de m’assurer que ma voix porte le même poids