Au centre communautaire animé de Winnipeg, Mina Chen tient un sac de livres pour enfants d’une main et un pain aux bananes fait maison de l’autre. Elle est ici pour ce que les habitants appellent un « marché gratuit » – mais aucun argent ne changera de mains aujourd’hui. À la place, elle échangera ses offrandes contre des bottes d’hiver dont sa fille a désespérément besoin.
« Mon salaire n’a pas suivi l’augmentation des factures d’épicerie, sans parler du reste, » confie Chen, assistante dentaire et mère célibataire. « Ces groupes d’échange sont devenus mon filet de sécurité financière. »
Partout au Canada, les communautés font revivre discrètement une pratique économique ancestrale – le troc – à travers des réseaux en ligne sophistiqués. Des groupes Facebook avec des noms comme « Échangez ce que vous avez » et « Canadiens sans argent » ont connu une explosion du nombre de membres, le plus important comptant maintenant plus de 25 000 participants.
Cette montée reflète plus qu’une simple innovation numérique. Pour de nombreux Canadiens, ces groupes représentent une survie économique dans un pays où l’inflation a récemment atteint un sommet de 8,1% – le taux le plus élevé depuis près de quatre décennies. Selon Statistique Canada, les prix alimentaires ont augmenté de 9,7% en glissement annuel en 2022, tandis que les coûts de logement continuent de grimper dans la plupart des grands centres.
« Nous observons la participation de groupes démographiques qui traditionnellement ne s’engageraient pas dans l’économie informelle, » explique Dr. Josephine Wai, anthropologue économique à l’Université McGill qui étudie les économies alternatives. « Des familles de classe moyenne, des aînés à revenu fixe et des jeunes professionnels se tournent tous vers ces réseaux. »
Le fonctionnement de ces groupes varie. Certains fonctionnent comme des systèmes de troc direct – une tarte maison contre une vidange d’huile, des heures de gardiennage contre l’entretien de la pelouse. D’autres ont développé des systèmes de crédit sophistiqués où les membres gagnent des points pour les biens ou services qu’ils fournissent, qui peuvent être échangés plus tard.
À Halifax, « Le Collectif d’Échange Maritime » utilise un tableur pour suivre les échanges de ses 12 000 membres. Le coordinateur Trevor MacLean affirme que leur adhésion a doublé depuis 2021.
« Ce qui a commencé comme un projet de pandémie est devenu quelque chose de beaucoup plus important quand l’inflation a frappé, » explique MacLean lors de notre entretien téléphonique. « Nous avons facilité tout, des soins dentaires aux réparations domiciliaires, sans qu’un dollar ne change de mains. »
Ces réseaux opèrent dans des zones grises juridiques. Bien que le troc en lui-même soit légal, l’Agence du revenu du Canada exige techniquement que les participants déclarent la juste valeur marchande des biens et services reçus par troc sur leurs déclarations de revenus. Cependant, l’application est pratiqu