Dans le bourdonnement silencieux de la machine politique d’Ottawa, quelque chose d’inhabituel se prépare. Mark Carney, le tout nouveau Premier ministre du Canada, s’apprête à participer à ce qui pourrait être la rencontre diplomatique la plus déterminante de son leadership naissant – un sommet en tête-à-tête avec l’ancien et désormais réélu président américain Donald Trump.
Les enjeux ne pourraient être plus élevés pour les Canadiens ordinaires. De l’ouvrier automobile à Windsor qui s’inquiète des tarifs douaniers au fermier de la Saskatchewan préoccupé par les exportations de céréales, cette rencontre façonnera les conversations à table dans tous les foyers d’un océan à l’autre.
« Ce n’est pas qu’une simple cérémonie diplomatique, » affirme Catherine McKenna, ancienne ministre de l’Environnement qui a travaillé avec Carney pendant son passage à la Banque du Canada. « Carney comprend la mentalité d’affaires de Trump mieux que la plupart des politiciens. Il parle le langage des marchés qui résonne avec le président américain. »
Le moment semble presque théâtral. Carney, le technocrate devenu politicien, face à Trump, l’homme d’affaires devenu président pour deux mandats, chacun représentant des visions de gouvernance radicalement différentes mais chargés de gérer la plus importante relation commerciale bilatérale au monde, évaluée à environ 3,4 milliards de dollars quotidiennement.
Les sondages d’Abacus Data suggèrent que 68% des Canadiens sont « quelque peu » ou « très préoccupés » par les perturbations économiques potentielles si la rencontre se passe mal. Ce ne sont pas des inquiétudes abstraites – elles se traduisent par de véritables anxiétés dans des communautés comme Fort McMurray, où les travailleurs du secteur pétrolier se souviennent encore de la volatilité des désaccords énergétiques antérieurs entre les États-Unis et le Canada.
J’ai passé la semaine dernière dans les communautés frontalières, de Niagara à Surrey, à parler avec des propriétaires de petites entreprises. Terry Sheehan, qui gère un magasin de meubles familial à Sault Ste. Marie s’approvisionnant dans les deux pays, a résumé la nervosité collective : « Nous avons passé des générations à bâtir des entreprises qui ne considèrent pas la frontière comme une barrière. Une mauvaise réunion, un tweet, et soudain ma chaîne d’approvisionnement devient politique. »
Les deux dirigeants apportent des antécédents contrastés à la table. Carney, avec son pedigree Goldman Sachs et son expertise en banque centrale tant à la Banque du Canada qu’à la Banque d’Angleterre, aborde la gouvernance à travers des cadres économiques et une prise de décision fondée sur les données. Trump, le magnat de l’immobilier et star de télé-réalité devenu perturbateur politique, fonctionne à l’instinct et pratique une diplomatie transactionnelle.
« Trump respecte la force et les accords, » note l’ancien ambassadeur canadien aux États-Unis, David MacNaughton. « Carney doit arriver prêt à discuter de compromis spécifiques qui profitent aux Américains tout en protégeant les intérêts canadiens. Un langage diplomatique vague ne fonctionnera pas. »