Le battement lent du changement s’intensifie dans tout le paysage de la santé canadienne. Ce qui a commencé comme des initiatives d’embauche isolées s’est transformé en une stratégie globale pour intégrer les voix, les connaissances et les pratiques autochtones dans nos établissements de santé.
Lors d’un récent salon de recrutement à l’Hôpital général de Vancouver, Melissa Cardinal, une infirmière crie de l’Alberta, a partagé son parcours avec un groupe d’étudiants autochtones en soins infirmiers. « Quand j’ai commencé il y a quinze ans, j’étais souvent le seul visage autochtone dans la salle, » a-t-elle expliqué. « Aujourd’hui, je constate un véritable changement—pas seulement en nombre, mais dans la façon dont nos connaissances sont valorisées. »
Ce changement est mesurable. Selon le Rapport sur la diversité de la main-d’œuvre 2024 de Santé Canada, l’emploi des Autochtones dans le domaine de la santé a augmenté de 28% au cours des cinq dernières années, bien qu’il ne représente encore que 3,4% de l’ensemble de la main-d’œuvre de la santé—bien en dessous des 4,9% de Canadiens qui s’identifient comme Autochtones.
Cet écart n’est pas surprenant pour le Dr James Makokis, un médecin autochtone travaillant en Alberta et défenseur vocal de la réforme des soins de santé. « Nous sommes confrontés à des générations de barrières systémiques, » m’a-t-il dit lors d’un entretien téléphonique. « De l’accès à l’éducation aux environnements de travail qui n’ont pas traditionnellement accueilli les modes de connaissance autochtones. Ce qui est encourageant, c’est que je vois maintenant des changements structurels significatifs, pas seulement des paroles. »
Ces changements s’institutionnalisent dans tout le pays. Providence Health Care en Colombie-Britannique a lancé l’année dernière son plan d’action pour le bien-être autochtone et la réconciliation, qui se concentre non seulement sur le recrutement mais aussi sur la création d’espaces culturellement sécuritaires où les employés autochtones peuvent s’épanouir.
« Cela va bien au-delà des objectifs d’embauche, » explique Sarah Williams, directrice des relations autochtones à Providence. « Nous envisageons des programmes de mentorat, la création de postes d’Aînés en résidence, et nous veillons à ce que le personnel autochtone puisse intégrer des pratiques traditionnelles dans son travail lorsque c’est approprié. »
L’approche porte ses fruits. Providence signale une augmentation de 32% des candidatures autochtones depuis la mise en œuvre de leur programme, avec des taux de rétention notablement plus élevés parmi les embauches autochtones par rapport aux années précédentes.
Mais les défis de recrutement restent complexes. Dans le nord de l’Ontario, où les communautés autochtones constituent une partie importante de la population, le Centre de santé régional de Sioux Lookout fait face à des pénuries de personnel persistantes malgré des efforts de recrutement ciblés.
« Nous sommes en concurrence avec les centres urbains qui peuvent offrir des salaires plus élevés et plus de commodités, » note Robert Kipling, directeur des ressources humaines à Sioux Lookout. « Notre argument de vente le plus fort est la possibilité de servir des communautés avec des liens culturels profonds, mais ce n’est pas suffisant face aux pénuries de logements et autres défis d’infrastructure. »
Le gouvernement fédéral a reconnu ces obstacles. En mars dernier, Services aux Autochtones Canada a annoncé 76 millions de dollars en nouveaux financements pour le développement de la main-d’œuvre autochtone dans le domaine de la santé, y compris des programmes de bourses, une aide à la réinstallation et des initiatives de formation communautaire.
Lors de l’annonce, la ministre Patty Hajdu a souligné que « bâtir une main-d’œuvre autochtone dans le domaine de la santé ne concerne pas seulement l’équité—il s’agit de créer de meilleurs résultats de santé pour tous les Canadiens grâce à des soins plus inclusifs et culturellement informés.«
Ce sentiment trouve un écho chez Tracy Bear, une femme anishinaabe qui a récemment obtenu son diplôme en soins infirmiers à l’Université Lakehead. « Mes professeurs parlaient souvent de la sensibilité culturelle comme quelque chose de supplémentaire que nous devrions apprendre, » m’a-t-elle dit dans un centre de santé communautaire à Thunder Bay. « Mais pour moi, comprendre la personne dans son ensemble—ses liens familiaux, ses besoins spirituels, son contexte communautaire—c’est simplement du bon travail infirmier. Ce n’est pas un complément. »
Cette perspective souligne pourquoi le recrutement autochtone va au-delà des statistiques de diversité. Lorsque les systèmes de santé intègrent des approches autochtones du bien-être, les avantages s’étendent à tous les patients.
L’Association canadienne des infirmières et infirmiers autochtones a documenté de nombreux cas où des initiatives dirigées par des Autochtones ont amélioré les scores de satisfaction des patients et les résultats de santé. Leur rapport 2024 « Changer le récit » met en évidence des programmes comme le Centre de santé Anishnawbe de Toronto, où l’intégration des pratiques de guérison traditionnelles parallèlement à la médecine conventionnelle a produit des améliorations mesurables dans la gestion des maladies chroniques.
Pourtant, des défis persistent dans les environnements de travail. Une enquête menée par la Régie de la santé des Premières Nations a révélé que 67% des travailleurs autochtones de la santé ont signalé avoir subi une forme de discrimination sur leur lieu de travail—allant des microagressions à l’hostilité manifeste.
« Le recrutement n’est que le début, » note le Dr Evan Adams, médecin-chef adjoint à Services aux Autochtones Canada. « Créer des environnements où les professionnels autochtones peuvent exercer de façon authentique, où leurs connaissances sont respectées—c’est le travail le plus difficile auquel nos institutions sont confrontées. »
Certaines organisations s’y attaquent de front. L’initiative de sécurité culturelle autochtone de l’Université de la Colombie-Britannique fournit maintenant une formation obligatoire pour tout le corps professoral des sciences de la santé et le personnel clinique. De même, les Services de santé de l’Alberta ont mis en œuvre un cadre global de lutte contre le racisme qui aborde spécifiquement le racisme envers les Autochtones dans les milieux de soins de santé.
« Nous commençons à reconnaître que la sécurité culturelle n’est pas une compétence secondaire—elle est fondamentale pour l’équité en santé, » explique la Dre Janet Smylie, médecin métisse et titulaire d’une chaire de recherche en santé autochtone à l’Hôpital St. Michael de Toronto. « Lorsque les prestataires de soins autochtones se sentent valorisés et soutenus, ils restent dans le système. Lorsqu’ils restent, notre approche globale de la prestation de soins s’améliore. »
Cette perspective est adoptée par des leaders en santé comme Michael Routledge, PDG de la Région sanitaire du Nord au Manitoba, qui a fait du recrutement autochtone une pierre angulaire de son plan stratégique. « Dans des régions comme la nôtre, avec d’importantes populations autochtones, s’assurer que notre personnel reflète les communautés que nous servons n’est pas facultatif—c’est essentiel à notre mission, » a-t-il déclaré lors d’une récente conférence sur le leadership en santé.
La voie à suivre n’est pas simple, mais l’élan se poursuit. Comme Melissa Cardinal l’a dit à ces étudiants en soins infirmiers à Vancouver, « Le système de santé n’a pas été construit pour nous ou par nous—mais nous le changeons, un poste, une politique, une pratique à la fois.«
Pour Cardinal et des milliers d’autres travailleurs autochtones de la santé à travers le Canada, ce changement ne peut pas venir assez vite. Mais pour la première fois depuis des générations, il semble que le statu quo évolue véritablement—nous rapprochant de systèmes de santé qui honorent et intègrent les connaissances autochtones tout en créant des parcours professionnels significatifs pour les professionnels autochtones.