J’étais en coulisses au Commodore Ballroom de Vancouver le mois dernier, observant le public vibrer d’anticipation alors que Northern Haze s’apprêtait à monter sur scène. Ce groupe légendaire de metal inuit d’Igloolik, au Nunavut, qui se produit depuis 1984 en chantant en inuktitut sur la vie dans l’Arctique, a déclenché une véritable explosion d’enthousiasme à son apparition – de jeunes fans autochtones côtoyant des amateurs de musique chevronnés qui suivent le parcours du groupe depuis des décennies.
Ce qui m’a frappé, au-delà de l’énergie brute, c’était une conversation entre deux professionnels de l’industrie. « Ils sont incroyables, » disait l’un, « mais selon les règles actuelles, une partie de leur musique ne serait pas considérée comme du contenu canadien. » J’ai dû tendre l’oreille deux fois pour m’assurer d’avoir bien entendu.
Ce moment a cristallisé le débat qui se déroule actuellement dans l’industrie musicale canadienne. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) reconsidère sa définition du contenu canadien, apportant potentiellement les changements les plus significatifs au système depuis son introduction en 1971.
Le système actuel, connu sous l’acronyme MAPL (Musique, Artiste, Production, Lyrics), attribue des points selon que la musique, l’artiste, la performance et les paroles sont canadiens. Pour être qualifiée de contenu canadien, une chanson doit répondre à au moins deux de ces critères. Ce cadre a soutenu des générations d’artistes canadiens tout en garantissant aux auditeurs radio d’entendre des talents locaux.
« Le système existant a été créé pour une époque différente, » explique Miranda Mulholland, musicienne et fondatrice du Festival de musique de Sawdust City. « Il a été conçu pour les modèles d’enregistrement traditionnels où les artistes avaient besoin de diffusion radio pour survivre. Le paysage numérique a complètement transformé notre façon de créer et de consommer la musique. »
Les changements potentiels surviennent après que la ministre du Patrimoine, Pascale St-Onge, a demandé au CRTC de revoir ses règlements sur le contenu canadien dans le cadre des efforts visant à moderniser la Loi sur la radiodiffusion par le projet de loi C-11. Ce projet étend les exigences de contenu canadien aux plateformes de streaming, rendant la définition de ce qui compte comme « canadien » plus cruciale que jamais.
Lors de ma visite au Conservatoire royal de musique de Toronto cet hiver, j’ai rencontré des étudiants préoccupés par leur avenir dans une industrie en pleine mutation. « Nous craignons que les artistes canadiens ne se perdent dans la mêlée mondiale du streaming, » m’a confié Jared Williams, étudiant en composition. « Mais en même temps, les anciennes règles ne reconnaissent pas toujours les approches diverses de création musicale. »
Le système actuel a été critiqué pour privilégier certains types de création musicale. Selon les règles existantes, une chanson écrite par un Canadien, interprétée par un Canadien, dans un studio canadien ne serait toujours pas qualifiée de contenu canadien si elle était produite ou mixée par un non-Canadien. À l’inverse, une chanson écrite et produite par des non-Canadiens pourrait se qualifier si elle était interprétée par un artiste canadien.
Ces incohérences affectent des artistes comme Haviah Mighty, dont le hip-hop novateur fait souvent appel à des collaborateurs internationaux. Lors d’une conférence musicale l’année dernière, elle m’a exprimé sa frustration : « Ma musique est indéniablement canadienne dans ses thèmes et son esprit, mais la collaboration est essentielle dans le monde musical d’aujourd’hui. Le système actuel force parfois des choix artificiels. »
L’examen du CRTC a suscité des réactions divisées. L’Association de la musique indépendante canadienne soutient le maintien d’exigences fortes en matière de contenu canadien tout en les modernisant pour refléter les pratiques de production actuelles. De leur côté, les entreprises de streaming plaident pour une flexibilité dans la définition et la promotion du contenu canadien.
Les données de Statistique Canada montrent l’importance économique de bien faire les choses. L’industrie musicale contribue à plus de 3 milliards de dollars annuellement à l’économie canadienne, soutenant environ 30 000 emplois. Au-delà de l’économie, l’expression culturelle reste en jeu.
« Il ne s’agit pas seulement de quotas et de pourcentages, » note Wab Kinew, qui avant de devenir Premier ministre du Manitoba était artiste hip-hop et diffuseur. « Il s’agit de garantir que les histoires et les perspectives canadiennes aient l’espace pour s’épanouir dans notre propre écosystème médiatique. »
Pour les artistes autochtones, les enjeux sont particulièrement élevés. La Commission de vérité et réconciliation a souligné l’importance de l’expression culturelle autochtone, mais de nombreux artistes autochtones font face à des obstacles supplémentaires. Susan Aglukark, auteure-compositrice-interprète inuk primée, plaide pour des réglementations qui reconnaissent spécifiquement les langues et expressions culturelles autochtones.
« Quand je chante en inuktitut, je préserve une langue et partage des visions du monde qui ont été systématiquement réprimées, » m’a-t-elle confié lors d’une entrevue au Centre national des Arts. « Cette importance culturelle devrait être reconnue dans notre définition du contenu canadien. »
Le CRTC devrait annoncer de nouvelles directives plus tard cette année, suite à ses consultations avec les parties prenantes de l’industrie, les artistes et le public. Les changements prendront probablement en compte des facteurs au-delà de la géographie, incorporant potentiellement l’importance culturelle et le contenu thématique dans le processus de qualification.
En me promenant récemment dans le marché Kensington de Toronto, j’ai croisé des devantures affichant des affiches pour des spectacles à venir avec des artistes couvrant des genres allant du jazz à l’électronique en passant par le folk. Chacun représente un fil dans la tapisserie musicale du Canada. Toute nouvelle définition du contenu canadien devra soutenir cette diversité tout en s’adaptant à la façon dont la musique est créée et consommée aujourd’hui.
« L’objectif devrait être un système qui soutient les artistes canadiens sans créer de barrières artificielles à la collaboration et à l’innovation, » suggère Catherine Moore, professeure adjointe de technologie musicale à l’Université de Toronto. « Nous ne sommes plus en compétition uniquement au niveau local – les artistes canadiens font partie d’une conversation mondiale. »
En quittant le spectacle de Northern Haze ce soir-là au Commodore, les fans se déversaient sur la rue Granville, encore électrisés par la performance. Leur musique avait transcendé les barrières linguistiques, touchant chaque personne dans cette salle. Quel que soit le système qui émergera du processus de consultation actuel, il doit préserver l’espace pour ces voix distinctement canadiennes tout en reconnaissant la nature sans frontières de la création musicale contemporaine.
La redéfinition du contenu canadien n’est pas seulement un exercice réglementaire – il s’agit de garantir que les futures générations de musiciens puissent continuer à raconter des histoires canadiennes dans toute leur complexité, à des publics tant au pays qu’à travers le monde.