Le fameux toc-toc du sac isotherme de Daphne Martin est devenu une bouée de sauvetage pour des dizaines d’aînés de St. John’s. À 72 ans, elle fait du bénévolat pour la Popote roulante depuis plus d’une décennie, créant des liens avec des clients qui la considèrent souvent comme leur seule visite régulière.
« Parfois, je suis la seule personne à qui ils parleront de toute la journée, » me confie Daphne alors que nous roulons entre deux livraisons par un matin brumeux de mars. « Ça n’a jamais été seulement une question de nourriture. »
Mais à travers Terre-Neuve-et-Labrador, des milliers d’aînés et de personnes handicapées qui pourraient bénéficier de services de livraison de repas n’y ont tout simplement pas accès. Cela est sur le point de changer avec l’annonce par Santé T.-N.-L. d’un investissement de 4,3 millions de dollars pour étendre les services de la Popote roulante à 17 communautés supplémentaires d’ici fin 2025.
Le programme dessert actuellement environ 1 200 clients dans la province, principalement concentrés à St. John’s, Corner Brook et Gander. L’expansion vise à ajouter une capacité pour 900 clients supplémentaires dans des régions mal desservies, notamment Bonavista, Clarenville et plusieurs communautés le long de la péninsule Northern.
Pour Janet Coish, 86 ans, qui vit seule dans un modeste bungalow dans l’East End de St. John’s, les livraisons quotidiennes de repas représentent bien plus que la simple nutrition. « Ils vérifient que je vais bien. Ils remarquent si quelque chose semble anormal, » explique-t-elle, en disposant sur sa petite table de cuisine la livraison du jour : ragoût de bœuf, légumes à la vapeur et croustade aux pommes. « Ma fille vit en Alberta. Savoir que quelqu’un passe chaque jour lui donne aussi l’esprit tranquille. »
Une démographie vieillissante combinée à la géographie difficile de Terre-Neuve a créé ce que le Dr Michelle Fleming, spécialiste en gériatrie à l’Université Memorial, appelle « une tempête parfaite de risque d’isolement. »
« L’insécurité alimentaire chez les aînés est souvent invisible, » explique Dr Fleming. « Beaucoup d’aînés qui ont du mal à préparer des repas en raison de problèmes de mobilité ou de santé souffrent en silence plutôt que de demander de l’aide. L’expansion des services de repas représente non seulement un soutien nutritionnel, mais aussi un lien social crucial. »
Les données de Statistique Canada montrent que Terre-Neuve-et-Labrador a la population vieillissante la plus rapide au Canada, les projections indiquant que d’ici 2043, près de 36 % des résidents auront plus de 65 ans. Ce changement démographique a exercé une pression accrue sur les systèmes de santé et de soutien communautaire.
Selon le rapport 2023 de Santé Canada sur la nutrition des aînés, environ 23 % des aînés canadiens vivant de façon autonome connaissent une forme d’insécurité alimentaire, avec des taux plus élevés dans les communautés rurales et éloignées.
Nancy Braye, directrice générale de la Popote roulante de St. John’s, indique que le service fonctionne actuellement à pleine capacité avec une liste d’attente. « Nous avons dû prioriser ceux qui ont les besoins les plus élevés. C’est déchirant de mettre quelqu’un sur une liste d’attente quand on sait qu’il a du mal à se nourrir convenablement. »
L’expansion provinciale comprend du financement pour la modernisation des cuisines commerciales, l’infrastructure de transport et le recrutement de bénévoles. Le ministre de la Santé, Tom Osborne, a souligné que le programme est conçu pour aider les aînés et les personnes handicapées à maintenir leur indépendance tout en recevant une nutrition adéquate.
« Il en coûte environ 5 000 $ par an pour fournir des repas quotidiens à un client, » a noté Osborne lors de l’annonce du financement. « Comparez cela au coût annuel d’environ 140 000 $ pour un lit de soins de longue durée. C’est à la fois une politique de soins compatissante et fiscalement responsable. »
Le plan d’expansion comprend une échelle tarifaire variable basée sur le revenu, avec des repas subventionnés et gratuits disponibles pour ceux qui sont admissibles. Santé T.-N.-L. espère s’associer à des organismes communautaires existants dans de nombreux endroits pour mettre en œuvre le programme.
À Bonavista, l’une des communautés prévues pour le service au début de 2025, le maire John Norman y voit une réponse à un besoin critique. « Nous avons des aînés qui ont vécu ici toute leur vie mais qui ont maintenant du mal à préparer leurs repas. Beaucoup ne veulent pas quitter leur domicile, mais ils ont besoin de soutien pour y rester. »
La Gendarmerie royale de Terre-Neuve a également exprimé son soutien à l’expansion. L’agente Sarah Tilley, qui travaille beaucoup avec les populations vulnérables, explique que les vérifications de bien-être auprès des aînés isolés révèlent souvent des situations nutritionnelles préoccupantes.
« Nous trouvons des réfrigérateurs vides ou des aliments périmés. Parfois, les aînés étirent leur budget limité en sautant des repas. Avoir des repas réguliers et des visites peut changer la vie des personnes qui, autrement, passeraient entre les mailles du filet. »
Bien que les experts en sécurité alimentaire applaudissent cette expansion, certains préviennent que la mise en œuvre fera face à des défis propres à la géographie et au climat de Terre-Neuve.
« Nos communautés rurales sont dispersées, nos hivers sont rigoureux et de nombreuses routes deviennent difficiles à emprunter, » explique Dr Catherine Mah, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en promotion des populations en santé à l’Université Dalhousie, qui a étudié en profondeur les systèmes alimentaires à Terre-Neuve. « La province devra développer des modèles de livraison flexibles qui peuvent s’adapter à ces réalités. »
De retour à St. John’s, la bénévole Daphne Martin estime que l’élément humain reste le plus crucial. « On ne peut pas séparer le repas du moment de connexion. Parfois, je suis la première à remarquer si quelqu’un semble confus ou ne se sent pas bien. »
Pour la cliente Janet Coish, le programme représente autant la dignité que la nutrition. « J’ai élevé cinq enfants dans cette maison, » me dit-elle, en regardant le port par la fenêtre de sa cuisine. « Je n’aurais jamais pensé atteindre un point où je ne pourrais plus me nourrir correctement. Ce programme signifie que je peux encore vivre dans ma propre maison. »
Alors que la population de Terre-Neuve-et-Labrador continue de vieillir, des programmes comme la Popote roulante se situent à l’intersection des soins de santé, de la sécurité alimentaire et de la connexion communautaire. L’expansion de 2025 marque une étape importante pour garantir que les résidents les plus vulnérables de la province n’aient pas à choisir entre une nutrition adéquate et le maintien dans leurs communautés.
Quand je demande à Daphne ce qui fait un bon bénévole de la Popote roulante, sa réponse est simple : « Il faut vraiment se soucier des gens. Le repas n’est que le prétexte pour vérifier. Le vrai service, c’est de s’assurer que personne ne se sente oublié. »