J’ai passé l’après-midi d’hier dans les couloirs climatisés du Palais de justice de Québec, attendant le verdict dans l’une des affaires d’homicide les plus troublantes de la province. Après des mois de procédure, le juge François Huot a rendu sa décision : Alexandre Duchesne ne fera pas l’objet d’une condamnation criminelle pour les meurtres par arme blanche de sa mère et de son voisin à Brossard l’hiver dernier.
Duchesne, 35 ans, a été déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux des décès en janvier de Sylvie Huguet, 60 ans, et du voisin Marcel Poirier, 62 ans. Le tribunal a déterminé qu’une grave maladie mentale l’avait rendu incapable de comprendre la nature de ses actions ou de savoir qu’elles étaient répréhensibles – le seuil juridique établi dans le Code criminel.
« La preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l’accusé souffrait d’un trouble mental qui le rendait incapable d’apprécier la nature et la qualité de ses actes », a déclaré le juge Huot dans sa décision, que j’ai examinée en détail immédiatement après l’audience.
Ce verdict place Duchesne sous la juridiction du Tribunal administratif du Québec pour les cas de santé mentale plutôt que du système carcéral. Dr Gilles Chamberland, psychiatre légiste qui a témoigné comme expert, a expliqué que Duchesne restera probablement dans un établissement psychiatrique sécurisé « pour une période indéterminée, potentiellement des années voire des décennies, selon sa réponse au traitement ».
Les documents judiciaires ont révélé les événements violents du 24 janvier dans des détails troublants. Duchesne vivait par intermittence avec sa mère dans son appartement de Brossard depuis environ huit mois avant les meurtres. Le jour de l’incident, il a attaqué sa mère avec un couteau de cuisine alors qu’il vivait ce que les psychiatres ont décrit comme « un épisode psychotique aigu caractérisé par des délires paranoïaques ».
Après avoir tué sa mère, Duchesne s’est rendu dans un appartement voisin où il a poignardé mortellement Poirier. Les policiers répondant aux appels au 911 ont trouvé Duchesne encore sur les lieux, désorienté et couvert de sang.
Ce qui rend cette affaire particulièrement tragique est l’historique documenté des tentatives d’intervention en santé mentale. J’ai parlé avec Marie-Claude Landry de l’Association québécoise pour les droits en santé mentale après le verdict. « Cette affaire met en lumière les lacunes de nos systèmes de soutien en santé mentale », m’a-t-elle dit. « Nous continuons à voir des schémas où les crises s’aggravent malgré les contacts antérieurs avec le système de santé ».
Les dossiers judiciaires ont montré que Duchesne avait été hospitalisé trois fois au cours des cinq années précédant les meurtres, chaque fois pour des épisodes psychotiques. On lui avait prescrit des médicaments antipsychotiques, mais il avait cessé de les prendre environ quatre mois avant l’incident.
Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard, m’a expliqué la distinction entre les verdicts de non-responsabilité criminelle et les acquittements. « Ce n’est pas la liberté – c’est une forme différente de garde axée sur le traitement plutôt que sur la punition », a déclaré Latimer. « La Commission d’examen évaluera son cas régulièrement, et la libération n’aurait lieu que s’il ne pose plus de menace significative pour la sécurité publique ».
L’affaire a soulevé des questions difficiles sur la capacité de notre système de santé mentale à assurer la continuité des soins. Selon les données de la Commission de la santé mentale du Canada, environ 1 personne sur 3 souffrant de maladie mentale grave perdra contact avec les services de traitement à un moment donné, souvent avec des conséquences dévastatrices.
L’évaluation médico-légale présentée au tribunal a documenté l’historique de schizophrénie de Duchesne remontant à ses vingt ans. Deux évaluations psychiatriques indépendantes ont conclu qu’il vivait des hallucinations impératives – croyant que des forces externes contrôlaient ses actions – au moment des meurtres.
Les familles des deux victimes étaient présentes pour le verdict. J’ai observé leur dignité silencieuse durant les procédures qui exposaient les détails les plus douloureux des derniers moments de leurs proches. Un membre de la famille, qui a demandé l’anonymat, a exprimé sa frustration face au verdict mais a reconnu les preuves de la profonde maladie mentale de Duchesne.
« Le système a échoué trois personnes ici », m’ont-ils dit à l’extérieur de la salle d’audience. « Mon proche, Mme Huguet, et oui, même Duchesne lui-même ».
André Gervais, l’avocat de la défense de Duchesne, a souligné que son client ne va pas simplement « être libéré » suite à ce verdict. « Il reste en détention sécurisée, et son équipe de traitement devra démontrer une amélioration substantielle avant tout changement dans son statut de confinement », a expliqué Gervais après l’audience.
La Commission d’examen du Québec déterminera maintenant le placement de Duchesne et son plan de traitement. Leurs options vont de la détention dans un établissement psychiatrique à haute sécurité jusqu’à un éventuel traitement communautaire supervisé, bien que ce dernier n’interviendrait qu’après des années de stabilité démontrée et de réduction des risques.
Les statistiques du ministère de la Justice montrent que les personnes déclarées non criminellement responsables passent en moyenne 7,5 ans sous la juridiction de la Commission d’examen, substantiellement plus longtemps que beaucoup n’auraient purgé en prison pour des infractions similaires.
Cette affaire attire l’attention sur l’intersection de la santé mentale et de la justice pénale au Québec à un moment où la province fait face à des défis persistants dans la prestation des services de santé mentale. Un rapport de 2022 du Protecteur du citoyen du Québec a identifié des lacunes critiques dans le suivi des soins pour les personnes atteintes de maladies mentales graves, particulièrement lors des transitions entre les services hospitaliers et communautaires.
En rangeant mes notes et en quittant le palais de justice, je ne pouvais m’empêcher de réfléchir à la façon dont cette tragédie représente à la fois une souffrance individuelle et un échec systémique. Deux vies ont été perdues, des familles définitivement bouleversées, et un homme atteint d’une maladie traitable fait maintenant face à une institutionnalisation indéfinie – un résultat qu’une intervention appropriée aurait pu prévenir.
La Commission d’examen tiendra sa première audience dans l’affaire Duchesne dans les 45 jours.