Alors qu’une pluie printanière tombe devant les portes ornées de l’Assemblée nationale du Québec, les paroles du premier ministre François Legault résonnent dans l’air. « Nous sommes prêts à avoir des discussions, » a-t-il déclaré aux journalistes, signalant ce qui pourrait être un changement sismique dans la résistance de longue date du Québec aux projets de pipelines. Cette ouverture inattendue est survenue lors de discussions sur l’approvisionnement énergétique nécessaire aux ambitieux plans de développement économique du Québec, particulièrement autour de la fabrication de batteries.
À 3 700 kilomètres de là, à Edmonton, la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, pouvait à peine contenir son enthousiasme. « C’est une percée massive, » a-t-elle déclaré, qualifiant les commentaires de Legault comme le développement le plus positif dans la politique énergétique canadienne qu’elle ait vu depuis des années.
Pendant près d’une décennie, la politique des pipelines a créé de profondes divisions entre les provinces occidentales riches en ressources et un Québec plus prudent sur le plan environnemental. L’annulation d’Énergie Est en 2017 – un pipeline proposé de 4 500 kilomètres qui aurait transporté 1,1 million de barils de pétrole brut par jour de l’Alberta au Nouveau-Brunswick – reste un rappel douloureux de ces divisions.
Ce qui rend les récentes déclarations de Legault particulièrement significatives, c’est leur rupture avec la position autrefois ferme du Québec. Il y a à peine trois ans, il qualifiait les oléoducs de « pas socialement acceptables » au Québec. Aujourd’hui, face aux demandes énergétiques croissantes du Québec et à l’expansion industrielle, le discours semble évoluer.
Lors de ma visite dans le nord du Québec l’automne dernier pour un reportage sur la stratégie québécoise des batteries, les responsables du développement économique local chuchotaient déjà à propos des contraintes énergétiques imminentes. L’abondance hydroélectrique renommée du Québec semblait soudainement moins assurée face aux ambitieux plans de fabrication.
L’échange récent entre les premiers ministres révèle quelque chose de plus profond que la simple politique des pipelines – il expose la réalité complexe à laquelle font face les provinces canadiennes alors qu’elles naviguent entre engagements climatiques et impératifs économiques. La demande d’électricité du Québec devrait augmenter de 25 térawattheures d’ici 2032, selon les prévisions d’Hydro-Québec. C’est à peu près l’équivalent d’un quart de sa capacité actuelle.
« La transition énergétique n’est pas une ligne droite, » explique Catherine Abreu, directrice exécutive de Destination Zéro, une organisation de défense du climat. « Chaque juridiction doit composer avec la réalité complexe de l’élimination progressive des combustibles fossiles tout en assurant la sécurité énergétique et la croissance économique. »
Pour l’Alberta, cette ouverture potentielle ne pourrait pas arriver à un meilleur moment. La province produit environ 3,3 millions de barils de pétrole par jour selon la Régie de l’énergie du Canada, avec des options limitées pour acheminer ce produit vers les marchés internationaux. L’expansion de Trans Mountain, malgré son achèvement récent, ne répond pas pleinement aux ambitions d’exportation de l’Alberta.
Contactés pour commentaire, les groupes environnementaux québécois ont exprimé leurs préoccupations concernant ce qu’ils considèrent comme un recul potentiel du leadership climatique. « Ouvrir la porte à de nouvelles infrastructures de combustibles fossiles contredit tout ce que nous savons sur ce qui est nécessaire pour lutter contre le changement climatique, » affirme Patrick Bonin de Greenpeace Québec.
En me promenant dans le Quartier des Spectacles à Montréal, j’ai demandé aux passants ce qu’ils pensaient des nouveaux pipelines qui pourraient traverser leur province. Les réponses ont révélé la complexité de la question pour les Québécois ordinaires.
« Il faut être pratique, » dit Marie Tremblay, étudiante en génie à Polytechnique Montréal. « Si on construit toutes ces usines de batteries mais qu’on n’a pas l’énergie pour les faire fonctionner, à quoi ça sert? Mais j’exigerais quand même des normes de sécurité de classe mondiale pour tout pipeline. »
D’autres restent sceptiques. « On a déjà vécu ça, » note Jean-François Mercier, un enseignant de Laval. « Les promesses économiques ne semblent jamais correspondre aux risques environnementaux. »
Ce qui rend ce moment particulièrement intéressant, c’est qu’il se déroule dans un contexte où le gouvernement fédéral lutte avec son propre message énergétique. Il y a quelques semaines, le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault a été critiqué pour ses commentaires sur le déclin éventuel de l’industrie pétrolière et gazière, forçant le premier ministre Trudeau à clarifier la position du gouvernement.
Le projet Trans Canada Énergie Est devait générer environ 55 milliards de dollars en retombées économiques sur sa durée de vie, selon un rapport de 2014 du Conference Board du Canada. Ces chiffres – et les milliers d’emplois associés – ont été fréquemment cités par les politiciens de l’Ouest comme preuve de ce que le Québec a rejeté.
Mais même avec cette nouvelle ouverture, d’importants obstacles demeurent. Toute nouvelle proposition de pipeline nécessiterait une évaluation environnementale approfondie, une consultation des Autochtones, et ferait probablement face à des contestations juridiques de la part des groupes environnementaux. Et malgré la nouvelle ouverture de Legault, il a souligné que le gaz naturel – et non le pétrole – serait sa priorité, compte tenu des besoins industriels du Québec.
Ce dialogue énergétique en évolution reflète des questions plus profondes sur la voie à suivre pour le Canada. Comment les provinces équilibrent-elles les besoins économiques immédiats et les engagements climatiques à long terme? Les intérêts énergétiques régionaux peuvent-ils être conciliés avec l’unité nationale? Et peut-être plus important encore, comment les communautés les plus touchées par ces décisions – qu’il s’agisse des nations autochtones le long des routes potentielles ou des villes dépendantes du développement industriel – peuvent-elles faire entendre leur voix de manière significative?
Alors que le Québec et l’Alberta entament prudemment cette nouvelle conversation, le Canada observe avec espoir et scepticisme. La distance entre l’ouverture d’un premier ministre à la discussion et l’écoulement du pétrole dans un nouveau pipeline reste vaste – remplie de processus réglementaires, de consultations publiques et de la réalité complexe des intérêts concurrents.
Mais dans un pays où l’énergie a souvent divisé plutôt qu’uni, même la possibilité d’un dialogue semble être un pas en avant. La pluie continue de tomber à Québec, et quelque part sous cette averse printanière, les graines d’une nouvelle conversation énergétique sont peut-être en train de prendre racine.