Le compte à rebours est enclenché pour ce qui pourrait devenir la plus grande perturbation du service postal de l’histoire canadienne récente. Les représentants syndicaux des travailleurs de Postes Canada ont annoncé hier avoir émis un préavis de grève de 72 heures, préparant le terrain pour un débrayage national à partir du 23 mai, à moins qu’une entente de dernière minute ne se concrétise.
« Nous sommes à la table des négociations depuis des mois avec peu de progrès significatifs, » a déclaré Juliette Reeves, présidente nationale du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), lors d’une conférence de presse sous la pluie devant le siège social de la société d’État à Ottawa. « Nos membres méritent mieux que des salaires stagnants alors que les primes des dirigeants continuent d’augmenter. »
Le syndicat, qui représente plus de 50 000 travailleurs postaux à travers le Canada, négocie depuis janvier. Leur convention collective a expiré le 31 mars, laissant les deux parties dans une impasse de plus en plus tendue concernant les salaires, les avantages sociaux et ce que les responsables syndicaux décrivent comme « la précarisation rampante » de la main-d’œuvre postale.
Pour de nombreux Canadiens, le moment ne pourrait être pire. La grève potentielle survient alors que les petites entreprises intensifient leurs promotions estivales et que les municipalités se préparent à envoyer les avis d’impôt foncier. Dans les communautés rurales où les alternatives numériques demeurent limitées, l’impact pourrait être particulièrement prononcé.
« Il ne s’agit pas seulement de la livraison du courrier, » a expliqué Darren Moore, propriétaire de Moore’s Hardware à Thunder Bay. « Nous comptons sur Postes Canada pour le traitement de notre paie. Une grève signifie que nous devrons revenir à l’écriture manuelle de chèques pour nos vingt-huit employés. »
Le différend se concentre autour de trois enjeux clés qui sont devenus de plus en plus litigieux lors des récentes rondes de négociations. Postes Canada a proposé une augmentation salariale annuelle de 2,8 % sur quatre ans, tandis que le STTP demande 4,5 % pour tenir compte de l’inflation qui a culminé à plus de 8 % en 2022. L’écart représente environ 175 millions de dollars en coûts de main-d’œuvre supplémentaires sur la durée du contrat, selon les chiffres du ministère fédéral du Travail.
Les conditions de travail pour le nombre croissant d’employés temporaires sont devenues un autre point de friction. Près de 30 % des facteurs travaillent maintenant avec des contrats à temps partiel ou temporaires, selon les données de Statistique Canada, un chiffre qui a doublé depuis 2015. Le syndicat veut des garanties de conversion au statut permanent après 12 mois, tandis que la direction a proposé un seuil de 36 mois.
Peut-être plus significativement, les parties restent divisées sur les réformes des pensions. Postes Canada souhaite faire passer les nouveaux employés à un régime de retraite à cotisations déterminées plutôt que de maintenir le modèle actuel à prestations déterminées, un changement que la société d’État estime nécessaire pour assurer la viabilité financière à long terme.
« Nous avons déjà vu ce modèle dans l’ensemble du secteur public, » a noté Dre Elaine Wong, économiste du travail à l’Université de la Colombie-Britannique. « L’employeur crée un système à deux vitesses où les employés existants conservent leurs avantages tandis que les nouveaux employés font face à une rémunération réduite. Cela divise effectivement la main-d’œuvre et affaiblit le pouvoir de négociation collective avec le temps. »
Le ministre fédéral du Travail, Antoine Bélanger, a nommé le médiateur spécial Jacques Therrien pour faciliter les pourparlers d’urgence prévus pour cette fin de semaine. Bélanger a déclaré hier aux journalistes qu’il demeure « prudemment optimiste » qu’un accord puisse être conclu avant la date limite.
Ce n’est pas la première fois que les travailleurs des postes se retrouvent sur les piquets de grève. Les grèves tournantes de 2018 ont duré 37 jours avant qu’une loi de retour au travail ne force les employés à reprendre le service. La Cour suprême a plus tard statué que ces ordres de retour au travail violaient les droits constitutionnels des travailleurs, établissant un précédent qui pourrait compliquer l’intervention gouvernementale cette fois-ci.
La porte-parole de Postes Canada, Martine Duval, a souligné l’engagement de la société à parvenir à un accord. « Nous sommes prêts à travailler jour et nuit pour éviter les interruptions de service, » a-t-elle déclaré. « Les Canadiens comptent sur nous, et nous prenons cette responsabilité au sérieux. »
Cette dépendance a considérablement évolué au cours de la dernière décennie. Le volume de courrier physique a diminué d’environ 44 % depuis 2006, selon les rapports annuels de Postes Canada, tandis que la livraison de colis a augmenté avec la croissance du commerce électronique. Ce modèle d’affaires en mutation a compliqué les relations de travail alors que la société tente d’équilibrer les mandats de service traditionnels avec la concurrence commerciale des services de messagerie privés.
La grève potentielle a incité les organismes gouvernementaux qui dépendent encore fortement de la livraison du courrier à planifier des mesures d’urgence. Service Canada a commencé à envoyer des messages téléphoniques automatisés aux retraités cette semaine, encourageant l’inscription au dépôt direct pour assurer la réception opportune des prestations en cas de perturbation.
Pour Sarah Manitouwabi, qui dirige une petite galerie d’art représentant des artistes autochtones à Wiikwemkoong Première Nation sur l’île Manitoulin, la situation met en évidence les défis persistants de connectivité. « Notre communauté a encore un accès Internet inégal. De nombreux aînés ici dépendent des chèques envoyés par la poste, et nos artistes expédient leurs œuvres via Postes Canada. Il n’y a pas de bureau UPS ou FedEx à moins d’une heure de route. »
Les associations de petites entreprises ont exhorté les deux parties à privilégier une résolution. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante estime que ses membres pourraient collectivement faire face à des coûts supplémentaires et des pertes de revenus allant jusqu’à 250 millions de dollars pendant une interruption de deux semaines.
« Beaucoup de nos membres se remettent encore des pertes dues à la pandémie, » a déclaré Marc Giroux de l’Alliance des petites entreprises du Canada. « La combinaison de la hausse des taux d’intérêt et de la perturbation potentielle du courrier crée une tempête parfaite pour les entreprises qui fonctionnent avec des marges minces. »
Alors que le compte à rebours approche de l’échéance de vendredi, les Canadiens se demandent si leur courrier sera distribué la semaine prochaine. Les représentants syndicaux affirment qu’ils restent ouverts à la poursuite des négociations mais ne reculeront pas sur leurs demandes fondamentales. La direction insiste sur le fait que les réalités financières rendent certaines propositions syndicales intenables.
Pendant ce temps, des Canadiens comme Mabel Chow, enseignante retraitée à Winnipeg, prennent des précautions. « Je paie toutes mes factures plus tôt ce mois-ci, » m’a-t-elle confié en quittant son bureau de poste local. « J’ai vécu la grande grève des années 90. Mieux vaut prévenir que guérir. »
À quelques jours seulement de l’arrêt de travail potentiel, les deux parties reconnaissent que les enjeux vont au-delà de la table de négociation. Dans un monde de plus en plus numérique, ce conflit soulève des questions fondamentales sur l’avenir du service postal public au Canada et les travailleurs qui le fournissent.