Alors que les ministres des finances du G7 font leurs valises à Stornoway, cette paisible ville de la rive est du Québec a momentanément perdu sa tranquillité habituelle. Pendant trois jours, les conversations sur la réglementation de l’intelligence artificielle et ses implications pour les relations commerciales mondiales ont dominé les discussions entre les représentants des démocraties les plus riches du monde.
« Ce ne sont plus simplement des débats académiques, » a déclaré le ministre français des Finances Bruno Le Maire lors de la conférence de presse finale. « Quand nous parlons de gouvernance de l’IA, nous parlons de qui contrôlera les moteurs économiques du siècle prochain. »
Le sommet, organisé par la vice-première ministre et ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, s’est conclu par ce que les responsables appellent une « entente-cadre » sur la réglementation de l’IA—loin d’être un accord contraignant mais quelque chose de plus substantiel que ce qu’ont produit les réunions précédentes.
En me promenant dans le port de Stornoway hier, j’ai remarqué le contraste frappant entre les bateaux de pêche qui font vivre cette communauté depuis des générations et les véhicules gouvernementaux rutilants transportant les délégués à leurs réunions. Cette juxtaposition reflète la tension centrale de cette rencontre du G7 : comment équilibrer les avancées technologiques avec la sécurité économique des citoyens ordinaires.
Les données du Fonds monétaire international présentées durant le sommet montrent que l’IA pourrait affecter près de 40 % des emplois mondialement, les économies avancées étant les plus exposées. Pour des pays comme le Canada, avec son secteur technologique en pleine croissance concentré à Toronto et Montréal, les opportunités économiques sont substantielles, mais les risques de bouleversement le sont tout autant.
La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a souligné la nécessité de ce qu’elle appelle une « croissance inclusive de l’IA » tout en présentant des données montrant que les entreprises américaines contrôlent actuellement environ 65 % du marché commercial mondial de l’IA. « Nous reconnaissons que cela crée certaines tensions, » a admis Yellen. « Mais nous croyons que des marchés ouverts avec des garde-fous appropriés profitent à tous. »
Les représentants européens ont contesté cette vision. « Nous ne pouvons pas simplement accepter une répétition de ce qui s’est passé avec les plateformes de médias sociaux, » a déclaré le commissaire européen Paolo Gentiloni, faisant référence à la domination des géants technologiques américains. La délégation de l’UE a fait référence à plusieurs reprises à leur loi sur l’IA comme modèle mondial potentiel, créant des frictions notables avec leurs homologues américains.
Le ministre japonais des Finances, Shunichi Suzuki, a souligné une voie médiane, suggérant que « la standardisation technique devrait précéder les cadres réglementaires. » Sa délégation a présenté des recherches de l’Institut de recherche économique du Japon montrant que la standardisation pourrait réduire les coûts de mise en œuvre jusqu’à 35 % dans tous les secteurs.
À huis clos, les discussions se sont intensifiées autour de ce que les responsables canadiens ont décrit comme des « actifs stratégiques de l’IA »—l’infrastructure informatique, les ressources de données et les systèmes algorithmiques qui déterminent de plus en plus la compétitivité économique. Une source proche des négociations m’a confié: « Les Américains veulent un accès ouvert aux flux de données mondiaux avec des restrictions minimales, tandis que les Européens insistent sur des protections de souveraineté. »
Le communiqué final du sommet reconnaît ces tensions sans les résoudre complètement. Il engage les membres à « une coopération renforcée sur la surveillance de l’IA » tout en reconnaissant « diverses approches réglementaires reflétant les priorités nationales. »
Pour des communautés comme Stornoway, ces discussions de haut niveau ont des implications pratiques. Les responsables locaux espèrent que cette attention pourrait attirer des investissements, mais les résidents expriment leur incertitude quant à leur place dans ce futur dominé par l’IA.
« Ils parlent d’algorithmes et de réseaux neuronaux, mais qu’en est-il de notre industrie de la pêche? » a demandé Jean Tremblay, un pêcheur de troisième génération que j’ai rencontré au café local. « Cette nouvelle technologie nous aidera-t-elle à gérer le déclin des stocks, ou ne fera-t-elle que mettre plus d’entre nous au chômage? »
Les responsables canadiens ont tenté de répondre à ces préoccupations en annonçant un investissement de 300 millions de dollars dans des programmes de formation aux compétences en IA ciblant les industries traditionnelles. « Il ne s’agit pas seulement de créer la prochaine licorne technologique, » a déclaré la ministre Freeland. « Il s’agit de s’assurer que l’IA profite aux travailleurs forestiers en Colombie-Britannique et aux constructeurs navals en Nouvelle-Écosse. »
Les membres du G7 ont trouvé plus de terrain d’entente sur les préoccupations de sécurité liées à l’IA. Le communiqué comprend un langage inhabituellement direct concernant les « acteurs étatiques malveillants » utilisant l’IA pour des campagnes de désinformation et des attaques contre les infrastructures critiques. Il évite de nommer des pays spécifiques mais fait référence à des incidents récents attribués à des groupes soutenus par les États russe et chinois par les agences de renseignement.
Selon les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques partagées lors du sommet, des normes de sécurité coordonnées en matière d’IA pourraient faire économiser aux économies du G7 environ 42 milliards de dollars annuellement en coûts de cybersécurité tout en renforçant la résilience contre les attaques.
Les tensions commerciales couvaient sous les discussions sur l’IA. Le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, a soulevé des préoccupations concernant les politiques industrielles canadiennes et américaines, suggérant qu’elles risquent de fragmenter les marchés mondiaux. Sa délégation a présenté une analyse montrant que les effets potentiels de détournement commercial des récents programmes de subventions pourraient atteindre 85 milliards de dollars sur cinq ans.
La Banque du Canada a organisé une session parallèle sur les monnaies numériques des banques centrales, où les discussions ont révélé d’importantes divergences dans les calendriers de mise en œuvre. Alors que la Chine a avancé agressivement avec son yuan numérique, les membres du G7 en sont à différentes étapes de planification, soulevant des questions d’interopérabilité et de gouvernance financière mondiale.
Alors que les délégués sont partis aujourd’hui, les questions laissées en suspens sont aussi importantes que les accords conclus. Le développement de l’IA suivra-t-il le modèle de l’internet ouvert, ou évoluera-t-il vers des sphères réglementaires concurrentes? Les démocraties peuvent-elles équilibrer l’innovation avec une croissance inclusive? Et peut-être plus important encore, les citoyens des endroits comme Stornoway ressentiront-ils les avantages, ou seulement les perturbations?
Ce qui est clair, c’est que derrière le langage diplomatique et le jargon technique se cache une lutte fondamentale pour l’avantage économique dans les décennies à venir. Le G7 peut présenter un front uni, mais sous cette surface, une renégociation complexe des relations économiques mondiales est en cours—un algorithme à la fois.