L’arrivée de l’aube apporte un autre matin chaotique au passage de Kerem Shalom. Des centaines de camions d’aide restent immobiles sous le soleil brûlant, leur contenu—médicaments, farine et eau en bouteille—toujours à des heures ou des jours de distance des civils désespérés à Gaza. Ce qui devrait être une opération humanitaire simple est devenu un labyrinthe de politiques changeantes, de calculs politiques et de déclarations contradictoires.
« Nous attendons ici depuis six jours, » explique Mohammed, un travailleur humanitaire palestinien qui m’a demandé de n’utiliser que son prénom. « Les documents ont été approuvés, puis rejetés, puis approuvés à nouveau avec de nouvelles conditions. Pendant ce temps, des enfants boivent de l’eau contaminée. »
La crise humanitaire à Gaza a atteint des proportions catastrophiques alors que les restrictions d’aide s’intensifient malgré les protestations internationales. Les données récentes du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) révèlent que les livraisons d’aide ont chuté de près de 50% depuis janvier, avec seulement environ 95 camions entrant quotidiennement—bien en dessous de la moyenne d’avant-guerre de 500 et drastiquement insuffisant pour les besoins actuels.
L’approche du gouvernement israélien concernant l’aide humanitaire a évolué à travers plusieurs phases depuis octobre. Initialement, un blocus presque complet a été mis en œuvre avant que la pression internationale ne force une ouverture limitée des passages. La réalité d’aujourd’hui reflète ce que de nombreux observateurs décrivent comme un système délibérément complexe qui permet techniquement l’aide tout en assurant pratiquement une livraison minimale.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a publiquement déclaré qu’Israël « permet à l’aide humanitaire d’entrer à Gaza », mais ce récit contredit ce que j’ai vu sur le terrain. Au passage de Kerem Shalom la semaine dernière, les responsables israéliens ont refusé l’entrée à six camions transportant des fournitures chirurgicales, affirmant qu’ils contenaient des articles « à double usage »—des matériaux qui pourraient potentiellement servir à des fins militaires. L’équipement chirurgical en question? Des produits de stérilisation de base qui entrent régulièrement à Gaza depuis des décennies.
Le Dr Rik Peeperkorn, représentant de l’Organisation mondiale de la santé pour les territoires palestiniens, m’a confié lors d’une entrevue à Jérusalem-Est: « Quand les fournitures médicales sont bloquées ou retardées, ce n’est pas juste un inconvénient—c’est une condamnation à mort pour les patients qui attendent une chirurgie ou le traitement d’une maladie chronique. Chaque jour de retard se traduit directement par des décès évitables. »
Les restrictions s’étendent au-delà des fournitures médicales. Selon le Programme alimentaire mondial, environ 1,1 million de Gazaouis—près de la moitié de la population—font face à des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire. Les travailleurs humanitaires signalent que les aliments riches en protéines, y compris de nombreux aliments thérapeutiques pour les enfants malnutris, font l’objet de rejets réguliers aux passages.
« Le système semble conçu pour échouer, » explique Sarah Vuylsteke, coordinatrice humanitaire chez Médecins Sans Frontières qui m’a parlé via un appel crypté depuis leur centre d’opérations à Gaza. « Quand nous préparons des expéditions selon les directives d’un jour, nous découvrons le lendemain que de nouvelles restrictions ont été mises en œuvre pendant la nuit sans préavis. »
Un ancien responsable militaire israélien impliqué dans les opérations de passage, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a confirmé ce que de nombreuses organisations d’aide soupçonnaient: « Il n’y a pas de politique unique et cohérente. Différents ministères émettent des directives contradictoires, l’armée a ses propres protocoles, et les considérations politiques l’emportent souvent sur les évaluations humanitaires. »
Ce labyrinthe bureaucratique a des conséquences réelles. Dans le nord de Gaza, où l’accès a été particulièrement restreint, les médecins de l’hôpital Al-Awda signalent des enfants souffrant de malnutrition avancée, y compris des cas de marasme—un dépérissement sévère qui n’était pas couramment observé à Gaza avant la crise actuelle.
« Nous voyons des maladies du tiers-monde émerger dans ce qui était un système de santé fonctionnel il y a quelques mois à peine, » a expliqué le Dr Amjad Al-Shawa lors de ma visite à l’établissement le mois dernier, avant que la zone ne devienne à nouveau inaccessible. « Les maladies diarrhéiques se propagent en raison de l’eau contaminée, et nous manquons d’antibiotiques de base pour les traiter. »
La réponse internationale est de plus en plus frustrée. La semaine dernière, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a averti que des restrictions continues sur l’aide humanitaire pourraient déclencher des changements dans la politique américaine, bien qu’il se soit gardé de préciser en quoi ils pourraient consister. L’Union européenne a également accentué la pression, Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’UE, accusant directement Israël « d’utiliser la famine comme arme de guerre« —une allégation que les responsables israéliens nient avec véhémence.
Le porte-parole des Forces de défense israéliennes, le lieutenant-colonel Nadav Shoshani, insiste sur le fait que le Hamas porte la responsabilité de toute pénurie humanitaire. « Le Hamas détourne l’aide des civils et utilise les points de passage pour des attaques, » a-t-il déclaré lors d’un point presse auquel j’ai assisté à Tel Aviv. Cependant, lorsqu’on lui a demandé des preuves de détournements d’aide récents à grande échelle, aucun détail spécifique n’a été fourni.
Ce qui est particulièrement frappant dans la situation actuelle, c’est le contraste entre les déclarations officielles et les réalités sur le terrain. Le gouvernement israélien évoque des statistiques montrant des centaines de camions d’aide approuvés pour l’entrée, mais ces chiffres ne tiennent pas compte des camions qui reçoivent une approbation mais restent bloqués aux passages en raison d’exigences d’inspection de dernière minute ou de procédures de sécurité qui peuvent prendre des semaines.
Pour les Palestiniens vivant cette crise, les débats techniques sur les procédures de passage semblent déconnectés de leur lutte quotidienne. À Khan Younis, j’ai rencontré Fatima, une mère de quatre enfants qui n’avait pas reçu d’aide alimentaire depuis plus de trois semaines. « Les politiciens débattent pendant que nous mourons de faim, » a-t-elle dit, berçant son nourrisson visiblement mal nourri. « Mes enfants ne comprennent pas la géopolitique—ils ne connaissent que la faim. »
Alors que la pression internationale s’intensifie, quelques changements progressifs sont apparus. Le week-end dernier, les autorités israéliennes ont annoncé des heures prolongées au passage de Kerem Shalom et promis des « procédures simplifiées » pour les expéditions médicales. Cependant, les organisations d’aide restent sceptiques après que des annonces similaires au cours des mois précédents n’aient produit que peu d’amélioration pratique.
Jusqu’à ce que des changements systémiques se produisent dans la gestion de l’accès à l’aide, la catastrophe humanitaire de Gaza semble destinée à s’aggraver. La situation représente plus qu’un défi logistique—elle est devenue un profond test moral pour tous les impliqués. Comme me l’a dit un travailleur humanitaire chevronné alors que nous regardions un autre convoi du jour être refoulé: « Il ne s’agit plus seulement de politiques. Il s’agit de savoir si nous croyons toujours au principe le plus fondamental—que les civils qui souffrent méritent de la nourriture et des médicaments, quel que soit le côté où ils vivent. »