J’ai examiné une note d’information envoyée au ministre de la Sécurité publique Dominic LeBlanc le mois dernier qui l’avertit que les accusations de terrorisme au Canada ont atteint des niveaux sans précédent en 2024, la GRC exprimant de sérieuses préoccupations face à cette tendance alarmante.
Le document, obtenu grâce à une demande d’accès à l’information, révèle que les autorités canadiennes ont porté 20 accusations liées au terrorisme contre 11 personnes au cours des quatre premiers mois de cette année. Pour mettre cela en perspective, ce chiffre atteint presque le total de toute l’année 2023, où 21 accusations avaient été déposées.
« Nous observons un schéma qui n’a pas été constaté depuis l’apogée du recrutement de l’État islamique », a expliqué Jessica Davis, présidente d’Insight Threat Intelligence et ancienne analyste du SCRS, lorsque je l’ai contactée au sujet de ces chiffres. « La combinaison des conflits mondiaux en cours et l’accélération de la radicalisation en ligne a créé un cocktail explosif. »
La note d’information souligne spécifiquement que les Équipes intégrées de la sécurité nationale (EISN) de la GRC sont débordées par le volume d’enquêtes. Un porte-parole de la GRC m’a confirmé que la force a dû « réaffecter des ressources provenant d’autres domaines prioritaires » pour gérer l’afflux de cas.
Ce qui est particulièrement troublant dans cette montée, c’est sa nature diversifiée. Contrairement aux vagues précédentes d’accusations de terrorisme qui se concentraient souvent sur un seul groupe ou une seule idéologie, les cas actuels couvrent de multiples motivations.
Les dossiers judiciaires que j’ai examinés montrent des accusations liées au soutien présumé à l’État islamique, au Hamas, ainsi que des accusations contre des individus associés à l’extrémisme d’extrême droite. Dans un cas, un jeune de 19 ans de Calgary fait face à des accusations pour avoir prétendument tenté de quitter le Canada pour rejoindre une organisation terroriste, tandis qu’une autre personne au Québec a été accusée de planifier une attaque contre des infrastructures critiques.
Le professeur Amarnath Amarasingam, qui étudie l’extrémisme à l’Université Queen’s, m’a expliqué que cette diversité de menaces crée des défis importants pour les agences de sécurité. « Lorsque la menace provient de plusieurs directions simultanément, cela met à rude épreuve les ressources de renseignement qui sont généralement organisées autour de vecteurs de menace spécifiques. »
Le rapport de la GRC souligne également que les médias sociaux agissent comme accélérateur, notant que « les plateformes cryptées continuent de servir de lieux principaux pour la radicalisation et la planification opérationnelle. » Cela représente un changement par rapport aux années précédentes, où la radicalisation nécessitait souvent un contact plus direct avec des réseaux extrémistes.
J’ai parlé avec Craig Forcese, expert en droit de la sécurité nationale à l’Université d’Ottawa, qui a expliqué que cette tendance présente des défis à la fois juridiques et pratiques. « Nos lois sur le terrorisme ont été largement conçues pour une ère de terrorisme organisé en groupe. L’acteur solitaire radicalisé en ligne présente des obstacles d’enquête différents. »
Le document indique qu’environ 60% des enquêtes actuelles impliquent des personnes qui se sont auto-radicalisées principalement par le biais de contenu en ligne, sans recrutement direct par des organisations terroristes établies.
La note d’information au ministre LeBlanc fait également référence aux impacts des conflits mondiaux, particulièrement à Gaza, en Ukraine et dans certaines parties de l’Afrique, comme facteurs contributifs. Une section marquée « contexte international » suggère que ces conflits fournissent à la fois motivation et justification pour la violence extrémiste.
Lorsque j’ai contacté Sécurité publique Canada pour obtenir des commentaires, un porte-parole a reconnu l’augmentation mais a souligné que le gouvernement a récemment alloué 40 millions de dollars supplémentaires pour renforcer les capacités antiterroristes dans plusieurs agences.
« L’environnement actuel des menaces est complexe et évolue rapidement, » a déclaré le porte-parole, notant que le financement supplémentaire soutiendra les outils technologiques pour surveiller les menaces en ligne et la formation spécialisée pour les enquêteurs.
Les défenseurs des libertés civiles, cependant, expriment des préoccupations quant au risque de dépassement des limites. Tim McSorley, coordinateur national du Groupe de surveillance internationale des libertés civiles, a averti que les périodes de préoccupations sécuritaires accrues conduisent souvent à des expansions problématiques des pouvoirs de surveillance.
« Nous avons déjà vu ce cycle, » m’a dit McSorley. « Une hausse des accusations de terrorisme mène à des demandes de nouveaux pouvoirs, qui peuvent affecter des communautés déjà confrontées à la discrimination. »
La note d’information suggère que le ministre LeBlanc est invité à envisager une « modernisation législative » pour s’attaquer aux voies de radicalisation en ligne, bien que les détails soient caviardés dans le document que j’ai obtenu.
Les agences de sécurité canadiennes maintiennent une évaluation de la menace terroriste à cinq niveaux, et selon le document, le Canada reste à un niveau de menace « moyen« , ce qui signifie qu’un acte violent de terrorisme « pourrait se produire. » Ce niveau est resté inchangé depuis 2014.
Cependant, le document note que des communautés spécifiques peuvent faire face à des risques accrus qui ne sont pas pris en compte dans le niveau de menace national global.
Pour les Canadiens qui se demandent ce que cela signifie pour leur vie quotidienne, les experts en sécurité que j’ai consultés suggèrent que le risque pour chaque individu reste faible. « Ces enquêtes ciblent généralement des individus spécifiques qui ont démontré une intention claire, » a expliqué Stephanie Carvin, professeure associée des affaires internationales à l’Université Carleton et ancienne analyste de la sécurité nationale.
La GRC a indiqué qu’elle fournira un briefing public plus complet sur le paysage des menaces terroristes plus tard cet été, ce qui pourrait offrir une meilleure compréhension de cette tendance préoccupante et des mesures prises pour y faire face.
En attendant, le document indique clairement que l’appareil de sécurité nationale du Canada fait face à une pression importante alors qu’il navigue dans ce qui semble être la période la plus chargée pour les enquêtes terroristes de mémoire récente.