Les bilans des géants financiers du Canada racontent une histoire inattendue alors que nous sortons de ce que de nombreux économistes prévoyaient comme un début difficile pour 2024. Malgré les préoccupations persistantes liées à l’inflation et l’approche prudente de la Banque du Canada concernant les taux d’intérêt, notre secteur financier a livré des résultats étonnamment solides au premier trimestre qui méritent une analyse plus approfondie.
Les institutions financières canadiennes ont affiché une augmentation collective de 10,6 % du bénéfice net avant impôt au cours du premier trimestre par rapport à l’année précédente, atteignant 24,1 milliards de dollars selon les dernières données de Statistique Canada. Cette performance a largement dépassé les attentes dans ce qui devait être une période d’incertitude économique.
Le segment bancaire a mené cette charge avec un bond de 11,6 % de la rentabilité par rapport à la même période l’année dernière. Les assureurs de dommages n’étaient pas loin derrière, enregistrant une augmentation de 10,7 % malgré les défis persistants sur le marché immobilier et les pressions liées aux réclamations climatiques.
Qu’est-ce qui alimente cette résilience inattendue? J’ai discuté avec Sophia Chen, économiste en chef chez Northbridge Capital, qui a souligné plusieurs facteurs convergents.
« Les institutions financières canadiennes ont fait preuve d’une adaptabilité remarquable face aux vents contraires économiques », a expliqué Chen. « L’environnement de taux d’intérêt plus élevés de façon soutenue a permis aux banques de maintenir des marges d’intérêt nettes saines tout en bénéficiant simultanément de l’augmentation des services basés sur les frais, les consommateurs et les entreprises cherchant des conseils financiers en période d’incertitude. »
Ce gain d’efficacité devient évident lorsqu’on examine les chiffres de plus près. Les dépenses d’exploitation dans l’ensemble du secteur n’ont augmenté que de 6,2 % d’une année à l’autre, un taux nettement inférieur à celui de la croissance des revenus. Cet écart grandissant entre les revenus et les dépenses indique que les institutions ont réussi à mettre en œuvre des mesures de contrôle des coûts tout en trouvant de nouvelles sources de revenus.
Le segment de l’assurance-vie a également enregistré des gains notables avec une augmentation de 9,4 % des bénéfices trimestriels. Michael Sullivan, analyste du secteur de l’assurance chez Valeurs mobilières Desjardins, m’a confié que cela reflète un changement fondamental dans le comportement des consommateurs.
« Nous observons une sensibilisation accrue aux risques de mortalité et à la protection financière depuis la pandémie, » a noté Sullivan. « Ce changement d’attitude, combiné aux canaux de distribution numérique de plus en plus sophistiqués des assureurs, a élargi leur portée sur le marché sans augmentation proportionnelle des coûts. »
L’histoire devient plus intrigante lorsqu’on considère que ces résultats surviennent dans un contexte de défis économiques persistants. La Banque du Canada a maintenu une position monétaire restrictive tout en signalant son intention d’assouplir éventuellement les taux. Cet exercice d’équilibre crée typiquement une pression sur les marges des institutions financières, pourtant elles semblent avoir navigué dans ces eaux avec une dextérité remarquable.
Les indicateurs de qualité du crédit fournissent une autre pièce de ce puzzle. Les provisions pour pertes sur créances – les fonds que les banques mettent de côté pour couvrir les défauts potentiels – ont augmenté d’un modeste 7,3 % par rapport au trimestre précédent, mais restent bien en-deçà des projections des analystes compte tenu des conditions économiques actuelles. Cela suggère soit une gestion exceptionnelle des risques, soit une préparation potentiellement insuffisante face à une future détérioration du crédit.
Les données du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) indiquent que les ratios d’adéquation des fonds propres dans le secteur bancaire sont demeurés bien au-dessus des minimums réglementaires. Le ratio moyen de fonds propres de catégorie 1 sous forme d’actions ordinaires (CET1) s’établissait à 13,2 % à la fin du trimestre, offrant un coussin substantiel contre d’éventuels chocs économiques.
Les divisions de gestion de patrimoine des principales institutions financières ont également contribué de manière significative à la solide performance de ce trimestre. Les actifs sous gestion ont augmenté de 8,5 % d’une année à l’autre, entraînant une hausse de 12,3 % des revenus basés sur les frais.
« L’histoire de la gestion de patrimoine est particulièrement intéressante », a expliqué Jordan McKay, gestionnaire de portefeuille chez RBC Dominion Securities. « Malgré l’incertitude économique, les Canadiens continuent de prioriser la planification de la retraite, et les relations de conseil établies pendant la pandémie se sont avérées remarquablement durables. »
Tous les segments ne racontent cependant pas la même histoire de réussite. Les caisses populaires ont connu une croissance plus modeste de 5,2 %, reflétant potentiellement leur exposition accrue aux conditions économiques régionales et au refroidissement du marché immobilier.
Pour l’avenir, plusieurs facteurs pourraient influencer si cette performance représente une tendance durable ou un répit temporaire.
D’abord, les niveaux d’endettement des consommateurs continuent de frôler des records. Statistique Canada a récemment rapporté que la dette des ménages en pourcentage du revenu disponible demeure supérieure à 180 %, suggérant une vulnérabilité potentielle aux chocs économiques ou aux mouvements des taux d’intérêt.
Ensuite, les réductions de taux d’intérêt anticipées par la Banque du Canada plus tard cette année pourraient comprimer les marges d’intérêt nettes, particulièrement pour les institutions qui n’ont pas suffisamment diversifié leurs sources de revenus.
Troisièmement, l’évolution continue de la concurrence des technologies financières continue de faire pression sur les acteurs traditionnels. Bien que les institutions établies aient réagi par des stratégies d’acquisition et de partenariat, le paysage concurrentiel reste en évolution.
Peut-être plus significativement, les incertitudes géopolitiques et les perturbations commerciales potentielles pourraient introduire une volatilité que même les cadres de gestion des risques les plus robustes pourraient avoir du mal à anticiper pleinement.
La performance du secteur financier sert de baromètre utile pour l’économie canadienne au sens large. Sa force actuelle suggère une résilience sous-jacente qui contredit certains des récits économiques plus pessimistes. Cependant, la prudence suggère de considérer ces résultats comme un indicateur positif plutôt qu’une preuve définitive de santé économique structurelle.
À mesure que nous avançons dans 2024, les investisseurs et les décideurs politiques surveilleront si les institutions financières canadiennes peuvent maintenir cet élan ou si ce trimestre représente un sommet avant l’émergence de conditions plus difficiles.
Pour les Canadiens ordinaires, la solidité de nos institutions financières apporte une stabilité bienvenue en période d’incertitude. La question demeure de savoir si cette santé institutionnelle se traduira par des avantages économiques plus larges ou simplement consolidera les bilans contre les tempêtes futures.
Les trimestres à venir révéleront si le secteur financier du Canada a véritablement trouvé une voie durable à travers l’incertitude économique ou s’il profite simplement d’un répit temporaire avant de faire face à des défis plus substantiels.