L’apparition soudaine du MSX, une maladie parasitaire jamais observée auparavant dans les eaux des Maritimes, a ébranlé l’industrie ostréicole du Nouveau-Brunswick jusqu’à ses fondements. Debout sur le quai usé par les intempéries de L’Étang-du-Nord aux Îles-de-la-Madeleine, j’observe Marcel Doiron inspecter sa dernière récolte d’huîtres avec une inquiétude visible.
« On n’a jamais rien vu de pareil, » confie Doiron, ostréiculteur de troisième génération qui travaille ces eaux depuis plus de 25 ans. « Un jour les bancs semblent en bonne santé, puis soudainement on remonte des huîtres mortes ou mourantes par dizaines.«
Le parasite, scientifiquement nommé Haplosporidium nelsoni, a été détecté dans les huîtres des Maritimes le mois dernier, déclenchant une alarme immédiate dans les communautés côtières où l’ostréiculture représente à la fois un patrimoine culturel et un gagne-pain économique. La maladie peut tuer jusqu’à 90 pour cent des huîtres infectées, bien qu’elle ne présente aucun risque pour la santé humaine.
Pour des communautés comme Bouctouche, où le festival annuel de l’huître attire des milliers de visiteurs, le moment ne pourrait être pire. « Ce n’est pas juste une question de revenus perdus, » explique Denise LeBlanc, coordinatrice du festival. « Ces huîtres racontent notre histoire acadienne. Elles font partie de notre identité. »
Les scientifiques du Collège vétérinaire de l’Atlantique travaillent jour et nuit pour comprendre comment le MSX a atteint les eaux canadiennes et à quelle vitesse il pourrait se propager. La Dre Sarah Mitchel, qui dirige l’équipe de santé des mollusques du collège, pense que le réchauffement des températures océaniques a pu créer des conditions favorables au parasite.
« Le golfe du Saint-Laurent s’est réchauffé à un rythme presque trois fois supérieur à la moyenne mondiale, » explique Mitchel lors d’une visite de son laboratoire, où des rangées d’échantillons d’huîtres attendent d’être analysées. « Ce que nous observons correspond aux impacts prévus du changement climatique sur les écosystèmes marins. »
Les données de Pêches et Océans Canada montrent que la température moyenne du Golfe a augmenté de 1,8°C depuis les années 1980, créant des conditions favorables aux parasites auparavant limités aux eaux plus méridionales. Cela correspond aux tendances plus larges documentées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui a identifié le déplacement des frontières des maladies marines comme une conséquence du réchauffement des océans.
Les implications économiques sont stupéfiantes. Selon les données provinciales des pêches, l’industrie ostréicole du Nouveau-Brunswick génère environ 45 millions de dollars annuellement et soutient plus de 200 emplois directs. Pour les petites communautés côtières déjà aux prises avec le déclin des pêcheries traditionnelles, cette nouvelle menace semble existentielle.
J’ai visité l’installation de transformation d’huîtres de Roger Martin à Caraquet la semaine dernière, où les travailleurs emballaient beaucoup moins d’huîtres que d’habitude. « Nous sommes déjà en baisse d’environ 40 pour cent, » m’a confié Martin alors que nous marchions entre les tables de tri où les employés examinaient chaque huître avec une précision exercée. « Si ça empire, je ne sais pas combien de ces emplois nous pourrons sauver. »
Les communautés autochtones ont des raisons particulières de s’inquiéter. Pour les Mi’kmaq de la Première Nation d’Elsipogtog, les huîtres représentent à la fois subsistance et cérémonie. La Chef Candice Paul m’a invité à me joindre à un rassemblement communautaire où les aînés discutaient de la situation.
« Notre peuple récolte ces eaux depuis des milliers d’années, » a déclaré l’Aîné Joseph Augustine au cercle. « L’huître nous enseigne la résilience et l’adaptation. Maintenant, nous devons en tirer des leçons à nouveau.«
Bien que les perspectives immédiates semblent sombres, des efforts de réponse coordonnés sont en cours. L’Union des pêcheurs des Maritimes a établi un groupe de travail d’urgence, collaborant avec des chercheurs universitaires et des responsables provinciaux pour surveiller les modèles de propagation et tester des stratégies d’atténuation potentielles.
La Dre Elizabeth Cooper de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard croit que la sélection génétique pourrait offrir une voie à suivre. « Certaines populations d’huîtres du nord-est américain ont développé une résistance au MSX après des années d’exposition, » explique-t-elle. « Nous explorons la possibilité d’accélérer ce processus ici. »
J’ai parlé avec Cooper pendant qu’elle prélevait des échantillons d’huîtres apparemment saines dans des bancs affectés. Son équipe espère que ces survivantes pourraient détenir les clés génétiques de la résistance au MSX. Le travail est minutieux mais essentiel.
La crise a suscité une coopération sans précédent entre des exploitations ostréicoles traditionnellement concurrentes. Dans une salle de réunion bondée à Shediac jeudi dernier, j’ai observé des ostréiculteurs qui, d’habitude, partagent rarement leurs informations, échanger ouvertement observations et techniques.
« On est tous dans le même bateau, » a déclaré Jean Arsenault, qui cultive des huîtres dans la baie de Cocagne depuis vingt ans. « Soit on résout ça ensemble, soit on coule tous. »
Les autorités provinciales ont mis en œuvre des restrictions de déplacement pour empêcher la propagation du parasite vers les zones non affectées. Bien que nécessaires, ces mesures mettent davantage à l’épreuve des exploitations déjà en difficulté.
Pour les consommateurs, l’impact reste minimal pour l’instant. Le MSX n’affecte pas la sécurité des huîtres pour la consommation humaine, et les chaînes d’approvisionnement se sont adaptées en s’approvisionnant dans des zones non touchées. Cependant, des augmentations de prix semblent inévitables si les taux de mortalité continuent d’augmenter.
De retour à L’Étang-du-Nord, Marcel Doiron me confie qu’il reste prudemment optimiste malgré tout. « Mon grand-père a survécu au grand ouragan de ’63 qui a détruit tous les bateaux du port. Mon père a reconstruit après l’incendie de l’usine de transformation en ’89. On trouvera aussi un moyen de traverser cette épreuve.«
Alors que le soleil se couche sur le port, projetant de longues ombres sur l’eau, je suis frappé par la résilience de ces communautés côtières. Elles ont déjà affronté des tempêtes, tant littérales que figuratives. La question n’est pas de savoir si elles survivront à ce nouveau défi, mais comment le paysage de l’ostréiculture des Maritimes pourrait être transformé dans ce processus.
Ce qui est certain, c’est que la course pour comprendre et combattre le MSX façonnera l’avenir d’une industrie qui définit l’identité côtière du Canada atlantique depuis des générations. L’histoire des huîtres des Maritimes continue de s’écrire, une récolte soigneuse à la fois.