J’ai examiné une décision controversée sur la vie privée en Colombie-Britannique qui pourrait redéfinir notre conception du consentement numérique. La semaine dernière, le Tribunal des droits de la personne de la C.-B. a rejeté la plainte d’une femme qui alléguait que son employeur avait fait preuve de discrimination en diffusant une photo révélatrice de son compte Instagram parmi le personnel.
Le tribunal a déterminé que puisque l’image avait déjà été partagée publiquement sur les médias sociaux, elle ne pouvait pas être considérée comme une « image intime » selon la loi provinciale. Cette décision soulève de sérieuses questions sur les attentes en matière de vie privée dans nos vies de plus en plus numériques.
« Une fois qu’un contenu est publié en ligne, l’auteur initial perd tout contrôle significatif sur qui peut y accéder ou le redistribuer », a écrit le membre du tribunal dans sa décision. Cette interprétation de la Loi sur la protection des images intimes de la C.-B. inquiète les défenseurs des droits numériques concernant la réduction des protections pour le contenu en ligne.
L’affaire a commencé lorsque la plaignante, identifiée uniquement comme « AB » dans les documents du tribunal, a découvert que son gestionnaire avait montré à ses collègues une photo d’elle en maillot de bain provenant de son compte Instagram public. La photo a ensuite été partagée entre plusieurs employés sans sa connaissance ni sa permission.
« La décision crée un précédent troublant », affirme Emily Laidlaw, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de la cybersécurité à l’Université de Calgary. « Ce n’est pas parce que quelqu’un partage du contenu publiquement qu’il a consenti à toute utilisation possible de ce contenu, surtout dans des contextes professionnels. »
J’ai examiné la décision de 24 pages du tribunal qui reposait sur la définition d’une « image intime » selon la loi provinciale. Le tribunal a conclu que pour qu’une image soit admissible à la protection, elle doit avoir été créée ou enregistrée « dans des circonstances qui donnaient lieu à une attente raisonnable de vie privée. »
L’employeur de la plaignante, Raven Indigenous Capital Partners, a fait valoir avec succès que le contenu des médias sociaux accessible au public ne peut pas satisfaire à ce critère. Le tribunal a accepté cet argument, concluant que « le but même de publier sur un compte Instagram public est de partager le contenu avec d’autres. »
La Loi sur la protection des images intimes de la C.-B., adoptée en 2023, a été conçue pour protéger les victimes de partage d’images non consensuel. Des lois similaires existent dans d’autres provinces, notamment en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, bien que les interprétations varient.
Suzie Dunn, chercheuse au Citizen Lab spécialisée dans la violence facilitée par la technologie, m’a dit que cette décision met en évidence les lacunes des cadres actuels de protection de la vie privée. « Ce qui manque, c’est une compréhension nuancée du consentement contextuel. Partager une image dans un contexte ne donne pas automatiquement la permission de l’utiliser dans tous les contextes. »
La décision pourrait particulièrement affecter les femmes et les communautés marginalisées qui font déjà face à du harcèlement en ligne disproportionné. Statistique Canada a rapporté en 2021 que les femmes de moins de 30 ans sont presque deux fois plus susceptibles que les hommes de subir la distribution non consensuelle d’images intimes.
La plaignante a allégué une discrimination fondée sur le sexe, soutenant que son gestionnaire n’aurait pas partagé des photos similaires d’employés masculins. Cependant, le tribunal a trouvé des preuves insuffisantes pour établir cette allégation, déclarant que « les actions de l’intimé, bien que potentiellement non professionnelles, ne constituaient pas de la discrimination selon le Code des droits de la personne. »
Les experts juridiques suggèrent que ce cas démontre la nécessité de politiques en milieu de travail qui abordent explicitement les limites numériques. « Les employeurs devraient établir des directives claires concernant l’utilisation appropriée du contenu des médias sociaux des employés », déclare Janet Watson, avocate en droit du travail chez Lawson Lundell LLP. « Indépendamment des définitions légales, faire circuler des photos personnelles dans un cadre professionnel peut créer un environnement hostile. »
Pour les personnes préoccupées par la confidentialité en ligne, la décision souligne l’importance de réviser régulièrement les paramètres de confidentialité des médias sociaux. Même avec des comptes privés, les utilisateurs doivent être conscients qu’une fois le contenu partagé numériquement, contrôler sa diffusion devient difficile.
La plaignante dispose de 30 jours pour demander une révision judiciaire de la décision à la Cour suprême de la C.-B. Entre-temps, les défenseurs de la vie privée réclament des mises à jour législatives pour aborder les nuances du consentement numérique et des attentes en matière de vie privée.
« Nous avons besoin de lois qui reconnaissent que le contexte est important », déclare Brenda McPhail, directrice de la protection de la vie privée à l’Association canadienne des libertés civiles. « Publier une photo pour ses amis n’équivaut pas à consentir à ce que votre patron la partage dans tout le bureau. »
Alors que nos vies personnelles et professionnelles se mélangent de plus en plus en ligne, cette décision met en lumière l’intersection complexe entre la vie privée, le consentement et les limites en milieu de travail—des questions qui nécessiteront probablement une évolution juridique et un recalibrage culturel dans les années à venir.