Un rapport récemment publié par l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR) révèle que des agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont été exposés à un « danger considérable et inutile » suite à une décision de haut niveau d’interrompre une opération de renseignement en cours en 2023.
Le rapport de 87 pages, que j’ai obtenu grâce à une demande d’accès à l’information déposée en décembre dernier, détaille comment des agents de terrain qui surveillaient un réseau de renseignement étranger ont reçu l’ordre d’abandonner leurs positions avec un préavis minimal et sans planification d’extraction adéquate.
« Les agents sont restés exposés dans leurs positions de surveillance pendant plus de trois heures après que l’ordre d’interruption a été donné », indique le rapport. « Les protocoles de communication se sont effondrés, et les chefs d’équipe ont signalé une confusion importante concernant les procédures d’évacuation. »
Selon trois anciens agents du SCRS que j’ai interviewés, l’opération surveillait des agents étrangers présumés qui recueillaient des informations sur les infrastructures critiques canadiennes. L’équipe avait établi une surveillance à plusieurs endroits dans deux provinces lorsque le quartier général a émis l’ordre d’arrêt.
« Nous avions des gens dans des positions vulnérables, maintenant des couvertures qui sont soudainement devenues insoutenables », a expliqué Marie Lafontaine, une ancienne spécialiste des opérations du SCRS qui a examiné le rapport à ma demande. « Quand on met fin à une opération de cette complexité, il faut une stratégie de retrait mesurée. »
L’enquête de l’organisme de surveillance a révélé que la décision d’interrompre l’opération est survenue après des pressions diplomatiques, bien que l’OSSNR ait remis en question si les risques pour la sécurité avaient été correctement évalués par rapport aux considérations politiques. Le rapport critique spécifiquement la haute direction pour avoir contourné les protocoles standards de sécurité opérationnelle établis après un incident similaire en 2017.
Le juge Simon Noël de la Cour fédérale, qui assure la surveillance judiciaire des demandes de mandat du SCRS, a exprimé son inquiétude quant à la gestion de cette interruption. « Les procédures établies existent précisément pour prévenir le type de chaos décrit dans cet incident », a-t-il noté dans les commentaires joints au rapport.
L’enquête de l’OSSNR a déterminé que les agents ont été forcés de maintenir leurs identités de couverture alors qu’ils étaient potentiellement sous contre-surveillance, créant ce que le rapport décrit comme « un gradient de risque inacceptable qui violait le devoir de diligence du Service envers son personnel. »
Le plus préoccupant était la constatation que les équipes de secours désignées pour l’extraction d’urgence ont été réaffectées avant que les agents de terrain n’aient pu se retirer en toute sécurité de leurs positions. Lorsqu’interrogée sur cette décision, la haute direction a cité des « priorités d’allocation des ressources » que le rapport a jugées comme une « justification insuffisante compte tenu des implications évidentes pour la sécurité. »
Les documents que j’ai examinés montrent qu’au moins un agent a signalé avoir été suivi après la fin de l’opération, le forçant à prendre des mesures d’évitement sans l’infrastructure de soutien habituelle. Bien qu’aucun agent n’ait finalement été blessé, le rapport conclut que c’était « une question de chance plutôt que de planification adéquate. »
Michel Juneau-Katsuya, ancien chef de l’Asie-Pacifique pour le renseignement du SCRS, m’a confié que ce type d’incident reflète les tensions croissantes entre les réalités opérationnelles et les pressions politiques. « La communauté du renseignement comprend que les missions changent, mais il existe des protocoles pour mettre fin en toute sécurité à une opération. Quand on les contourne, on joue avec la sécurité des agents. »
L’Association canadienne des travailleurs du renseignement, bien que non directement nommée dans le rapport caviardé, a publié une déclaration indiquant qu’elle avait déposé une plainte formelle concernant la sécurité au travail relativement à cet incident. Leur déclaration fait référence à des « problèmes systémiques avec les procédures de cessation d’opération qui ont été signalés à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie. »
Les recommandations de l’OSSNR comprennent des examens de sécurité obligatoires avant l’interruption des opérations, des chaînes de commandement claires pendant les procédures d’arrêt et des redondances de communication améliorées. L’organisme de surveillance a également demandé un audit indépendant de tous les protocoles de cessation d’opération dans les services de renseignement du Canada.
Le bureau du ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a reconnu le rapport dans une déclaration écrite, soulignant que « le gouvernement prend la sécurité du personnel du renseignement avec le plus grand sérieux » et que « toutes les recommandations sont mises en œuvre avec l’urgence appropriée. »
La porte-parole du SCRS, Keira Lawson, a refusé de commenter les détails opérationnels spécifiques, mais a déclaré que le service « accepte les conclusions de l’examen et a déjà mis en œuvre des changements complets aux protocoles de cessation. »
Le rapport de l’OSSNR survient dans un contexte de surveillance accrue des opérations de renseignement du Canada suite à plusieurs enquêtes de haut profil sur l’ingérence étrangère. Les observateurs de la communauté du renseignement notent que l’incident met en évidence l’équilibre délicat entre les considérations diplomatiques et la sécurité opérationnelle.
Bien que les détails spécifiques sur les cibles de l’opération demeurent classifiés, le rapport soulève des questions plus larges sur l’influence politique sur les activités de renseignement et les mécanismes en place pour protéger ceux qui travaillent dans l’ombre de la sécurité nationale.