Alors que Mark Carney achève ses six premiers mois comme Premier ministre, les dirigeants municipaux à travers le Canada font face à une réalité difficile : la révolution promise dans les relations fédérales-municipales reste largement à l’horizon.
Lors d’une entrevue franche à Rideau Hall à Ottawa hier, Carney a clarifié les priorités immédiates de son gouvernement, repoussant les attentes concernant une réforme complète des structures de financement municipal jusqu’à au moins la fin de 2026.
« Nous adoptons une approche mesurée pour la réforme des finances municipales, » m’a confié Carney, d’un ton mesuré mais ferme. « Les défis fiscaux dont nous avons hérité exigent d’abord de stabiliser les finances fédérales. Cela ne signifie pas que les municipalités ne sont pas importantes – elles sont essentielles – mais les changements structurels nécessitent des bases solides. »
Cette déclaration survient dans un contexte de frustration croissante des maires des grandes villes canadiennes, qui ont fait campagne agressivement lors des élections de l’année dernière pour des modèles de financement direct et prévisible qui contournent les processus d’approbation provinciaux. La mairesse de Toronto, Olivia Chow, a exprimé sa déception, mais pas sa surprise quant à ce calendrier.
« Chaque jour d’attente signifie un jour de plus d’infrastructures qui s’effritent et de services inadéquats pour les Canadiens, » a remarqué Chow lors de la réunion du Caucus des maires des grandes villes d’hier. « Nous comprenons les contraintes fiscales, mais nos résidents ressentent les difficultés maintenant, pas en 2026. »
La Fédération canadienne des municipalités estime que les villes canadiennes font face à un déficit collectif d’infrastructure approchant les 260 milliards de dollars, avec des routes, des ponts et des systèmes d’eau qui se détériorent et nécessitent une attention immédiate à travers le pays.
Pour le maire de Saskatoon, Charlie Clark, le délai représente plus qu’une simple question de calendrier politique. « Quand nous parlons de financement municipal, nous parlons en réalité de qui supporte le coût de la croissance du Canada, » a-t-il expliqué lors de notre conversation téléphonique ce matin. « En ce moment, ce fardeau retombe de façon disproportionnée sur les contribuables fonciers, dont beaucoup luttent déjà avec les coûts du logement. »
L’hésitation du gouvernement Carney découle en partie de la complexité du dossier. Contrairement aux administrations précédentes qui ont simplement augmenté les paiements de transfert, l’équipe de Carney évalue des réformes plus fondamentales sur la façon dont les municipalités accèdent aux outils de revenus.
La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a confirmé que le gouvernement étudie des modèles d’autres fédérations, notamment l’Allemagne et l’Australie, où les gouvernements locaux disposent de sources de revenus plus diversifiées et stables. « Nous nous engageons à bien faire les choses, pas seulement à les faire rapidement, » a noté Freeland lors de la conférence sur les perspectives économiques de la semaine dernière.
La prudence du gouvernement reflète également des réalités politiques. Les premiers ministres provinciaux ont historiquement protégé leur autorité constitutionnelle sur les municipalités, considérant les relations fédérales-municipales directes comme un empiétement sur leur juridiction. Plusieurs leaders provinciaux, dont le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, ont déjà signalé leur résistance à tout modèle qui contourne la supervision provinciale.
« Les municipalités existent en tant que créatures des provinces – ce n’est pas juste une technicité juridique, c’est notre fédération, » a déclaré Ford à Queen’s Park plus tôt cette semaine. « Ottawa doit respecter cette relation. »
Pour des communautés comme Rimouski, au Québec, le délai entraîne des conséquences tangibles. Le maire Guy Caron, lui-même ancien député fédéral, souligne que l’usine de traitement d’eau vieillissante de la ville nécessite des mises à niveau de 42 millions de dollars.
« Nous avons postulé à trois différents programmes fédéraux sur cinq ans, et chaque fois les formules de financement ou les priorités ont changé en cours de processus, » a expliqué Caron, sa frustration évidente dans sa voix. « Sans financement prévisible et pluriannuel, nous sommes coincés en mode planification perpétuelle pendant que nos infrastructures continuent de se détériorer. »
Le défi auquel fait face le gouvernement de Carney n’est pas nouveau. Le « déséquilibre fiscal » du Canada – où les municipalités ont la responsabilité d’environ 60% des infrastructures publiques mais ne perçoivent qu’environ 10% des recettes fiscales – est un sujet politique depuis le début des années 2000. Divers gouvernements fédéraux ont tenté des solutions partielles, du Fonds de la taxe sur l’essence (maintenant le Fonds pour le développement des collectivités du Canada) aux programmes d’infrastructure ciblés.
Ce qui rend l’approche de Carney potentiellement différente, c’est son parcours. En tant qu’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, il apporte une expertise financière qui pourrait remodeler les relations fiscales fédérales-municipales. Son équipe économique examine apparemment des options de financement municipal qui vont au-delà des simples augmentations de transferts.
Des sources au sein du Bureau du Premier ministre indiquent que la vision à long terme de Carney inclut potentiellement l’autorisation pour les grandes municipalités d’accéder directement au financement d’infrastructure via la Banque de l’infrastructure du Canada, contournant certaines approbations provinciales pour des projets d’importance nationale.
Pour les petites communautés comme Edson, en Alberta (population 8 400), même des réformes modestes pourraient faire une différence significative. Le maire Kevin Zahara a décrit comment la planification de sa ville est entravée par un financement incertain.
« Nous devons remplacer les conduites d’eau principales de notre rue principale, mais nous ne pouvons pas commencer les travaux d’ingénierie sans savoir si le financement sera disponible, » m’a dit Zahara. « Entre-temps, nous avons eu trois ruptures de conduites d’eau l’hiver dernier. Ce n’est pas une politique abstraite – c’est de savoir si les gens auront de l’eau courante. »
La Fédération canadienne des municipalités a proposé une « nouvelle entente » qui inclurait des pourcentages dédiés des recettes fiscales fédérales allant directement aux municipalités. Leur proposition garantirait qu’un cent de la TPS serait alloué en permanence aux infrastructures municipales, fournissant environ 2,76 milliards de dollars annuellement en financement prévisible.
Lorsqu’on l’a interrogé sur cette proposition spécifique, Carney est resté évasif mais ne l’a pas rejetée d’emblée. « Nous examinons toutes les options viables qui respectent notre fédération tout en répondant aux besoins légitimes des municipalités, » a-t-il déclaré.
Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, prévient que toute réforme substantielle nécessitera des compromis difficiles. « Le cadre fiscal actuel n’a pas de marge pour de nouvelles initiatives de dépenses majeures sans soit augmenter les revenus, soit faire des coupes ailleurs, » a noté Giroux dans sa mise à jour fiscale d’avril.
Alors que les municipalités attendent des changements structurels potentiels, le gouvernement fédéral a offert un certain soulagement intérimaire. L’annonce d’hier comprenait une augmentation ponctuelle de 500 millions de dollars du Fonds pour le développement des collectivités et des approbations accélérées pour les projets déjà dans le pipeline d’infrastructure.
Le maire de Vancouver, Ken Sim, a qualifié ces mesures de « pansements sur un système brisé » mais a reconnu qu’elles apporteraient un certain soulagement immédiat. « Nous prendrons ce que nous pouvons obtenir tout en continuant à plaider pour la réforme complète dont nos villes ont désespérément besoin. »
À l’approche de l’hiver, la température politique autour du financement municipal va probablement augmenter. Avec des défaillances d’infrastructure généralement plus visibles et coûteuses pendant les rudes hivers canadiens, les maires planifient déjà leur prochaine offensive de plaidoyer.
Pour l’instant, le message de Carney aux municipalités en est un de patience et de partenariat. « Nous construisons les fondations d’une réforme durable, » a-t-il insisté. « Une vision à court terme nous a menés à ce déficit d’infrastructure – un changement systémique réfléchi est notre voie de sortie. »
Reste à voir si cette patience durera pendant un autre cycle d’inondations printanières, de retards de construction estivaux et de perturbations des services hivernaux. Pour des millions de Canadiens, l’état des infrastructures municipales n’est pas une question de politique théorique – c’est le nid-de-poule sur leur trajet quotidien, la fiabilité de leur eau potable et, de plus en plus, la question de savoir si leur communauté peut se permettre de croître.