Alors que le gouvernement fédéral se tourne vers les logements préfabriqués pour faire face à la crise du logement au Canada, les experts en innovation dans la construction affirment que cette approche nécessite une mise en œuvre stratégique pour réussir.
Le récent budget fédéral a alloué 500 millions de dollars pour soutenir les maisons construites en usine, la ministre des Finances Chrystia Freeland présentant la construction préfabriquée comme un moyen de « construire des logements plus rapidement et à moindre coût ». Le plan vise à accélérer l’offre de logements dans tout le pays où les pénuries ont poussé l’abordabilité à des niveaux critiques.
Dr. Kasun Hewage, professeur à l’École d’ingénierie de l’UBC Okanagan, estime que la technologie de préfabrication offre des avantages significatifs, mais met en garde contre le fait de la considérer comme une solution miracle.
« Les maisons construites en usine peuvent réduire les déchets de construction jusqu’à 90% par rapport aux méthodes traditionnelles, » m’a confié Hewage lors d’une entrevue dans son centre de recherche à Kelowna. « L’environnement contrôlé signifie également que les retards dus aux intempéries deviennent presque inexistants, réduisant potentiellement les délais des projets de 30 à 50%. »
L’équipe de recherche de Hewage suit l’efficacité de la construction en Colombie-Britannique depuis une décennie. Leurs résultats montrent que la construction modulaire peut diminuer les coûts de construction de 10 à 20% tout en maintenant des normes de qualité qui égalent ou dépassent les méthodes de construction traditionnelles.
Le concept a déjà gagné du terrain dans certaines régions du Canada. À Kitchener-Waterloo, un complexe de logements abordables de 110 unités a été achevé en seulement 11 mois grâce aux techniques modulaires – environ la moitié du temps nécessaire pour une construction conventionnelle. Le projet, soutenu par la Société canadienne d’hypothèques et de logement, fournit des logements à environ 330 résidents.
Malgré ces avantages, la mise en œuvre se heurte à plusieurs obstacles. Les variations des codes du bâtiment entre les provinces créent une complexité réglementaire pour les fabricants qui tentent de se développer à l’échelle nationale. Parallèlement, la logistique de transport limite le rayon d’expédition efficace des modules terminés à environ 400-500 kilomètres des installations de production.
« L’économie se dégrade lorsque vous expédiez de grands modules à travers plusieurs provinces, » explique David Foster, porte-parole de l’Association canadienne des constructeurs d’habitations. « Ce qui fonctionne dans le sud de l’Ontario pourrait ne pas être faisable dans le nord du Manitoba sans adaptation significative. »
Les syndicats ont exprimé des réactions mitigées face à cette initiative. Dennis Darby du Syndicat des charpentiers, section locale 27 de Toronto, reconnaît les avantages en termes d’efficacité, mais s’inquiète du déplacement des métiers spécialisés. « Nous devons nous assurer que le virage vers la production en usine comprend des programmes complets de reconversion pour les travailleurs de la construction existants, » a déclaré Darby lors de récentes audiences en comité.
L’initiative survient alors que Statistique Canada rapporte que le pays a besoin d’environ 3,5 millions de logements supplémentaires d’ici 2030 pour rétablir l’abordabilité. Les taux de construction actuels sont inférieurs d’environ 25% à cet objectif, selon une analyse économique de la Banque Royale du Canada publiée le mois dernier.
Les communautés autochtones, particulièrement dans les régions nordiques éloignées, représentent un domaine où la technologie préfabriquée montre un potentiel particulier. Le rapport sur le logement de l’Assemblée des Premières Nations a identifié plus de 85 000 nouveaux logements nécessaires dans les réserves, où les conditions météorologiques difficiles limitent souvent les saisons de construction à quelques mois par an.
« Les solutions préfabriquées pourraient prolonger notre saison de construction effective tout au long de l’année, » affirme Matthew Coon Come, ancien Grand Chef du Grand Conseil des Cris. « Mais le succès dépend du développement de capacités de fabrication locales et de l’adaptation des conceptions pour respecter les besoins culturels et les conditions environnementales. »
Certaines municipalités révisent leurs règlements pour accueillir des constructions innovantes. Vancouver a récemment mis à jour son code du bâtiment pour simplifier les approbations des composants préfabriqués, tandis que Toronto a lancé un programme pilote qui accélère les demandes de permis pour les projets utilisant une construction hors site significative.
« Le cadre réglementaire n’a pas suivi le rythme de la technologie, » note Anne McMullin, présidente de l’Institut de développement urbain. « Lorsque les règlements ont été rédigés, personne n’imaginait que des sections entières d’appartements seraient construites en usine. »
Pour les Canadiens ordinaires qui voient les prix des logements grimper hors de portée, toute solution offre de l’espoir. À Mississauga, Priya Sharma, acheteuse d’une première maison, cherche depuis deux ans. « À ce stade, peu m’importe comment ma future maison sera construite, tant qu’elle est abordable et disponible bientôt, » m’a-t-elle confié lors d’une récente foire du logement présentant des options préfabriquées.
Le succès de l’initiative fédérale dépendra probablement de la coordination entre les différents paliers de gouvernement, l’industrie et les établissements d’enseignement. Plusieurs collèges ont déjà lancé des programmes de formation spécialisés axés sur les techniques de construction préfabriquée.
Dr. Hewage de l’UBC souligne que le transfert de technologie sera crucial. « Des pays comme la Suède et le Japon perfectionnent ces méthodes depuis des décennies. Nous devons adapter leurs connaissances aux conditions canadiennes plutôt que de réinventer la roue. »
À l’approche de la saison de construction printanière, les observateurs de l’industrie restent prudemment optimistes quant au potentiel de la préfabrication pour aider à atténuer la crise du logement au Canada – à condition que la mise en œuvre aborde l’interaction complexe entre la réglementation, la logistique et le développement de la main-d’œuvre qui déterminera si cette innovation dans la construction peut vraiment tenir ses promesses.