Alors que le premier ministre François Legault clôturait la session législative du Québec, il est resté ferme face aux suggestions selon lesquelles son gouvernement aurait perdu le nord. « Nous ne sommes pas parfaits, » a-t-il admis lors de sa dernière conférence de presse à l’Assemblée nationale. « Mais nous avons accompli beaucoup. »
Derrière cette assurance mesurée se cache une réalité plus complexe. Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ), qui jouissait autrefois de taux d’approbation sans précédent, fait maintenant face à des sondages en baisse et à une anxiété économique croissante dans toute la province.
Les remarques de clôture du premier ministre ont souligné un virage important. Après des années concentrées sur la politique identitaire et la protection de la langue, Legault a déclaré que l’économie était sa « priorité absolue » pour 2024. Ce changement survient alors que l’inflation continue de comprimer les budgets des ménages et que les coûts du logement dépassent la portée de nombreux Québécois.
« Les gens ressentent la pression dans les épiceries et voient leur loyer augmenter, » explique Marie Léveillé, économiste à l’Université de Montréal. « La CAQ a initialement connecté avec les électeurs par l’identité culturelle, mais on ne peut pas se nourrir de politique identitaire. Les gens ont besoin de solutions économiques. »
Les récents sondages Léger montrent que l’appui à la CAQ est tombé à 31%, en baisse par rapport aux 41% qui leur avaient assuré leur deuxième majorité en 2022. Le Parti libéral du Québec et le Parti Québécois ont gagné du terrain, avec respectivement 24% et 19%, suggérant que les électeurs pourraient reconsidérer leurs options.
Le regain d’intérêt économique de Legault semble directement lié à ces chiffres. Lors de son bilan de fin d’année, il a souligné plusieurs initiatives destinées à répondre aux problèmes économiques : une réduction d’impôt promise de 500$ pour les familles à revenu moyen, de nouvelles incitations au logement et des investissements en infrastructure à Montréal et Québec.
« Le premier ministre essaie de se repositionner comme le gestionnaire pratique plutôt que le guerrier identitaire, » note Daniel Béland, professeur de sciences politiques à l’Université McGill. « Mais la question demeure de savoir si les électeurs lui donneront crédit pour avoir essayé de résoudre des problèmes que son gouvernement avait initialement minimisés. »
Les défis économiques auxquels le Québec fait face ne sont pas insignifiants. Si le chômage reste relativement bas à 5,1%, la croissance du PIB a ralenti à seulement 0,9% cette année, selon Statistique Canada. Les mises en chantier de logements sont bien en deçà des objectifs malgré des pénuries critiques dans les grands centres urbains.
Les petits entrepreneurs comme Jean Tremblay, qui gère une quincaillerie familiale au Saguenay, expriment une frustration qui devient de plus en plus courante. « Ils ont passé des années à débattre des affichages linguistiques pendant que mes coûts augmentaient de 30%. Maintenant ils disent que l’économie compte? Elle a toujours compté pour nous. »
La stratégie de la CAQ pour 2024 semble double : offrir un soulagement économique tangible tout en rappelant aux électeurs les réalisations depuis leur prise de pouvoir en 2018. Legault a souligné les investissements dans les infrastructures de santé, l’expansion des programmes de prématernelle et les démarches vers une plus grande autonomie provinciale face à Ottawa.
Le ministre des Finances Eric Girard a insisté sur le fait que les finances publiques restent en ordre malgré les vents économiques contraires. « Nous avons maintenu notre cote de crédit et gardé les déficits gérables tout en investissant dans les priorités des Québécois, » a-t-il déclaré aux journalistes la semaine dernière. La mise à jour économique d’automne prévoyait un déficit de 4 milliards de dollars, plus élevé que prévu initialement mais toujours dans ce que le gouvernement considère comme des limites raisonnables.
Les partis d’opposition ont saisi l’occasion de la situation économique. Le chef libéral Marc Tanguay a accusé le gouvernement de « négligence économique » lors d’échanges houleux à l’Assemblée nationale. « Pendant que le premier ministre était occupé avec le projet de loi 96 et la politique identitaire, la compétitivité économique du Québec a pris du retard par rapport aux autres provinces, » a affirmé Tanguay.
Le chef du Parti Québécois Paul St-Pierre Plamondon a adopté une approche différente, soutenant que seule la souveraineté donnerait au Québec les outils économiques dont il a besoin. « Nous essayons de naviguer dans l’inflation et les crises du logement avec une main attachée derrière le dos, » a-t-il déclaré pendant les débats.
Ce qui est peut-être le plus préoccupant pour la CAQ, c’est que leurs bastions traditionnels dans les régions du Québec montrent des signes de détresse économique. Les ralentissements manufacturiers ont frappé des communautés comme Trois-Rivières et Drummondville, tandis que les villes dépendantes des ressources font face à l’incertitude due aux fluctuations du marché mondial.
« Les régions ont donné à Legault sa majorité, » explique l’analyste politique Chantal Hébert. « Si elles se sentent économiquement abandonnées, toute la coalition électorale de la CAQ pourrait se fracturer. »
Alors que les décorations de Noël apparaissent dans toute la province, Legault espère que son virage économique trouvera écho auprès des familles réunies autour des tables des fêtes. Son gouvernement a déjà signalé des plans pour une annonce économique majeure en janvier et promis que le budget du printemps apportera un soulagement significatif.
La question de savoir si ce changement arrive trop tard reste ouverte. Le premier ministre a encore près de deux ans avant les prochaines élections pour convaincre les Québécois que son gouvernement peut apporter la prospérité parallèlement à la protection culturelle. Mais les premières impressions comptent en politique, et beaucoup d’électeurs ont formé les leurs quand la CAQ mettait l’accent sur l’identité plutôt que sur l’économie.
Comme l’a reconnu un initié de la CAQ sous couvert d’anonymat, « Nous savons que nous devons montrer des résultats sur le logement et l’inflation avant la prochaine campagne. Les gens votent avec leur portefeuille quand les temps sont durs. »
Pour les Québécois ordinaires comme la Montréalaise Sylvie Lapointe, qui a récemment vu son loyer mensuel augmenter de 200$, les priorités du gouvernement semblent de plus en plus déconnectées de la réalité. « Je me fiche des lois linguistiques quand je m’inquiète de payer mon loyer, » dit-elle. « Je veux voir de vraies solutions, pas seulement des promesses. »
Alors que 2023 touche à sa fin, le virage économique de Legault représente à la fois une opportunité et une reconnaissance de vulnérabilité. Son succès dépendra de la conviction des Québécois que leur premier ministre peut assurer la sécurité économique avec la même conviction qu’il a apportée aux questions d’identité et de langue.