Après une brève accalmie, l’Alberta a de nouveau relancé son différend avec les producteurs américains de boissons alcoolisées en rétablissant une majoration de 20 % sur les importations d’alcool en provenance des États-Unis. Cette décision survient après une suspension temporaire de ces tarifs plus tôt cette année, signalant que les tensions commerciales transfrontalières sont loin d’être résolues.
Le gouvernement provincial a annoncé le retour de ces tarifs par un arrêté ministériel signé par le ministre des Finances Nate Horner en août. Ce développement marque le dernier chapitre d’un différend commercial qui affecte les distillateurs, les viticulteurs et les consommateurs des deux côtés de la frontière.
« Nous protégeons simplement les intérêts de l’Alberta, » a expliqué le ministre du Commerce Nate Nally lors d’une récente conférence de presse. « Lorsque nos partenaires commerciaux appliquent des mesures injustes à nos produits, nous n’avons d’autre choix que de répondre de la même manière. »
Le différend remonte à des préoccupations concernant des pratiques prétendument discriminatoires dans certains États américains qui, selon les responsables albertains, désavantagent les boissons alcoolisées canadiennes. Les autorités provinciales ont particulièrement pointé du doigt le Michigan, où elles affirment que les produits canadiens font face à un traitement inéquitable dans le système de distribution contrôlé par l’État.
Pour les petits distillateurs artisanaux albertains comme Rocky Mountain Spirits, ces tensions commerciales créent une incertitude sur le marché à un moment où plusieurs se remettent encore des défis liés à la pandémie. « Nous sommes pris dans le feu croisé de la politique alors que nous essayons de bâtir une reconnaissance internationale pour les spiritueux canadiens, » note Emma Westbrook, maître-distillatrice de l’entreprise basée à Calgary.
Les implications économiques vont au-delà des préoccupations des producteurs. Les détaillants de spiritueux albertains doivent maintenant faire face à la tâche complexe d’ajuster leurs structures de prix en milieu d’année, potentiellement en répercutant les coûts sur les consommateurs qui sont déjà aux prises avec des pressions inflationnistes sur leurs budgets familiaux.
Les différends commerciaux impliquant l’alcool ne sont pas nouveaux en Amérique du Nord. Le réseau complexe de réglementations post-Prohibition a créé une mosaïque de lois de distribution qui deviennent fréquemment des points de friction dans les relations commerciales. Ce qui rend cette situation unique, c’est la volonté de l’Alberta d’agir indépendamment plutôt que d’attendre l’intervention fédérale.
Les analystes économiques soulignent que, bien que la majoration de 20 % puisse sembler modeste à première vue, son impact se répercute dans toute la chaîne d’approvisionnement. « Lorsqu’on considère les majorations d’entrepôt, les marges de détail et autres coûts, ces 20 % au niveau de l’importation peuvent se traduire par près du double lorsqu’un produit atteint les consommateurs, » explique Darren Oleksyn, analyste des boissons au détail chez Market Insights Group, basé à Toronto.
Les données de Statistique Canada montrent que les États-Unis ont exporté environ 224 millions de dollars de boissons alcoolisées vers l’Alberta en 2023, le whisky et le vin représentant les plus grandes catégories. Cela rend les enjeux importants pour les producteurs américains, particulièrement les petites exploitations artisanales qui ont étendu leur présence sur le marché canadien.
À Washington, la réponse a été mesurée mais préoccupée. Le Bureau du représentant américain au commerce a exprimé sa déception face à la décision de l’Alberta, suggérant qu’elle contredit l’esprit de coopération de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). Des groupes industriels comme le Conseil des spiritueux distillés des États-Unis ont pressé les responsables fédéraux de recourir aux mécanismes de consultation formels prévus par l’accord commercial.
« Ce va-et-vient n’aide personne, » déclare Michel Tremblay, président de l’Association des détaillants de spiritueux de l’Alberta. « Nos membres doivent expliquer les augmentations de prix aux clients qui ne comprennent pas pourquoi leur bourbon préféré coûte soudainement plus cher à cause d’un différend sur l’accès du whisky canadien au Michigan. »
Le moment choisi par l’Alberta pour cette décision fait sourciller les observateurs politiques. Avec les élections américaines qui approchent et la politique provinciale canadienne qui s’intensifie, les actions commerciales sont souvent amplifiées pour la consommation politique intérieure. Certains critiques suggèrent que le gouvernement PCU de l’Alberta fait flex de ses muscles d’autonomie pour les audiences locales tout en utilisant le commerce international comme scène.
Pour les consommateurs ordinaires, l’effet pratique pourrait être subtil au début mais pourrait devenir plus prononcé si le différend s’intensifie. Une bouteille typique de bourbon américain au prix de 40 $ pourrait voir son prix en rayon augmenter de 8 à 10 $ une fois tous les facteurs de majoration pris en compte. Cela crée des opportunités de marché potentielles pour les producteurs canadiens, mais risque aussi de frustrer les consommateurs si leurs produits préférés deviennent prohibitifs.
La suite dépendra largement des efforts diplomatiques qui se déroulent en coulisses. Les responsables commerciaux des deux pays ont maintenu des canaux de communication ouverts, les représentants albertains indiquant qu’ils envisageraient de suspendre à nouveau les tarifs si des progrès étaient réalisés concernant les préoccupations d’accès au marché.
La situation actuelle démontre comment, même à l’ère des accords commerciaux formalisés, les gouvernements infranationaux conservent un levier important dans le commerce international grâce à leur autorité réglementaire sur certains secteurs. La volonté de l’Alberta d’utiliser la politique des spiritueux comme outil commercial établit un précédent que d’autres provinces et États pourraient suivre lorsqu’ils cherchent à remédier aux déséquilibres perçus.
Alors que les étagères sont réapprovisionnées et les étiquettes de prix ajustées, la question demeure de savoir si ce différend restera limité à l’alcool ou s’étendra à d’autres secteurs de l’économie nord-américaine profondément intégrée. Pour l’instant, les consommateurs pourraient vouloir faire le plein de leurs spiritueux américains préférés avant de ressentir pleinement l’impact de ces tarifs renouvelés.