Le drame judiciaire entre les géants mondiaux du streaming et le régulateur de la radiodiffusion canadienne s’est intensifié hier lorsque Netflix, Disney+ et Amazon Prime Video ont déposé une contestation juridique conjointe contre les nouvelles exigences de financement du contenu canadien. Cette confrontation marque le dernier chapitre d’une relation de plus en plus tendue entre les plateformes internationales et les autorités réglementaires canadiennes.
« Il ne s’agit pas d’éviter de soutenir les histoires canadiennes, » a déclaré Helen Michaels, directrice des politiques publiques de Netflix Canada, s’exprimant devant la Cour fédérale à Ottawa. « Il s’agit d’établir des règlements équitables et fonctionnels qui reconnaissent la réalité des services numériques mondiaux. »
En cause, la directive d’avril du CRTC exigeant que les plateformes de streaming étrangères opérant au Canada contribuent à hauteur de 5 % de leurs revenus canadiens pour soutenir la production cinématographique et télévisuelle nationale. Cette réglementation, qui fait partie de la Loi sur la diffusion en ligne (anciennement projet de loi C-11), vise à uniformiser les règles du jeu entre les diffuseurs traditionnels, qui financent depuis longtemps le contenu canadien, et les nouveaux venus numériques.
Pour de nombreux Canadiens, ce différend représente plus que des détails réglementaires. Le résultat pourrait remodeler ce qui apparaît sur leurs écrans et potentiellement affecter les coûts d’abonnement.
Debout devant sa petite société de production dans l’est de Toronto, le cinéaste indépendant Marc Leblanc exprime des sentiments mitigés face à cette contestation. « Nous avons désespérément besoin d’un financement durable pour les histoires canadiennes, mais je crains que ces règles aient été conçues pour le monde de la diffusion d’hier, pas pour la réalité numérique d’aujourd’hui. »
Les entreprises de streaming soutiennent que le CRTC a outrepassé son autorité. Leur recours juridique affirme que le régulateur n’a pas effectué d’évaluations adéquates de l’impact économique et a ignoré les différences fondamentales entre les diffuseurs traditionnels et les services de streaming mondiaux.
La ministre du Patrimoine, Pascale St-Onge, a défendu la réglementation lors d’une conférence de presse à Montréal. « Les diffuseurs canadiens contribuent à notre écosystème culturel depuis des décennies. Les géants numériques qui bénéficient de l’accès aux auditoires canadiens devraient également participer au soutien des créateurs canadiens. »
Le conflit touche à des questions plus profondes sur la souveraineté culturelle à l’ère numérique. Le système de radiodiffusion canadien a historiquement équilibré les intérêts commerciaux avec les objectifs culturels, notamment en exigeant que les stations de radio diffusent de la musique canadienne et que les réseaux de télévision présentent des émissions canadiennes aux heures de grande écoute.
L’Association canadienne des producteurs médiatiques a publié des données montrant que la production nationale a chuté de 13 % l’an dernier, soulignant ce qu’ils appellent un besoin urgent de nouvelles sources de financement. « Il ne s’agit pas de protectionnisme, » a déclaré le président de l’ACPM, Reynolds Mastin. « Il s’agit de garantir que les créateurs canadiens disposent des ressources nécessaires pour raconter des histoires canadiennes dans un marché de plus en plus mondial. »
Mais les entreprises de streaming insistent sur le fait qu’elles investissent déjà considérablement dans le contenu canadien. Netflix souligne des productions comme « Anne with an E » et l’engagement récemment annoncé de 500 millions de dollars dans des installations de production canadiennes à Vancouver et Toronto.
« Nous avons créé des milliers d’emplois et d’opportunités pour les talents canadiens sans exigences réglementaires, » a déclaré Jamie Chen, porte-parole d’Amazon Prime Video. « Imposer une approche uniforme risque de compromettre ce qui fonctionne bien. »
La contestation juridique a relancé le débat sur les règles du contenu canadien elles-mêmes. Un récent sondage Angus Reid a révélé que 63 % des Canadiens conviennent que préserver la culture canadienne par la réglementation des médias demeure important, bien que ce soutien tombe à 41 % chez les répondants de moins de 35 ans.
Michael Geist, professeur de droit à l’Université d’Ottawa spécialisé en droit de l’internet et du commerce électronique, voit des enjeux plus profonds. « Les géants du streaming ne combattent pas le contenu canadien—ils combattent un cadre réglementaire dépassé qu’on tente d’imposer aux services internet. La distinction est importante. »
Pour les abonnés, les enjeux incluent potentiellement des préoccupations financières. Bien qu’aucune plateforme n’ait annoncé d’augmentations de prix liées à la réglementation, les analystes de l’industrie suggèrent que les coûts réglementaires supplémentaires pourraient éventuellement atteindre les consommateurs.
« C’est un simple calcul, » a expliqué l’analyste en télécommunications Dwayne Brown. « Si les plateformes doivent détourner 5 % des revenus canadiens vers des fonds de contenu, cet argent vient de quelque part—soit de services réduits, soit de frais d’abonnement plus élevés. »
L’affaire met en évidence le défi d’appliquer des réglementations nationales à des services numériques intrinsèquement mondiaux. Des diffuseurs canadiens comme Bell Média et Corus Entertainment soutiennent depuis des années qu’ils font face à un paysage concurrentiel inégal face aux diffuseurs étrangers non réglementés.
Le CRTC a refusé de commenter spécifiquement la contestation juridique, mais la porte-parole Marie-Claude Arsenault a noté que « la Commission estime que son approche équilibre le besoin de flexibilité tout en garantissant que les diffuseurs étrangers contribuent équitablement à notre système de radiodiffusion. »
Alors que l’affaire suit son cours devant les tribunaux, les sociétés de production canadiennes restent prises entre deux feux. Les petits studios, en particulier, dépendent de mécanismes de financement stables pour concurrencer les productions internationales à plus gros budget.
« Nous voulons simplement de la certitude, » a déclaré la productrice vancouvéroise Samantha Wong. « Que cela provienne de la réglementation ou d’investissements directs des plateformes importe peu aux créateurs, tant qu’ils savent que les ressources seront là pour raconter des histoires distinctement canadiennes. »
La Cour fédérale devrait commencer les audiences sur cette contestation cet automne, une décision n’étant pas attendue avant début 2026. Entre-temps, le CRTC continue de mettre en œuvre d’autres aspects de la Loi sur la diffusion en ligne, y compris des exigences de découvrabilité pour garantir que le contenu canadien reste visible sur les plateformes de streaming.
Pour les Canadiens ordinaires qui parcourent leurs options de streaming ce soir, cette bataille réglementaire complexe représente une question moderne sans réponse simple : comment un pays de taille moyenne peut-il maintenir sa voix culturelle dans un monde numérique de plus en plus sans frontières?