Alors que la lumière brumeuse du matin se lève sur la Promenade des Anglais à Nice, des milliers de délégués, scientifiques et défenseurs se pressent au Palais des Congrès pour ce que le président français Emmanuel Macron a qualifié de « dernière chance pour sauver nos océans du désastre ». La quatrième Conférence des Nations Unies sur les océans s’ouvre aujourd’hui avec un ton résolument urgent—peut-être parce que trois ans après la conférence de Lisbonne, beaucoup de promesses demeurent simplement des promesses.
« Nous nous réunissons depuis des décennies pour discuter de la protection des océans, mais nos eaux se réchauffent plus vite que jamais, » déclare Macron dans son discours d’ouverture. « La France n’acceptera plus de retards ni d’engagements vides. »
Cette urgence n’est pas qu’une posture politique. Lorsque je visite le pavillon scientifique de la conférence, l’océanographe Dr Sylvie Moreau me montre des données en temps réel sur sa tablette. « La Méditerranée s’est réchauffée de près de 0,4°C depuis la dernière conférence, » explique-t-elle, pointant vers une carte thermique qui rougeoie de façon inquiétante autour du littoral visible par les fenêtres. « Ce n’est plus abstrait. Les pêcheurs d’ici peuvent vous dire que leurs prises ont changé dramatiquement. »
La conférence, qui se déroule du 9 au 13 juin, a attiré des représentants de 193 pays ainsi que des milliers d’ONG, de délégués autochtones et d’acteurs du secteur privé. Mais l’atmosphère semble différente des rassemblements précédents—moins festive, plus déterminée.
La délégation canadienne, menée par la ministre des Pêches Joyce Murray, arrive avec ce qu’elle appelle « des engagements soutenus par des actions » suite aux critiques selon lesquelles les objectifs canadiens de protection des océans reposaient trop sur des désignations sur papier plutôt que sur une conservation effective.
« Nous avons protégé 14,6% de nos océans sur papier, mais la surveillance et l’application ont été inadéquates, » admet Murray lors d’une conversation étonnamment franche dans un couloir. « Cette fois, nous nous concentrons sur le financement de la mise en œuvre, pas seulement sur le tracé des frontières. »
L’agenda principal de la conférence s’articule autour de la mise en œuvre de l’Objectif de développement durable 14: « Vie aquatique », pour lequel la plupart des pays accusent un retard dramatique. Les discussions clés incluent l’établissement d’un calendrier pour le récemment ratifié Traité de la haute mer, la finalisation du cadre 30×30 (protéger 30% des océans d’ici 2030), et la création d’engagements contraignants sur la pollution plastique suite au Traité des Nations Unies sur les plastiques.
Une visite au Pavillon des peuples autochtones révèle des perspectives souvent absentes des débats politiques. James Eetoolook, pêcheur et gardien du savoir du Nunavut, explique à un petit rassemblement: « Quand les politiciens du sud parlent de protection des océans, ils pensent à des frontières sur des cartes. Pour nous, la protection signifie relation et réciprocité—on ne prend que ce dont on a besoin, on remercie, on s’assure que le cycle continue. »
Ses mains, usées par des décennies à tirer des filets dans les eaux arctiques, désignent un écran numérique montrant les systèmes traditionnels de connaissance inuite de la glace de mer. « Nos communautés gèrent les ressources océaniques depuis des milliers d’années. Maintenant, on nous dit que nos méthodes doivent être ‘validées’ par la science avant qu’ils ne nous écoutent. »
La conférence arrive à un moment critique. Le dernier rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat sur les océans, publié quelques semaines avant la conférence, révèle que les vagues de chaleur marine ont doublé en fréquence depuis 1993, tandis que l’acidification des océans continue d’accélérer au-delà des prédictions des modèles précédents.
« Nous ne perdons pas seulement de jolis coraux, » explique la biologiste marine Dr Josephine Chen lors d’un atelier en bord de mer où les participants trempent des bandelettes de test dans la Méditerranée. « Nous perturbons la base de chaînes alimentaires qui soutiennent des milliards de personnes. Près de 40% de l’humanité dépend directement d’océans sains pour leurs protéines. »
Les enjeux économiques sont tout aussi sobres. Un représentant de la Banque mondiale présente des données montrant que les industries basées sur l’océan génèrent plus de 2,5 billions de dollars annuellement—l’équivalent de la septième économie mondiale—tout en soutenant plus de 40 millions d’emplois directement. « Chaque année d’inaction nous coûte environ 200 milliards de dollars en services écosystémiques réduits, » affirme l’économiste Marco Lambertini.
Ce qui est différent cette année, c’est la place centrale qu’occupent les voix des petites nations insulaires. Le négociateur des Îles Marshall, Amata Kabua, reçoit une ovation debout après avoir prononcé un discours passionné liant directement la santé des océans à la survie nationale.
« Pour nous, la conservation des océans n’est pas une question environnementale—c’est existentiel, » me confie Kabua plus tard. « Nous sommes venus avec des demandes claires: mise en œuvre complète du Traité de la haute mer d’ici 2026, pas 2030; financement immédiat pour les pertes et dommages dus au réchauffement des océans; et objectifs contraignants sur la pollution plastique avec des mécanismes d’application. »
Derrière les sessions publiques, des tensions émergent autour du financement. Les nations développées soutiennent qu’elles contribuent déjà des milliards, tandis que les pays en développement pointent vers des études montrant que le financement réel de la conservation des océans est inférieur aux promesses d’environ 70%. Le Fonds vert pour le climat n’a alloué que 3% de son portefeuille à des projets spécifiques aux océans depuis sa création.
« On nous parle sans cesse de ‘mécanismes de financement innovants’, » dit la déléguée brésilienne Marina Santos. « Mais l’innovation sans mise en œuvre n’est qu’une autre tactique de retardement. »
La présence du secteur privé est notable, avec de grandes compagnies maritimes, des géants du tourisme, et même des entreprises technologiques organisant des événements parallèles. La conservation des océans est devenue une grande affaire, soulevant des questions quant à savoir si les motivations de profit peuvent s’aligner avec les objectifs de protection.
Microsoft dévoile « Ocean Data Commons », une plateforme d’intelligence artificielle qui traitera les images satellite pour suivre la pêche illégale, tandis que la compagnie énergétique norvégienne Equinor annonce une initiative d’un milliard de dollars pour développer des réseaux éoliens offshore qui font également office de sanctuaires marins.
Certains observateurs de la société civile restent sceptiques. « L’écoblanchiment des entreprises a évolué, » affirme Louisa Casson, directrice de la campagne océans de Greenpeace. « Maintenant, ils parlent parfaitement notre langage tout en continuant à privilégier l’extraction plutôt que la régénération. »
À la fin du premier jour de la conférence, les délégués se répandent sur le célèbre front de mer de Nice où la Méditerranée—le plan d’eau même dont ils discutent la protection—clapote doucement contre le rivage. L’ironie n’échappe à personne que cette mer a perdu 41% de ses mammifères marins en seulement 50 ans.
« Nous savons quoi faire, » dit Jane Lubchenco, ancienne administratrice océanique américaine, regardant le coucher de soleil sur des eaux qui paraissent trompeusement immaculées. « La science est claire. L’économie est logique. Ce qui manque, c’est le courage politique et une véritable responsabilisation. »
La conférence se poursuit jusqu’à vendredi, avec des annonces majeures attendues mercredi concernant un système unifié de surveillance des océans et le segment de haut niveau de jeudi axé sur les engagements financiers.
Reste à voir si cette réunion traduira enfin des décennies de promesses océaniques en protection significative. Mais comme le rappelle le Premier ministre de Tuvalu à l’assemblée, « L’océan se souvient de ce que nous faisons, pas de ce que nous disons. »