Au cœur de chaque accident mortel en milieu industriel se cache un écheveau complexe de questions de responsabilité. Lorsqu’un sous-traitant est décédé aux installations d’Algoma Steel à Sault Ste. Marie en 2019, peu s’attendaient à ce que le producteur d’acier poursuive ultérieurement un sous-traitant pour 2 millions de dollars en lien avec l’incident.
La poursuite, déposée à la Cour supérieure de l’Ontario, révèle un réseau complexe d’obligations contractuelles, de protocoles de sécurité et de litiges concernant la responsabilité qui ont suivi le décès d’un travailleur d’entretien de 56 ans. J’ai passé la semaine dernière à examiner des documents judiciaires qui dressent un portrait troublant de la façon dont les responsabilités en matière de sécurité au travail peuvent devenir un terrain contesté après une tragédie.
« Les accidents industriels exposent souvent les écarts entre les politiques de sécurité des entreprises et les réalités de mise en œuvre, » explique Sarah Morin, avocate spécialisée en sécurité au travail pour la Coalition de défense juridique des travailleurs industriels. « Ces cas révèlent fréquemment comment la responsabilité est distribuée—ou contestée—entre les entreprises et leurs sous-traitants. »
Selon les documents judiciaires, le travailleur effectuait l’entretien de systèmes de convoyeurs lorsque l’accident mortel s’est produit. Algoma Steel affirme que l’entreprise sous-traitante n’a pas correctement formé et supervisé le personnel travaillant dans cet environnement dangereux. Le sous-traitant, quant à lui, maintient avoir suivi tous les protocoles de sécurité décrits dans leur entente avec le producteur d’acier.
La poursuite survient près de trois ans après que le ministère du Travail de l’Ontario ait complété son enquête, qui a abouti à plusieurs infractions aux normes de santé et sécurité au travail contre Algoma Steel et l’entreprise sous-traitante. Chaque entreprise a payé des amendes réglementaires dépassant 100 000 $.
Ce qui rend cette affaire particulièrement significative est la façon dont elle met en lumière le paysage de plus en plus complexe de la responsabilité en milieu industriel. La réclamation du producteur d’acier vise à récupérer les coûts liés aux perturbations de production, aux pénalités réglementaires et aux dépenses juridiques associées à l’accident mortel.
J’ai parlé avec Diane Lebouthillier, ancienne agente de conformité en sécurité du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail, qui a examiné les détails de l’affaire à ma demande. « Cette stratégie juridique devient de plus en plus courante, » a-t-elle noté. « Les entreprises utilisent davantage les clauses d’indemnisation pour se protéger des conséquences financières des incidents de travail, même lorsque les organismes de réglementation constatent une responsabilité partagée. »
Les documents judiciaires révèlent qu’Algoma Steel invoque une clause d’indemnisation spécifique dans leur contrat—un langage standard qui existe dans des milliers de contrats similaires à travers le secteur industriel canadien. La clause exige que les sous-traitants « tiennent à couvert » l’entreprise contre toute réclamation découlant du travail du sous-traitant, quels que soient les facteurs contributifs.
La famille du travailleur a réglé une poursuite distincte pour mort injustifiée l’année dernière pour un montant non divulgué. Leur avocat, qui a demandé l’anonymat en raison des litiges en cours, m’a dit que la famille était « dévastée de voir les entreprises se battre pour la responsabilité financière alors qu’ils pleurent encore leur être cher. »
Les rapports du ministère du Travail, obtenus par une demande d’accès à l’information, ont identifié plusieurs facteurs potentiels ayant contribué à l’incident, notamment des procédures de verrouillage insuffisantes, une documentation inadéquate de la formation, et des ruptures de communication entre l’équipe d’opérations d’Algoma Steel et les travailleurs de l’entreprise sous-traitante.
L’affaire a capté l’attention à travers le secteur industriel de l’Ontario. Une analyse publiée dans le Journal canadien de la santé et sécurité au travail suggère que le résultat pourrait influencer la façon dont les entreprises structurent leurs relations avec les sous-traitants et leurs protocoles de sécurité à l’avenir.
« Si Algoma réussit à transférer toute la responsabilité financière au sous-traitant malgré les conclusions réglementaires de responsabilité partagée, nous verrons probablement plus d’entreprises adopter cette approche, » affirme Pierre Trudeau, professeur de relations industrielles à l’Université Laurentienne. « Cela soulève de sérieuses questions quant à savoir si de telles stratégies juridiques renforcent ou compromettent ultimement la sécurité au travail dans des environnements industriels complexes. »
Le sous-traitant a déposé une demande reconventionnelle affirmant qu’Algoma Steel conservait le contrôle des systèmes de sécurité critiques et des protocoles d’accès au site qui ont contribué à l’incident. Leur défense repose en partie sur des documents montrant que le personnel de sécurité du producteur d’acier était responsable de l’orientation du site et de l’approbation des plans de travail.
J’ai visité l’installation de Sault Ste. Marie la semaine dernière, où les employés actuels ont exprimé des réactions mitigées face à la poursuite. Un travailleur de longue date, s’exprimant sous condition d’anonymat par crainte de représailles, a décrit une « culture où la sécurité est mise en avant lors des réunions, mais les pressions de production l’emportent souvent quand les délais approchent. »
Les audiences judiciaires doivent commencer le mois prochain. Les experts juridiques suggèrent que l’affaire pourrait établir un précédent important concernant l’applicabilité des clauses d’indemnisation générales dans des situations où plusieurs parties partagent la responsabilité des conditions de sécurité au travail.
Pour les familles de ceux qui ont perdu la vie dans des accidents industriels, ces batailles juridiques rouvrent souvent des blessures. Alors qu’Algoma Steel et son sous-traitant préparent leurs arguments, l’affaire sert de rappel sobre que les accidents mortels en milieu de travail laissent derrière eux non seulement des familles endeuillées, mais aussi des questions complexes sur la responsabilité des entreprises qui peuvent prendre des années à résoudre.