Je sors de ma voiture de location et suis immédiatement frappé par le vent atlantique mordant de St. John’s, mon carnet déjà humide entre mes doigts. L’installation de production d’hydrogène proposée par World Energy GH2 devrait prendre forme le long de ce littoral—le fleuron de la révolution de l’hydrogène vert de Terre-Neuve-et-Labrador. Pourtant, je ne trouve que les affleurements rocheux habituels et quelques bateaux de pêche qui se balancent au loin.
« On a déjà entendu toutes ces promesses, » me confie Maggie Thornhill, dont la famille pêche dans ces eaux depuis quatre générations. « D’abord c’était le pétrole, maintenant l’hydrogène. Mais les factures s’accumulent et les emplois ne se sont pas matérialisés. »
À travers Terre-Neuve, un schéma émerge qui contredit la stratégie ambitieuse d’hydrogène de la province. Plusieurs entreprises, y compris le leader de l’industrie World Energy GH2, ont accumulé des retards de paiement envers les entrepreneurs locaux. Selon des documents obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information, au moins trois grands développeurs d’hydrogène doivent des dettes combinées dépassant 3,2 millions de dollars à des petites entreprises de la province.
La province a misé son avenir économique en partie sur le fait de devenir ce que le premier ministre Andrew Furey a appelé une « puissance de l’hydrogène vert » lors de l’annonce du cadre provincial de l’hydrogène en 2023. La stratégie prévoyait 3 000 emplois et des milliards d’investissements pour exploiter les vents puissants de Terre-Neuve afin de produire de l’hydrogène destiné à l’exportation vers les marchés européens en quête d’énergie.
Pour les communautés encore ébranlées par l’effondrement des stocks de morue et la volatilité des prix du pétrole, l’hydrogène représentait une bouée de sauvetage. « Quand ils ont organisé des assemblées publiques à Stephenville, on ne pouvait pas trouver de place, » se souvient David Parsons, qui dirige une petite entreprise de construction sous contrat pour les travaux préliminaires du site. « Ils nous promettaient du travail stable pour les années à venir. »
Mais huit mois après le début des travaux, Parsons attend toujours 178 000 dollars de paiements en retard. « J’ai dû licencier trois personnes. Ce sont mes voisins, des gens que je vois à l’église le dimanche. »
L’Association de l’industrie environnementale de Terre-Neuve-et-Labrador (NEIA) a recensé des histoires similaires dans toute la province. « Nous constatons un écart inquiétant entre les annonces et l’exécution, » explique Kieran Hanley, directeur exécutif de NEIA. « Les entreprises obtiennent des permis et le soutien provincial sur la base de calendriers qui semblent de plus en plus irréalistes. »
Au ministère de l’Énergie à St. John’s, les fonctionnaires maintiennent que les difficultés de l’industrie sont des douleurs de croissance normales. « Les industries émergentes font souvent face à des défis initiaux, » affirme la sous-ministre Elizabeth Whitten. « Nous restons confiants dans le potentiel de l’hydrogène pour Terre-Neuve-et-Labrador. »
Les ambitions en matière d’hydrogène de la province reposent fortement sur la technologie éolien-hydrogène. En utilisant des électrolyseurs alimentés par des parcs éoliens, les entreprises prévoient de diviser les molécules d’eau pour produire de « l’hydrogène vert« —un combustible sans carbone qui peut être comprimé, expédié et utilisé pour alimenter tout, des véhicules aux usines.
Environnement et Changement climatique Canada a identifié l’hydrogène vert comme une composante essentielle de la stratégie nationale de carboneutralité. Un rapport de 2024 de l’Institut climatique du Canada estime que l’hydrogène pourrait contribuer jusqu’à 27 % des réductions d’émissions du Canada d’ici 2050.
Mais la promesse de l’hydrogène reste largement théorique à Terre-Neuve. World Energy GH2, qui n’a pas répondu à mes multiples demandes d’entrevue, a retardé des étapes clés du projet trois fois au cours de l’année dernière. Selon le registre provincial, l’entreprise a également réduit l’envergure de son parc éolien prévu de 30 %.
L’Association canadienne de l’hydrogène et des piles à combustible reconnaît que l’industrie fait face à des obstacles importants. « L’hydrogène vert n’est pas encore économiquement viable sans subventions substantielles, » explique Mark Ryan, directeur des politiques de l’association. « Les projets nécessitent d’énormes capitaux initiaux avec des rendements potentiellement éloignés de plusieurs décennies. »
Cette réalité économique a créé des tensions dans des communautés comme Port au Port, où les résidents ont initialement accueilli favorablement les projets d’hydrogène mais remettent maintenant en question leur viabilité.
Par un mardi pluvieux, je rencontre le Comité de développement économique de la péninsule de Port au Port au restaurant local. La vapeur s’élève des tasses de café tandis que les membres du comité partagent leurs frustrations.
« Nous avons déjà vécu des cycles d’expansion et de récession, » dit la présidente du comité Stella Cornect, une enseignante retraitée. « La différence, c’est que les industries précédentes avaient au moins démarré avant de s’effondrer. »
Les préoccupations du comité vont au-delà de l’économie. Catherine McNeil, une défenseure locale de l’environnement, me montre une épaisse évaluation environnementale sur la table. « Les parcs éoliens nécessaires pour ces projets d’hydrogène seraient parmi les plus grands d’Amérique du Nord. Nous parlons de centaines d’éoliennes réparties sur des territoires sauvages intacts. »
Dr. Brett Favaro, économiste environnemental à l’Université Memorial, affirme que les difficultés de l’industrie mettent en évidence les défis des transitions énergétiques. « Nous demandons aux communautés rurales de supporter les risques de technologies expérimentales alors que les avantages restent spéculatifs, » explique-t-il depuis son bureau à St. John’s. « Il n’est pas surprenant que l’enthousiasme s’estompe. »
Tout le monde n’a pas perdu confiance. À Corner Brook, je visite la petite installation de démonstration opérationnelle d’Atlantic Hydrogen Inc. Contrairement aux projets plus importants, cette opération à échelle modeste a payé ses factures et maintenu le soutien de la communauté.
« La clé est de commencer petit et de prouver le concept, » explique Jennifer Pike, gestionnaire des opérations, en me montrant l’électrolyseur de 2 mégawatts de l’installation. « Certaines entreprises ont promis la lune avant de comprendre les défis uniques de Terre-Neuve—des conditions météorologiques extrêmes aux infrastructures limitées. »
Pike croit que l’hydrogène a toujours un avenir dans la province mais met en garde contre les promesses excessives. « Ce n’est pas une ruée vers l’or. C’est un marathon qui nécessite de la patience et l’adhésion de la communauté. »
Cette perspective trouve un écho chez l’analyste énergétique provincial Michael Collins du Groupe de recherche indépendant sur l’énergie de Terre-Neuve-et-Labrador. « L’industrie de l’hydrogène suit un schéma familier que nous avons vu dans d’autres booms de ressources—l’engouement initial, suivi de rappels à la réalité, puis potentiellement une phase de développement plus durable. »
Collins suggère que la province doit recalibrer son approche. « Plutôt que de poursuivre des projets massifs bénéficiant principalement aux marchés européens, nous devrions nous concentrer sur le développement de capacités d’hydrogène qui servent d’abord les besoins locaux. »
En retournant à St. John’s le long de la côte balayée par les vents, les contrastes sont frappants. Des panneaux publicitaires vantant « L’avenir de l’hydrogène à Terre-Neuve » se dressent à côté d’usines de transformation du poisson fermées—symboles de promesses économiques antérieures qui n’ont pas apporté une prospérité durable.
Pour l’instant, les Terre-Neuviens comme Maggie Thornhill restent prudemment sceptiques. « Nous avons appris à attendre et voir, » me dit-elle alors que nous regardons les bateaux de pêche revenir au port. « Le vent sera toujours là demain, qu’il alimente des usines d’hydrogène ou qu’il pousse simplement nos bateaux vers le rivage. »