Les récents progrès en matière de diversité et d’équité au sein de la fonction publique fédérale canadienne pourraient être compromis par les restrictions budgétaires imminentes, selon des données récemment publiées par le Conseil du Trésor. Le rapport annuel sur la diversité de la main-d’œuvre montre des améliorations modestes mais significatives pour plusieurs groupes sous-représentés, alors même que les ministères se préparent aux examens des dépenses annoncés dans le budget du printemps de la ministre des Finances, Chrystia Freeland.
Le rapport 2024-2025 du Conseil du Trésor sur l’équité en matière d’emploi dans la fonction publique indique que la représentation autochtone dans la fonction publique fédérale a augmenté à 5,7 %, comparativement à 5,2 % l’an dernier. Les femmes occupent maintenant 56,3 % des postes de direction au sein du gouvernement, une augmentation de trois points en cinq ans. Les minorités visibles représentent 21,8 % de la fonction publique fédérale, s’approchant de leur disponibilité de 22,3 % sur le marché du travail canadien.
« Nous avons réalisé des progrès constants vers une fonction publique qui reflète mieux le Canada qu’elle sert, » a déclaré la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, lors d’une conférence de presse à l’édifice Sir John A. Macdonald. « Mais ces gains ne sont pas arrivés par hasard—ils ont nécessité des programmes dédiés, un recrutement ciblé et des stratégies de rétention qui requièrent un soutien continu. »
Le rapport souligne plusieurs initiatives réussies, notamment le Programme de cheminement de carrière pour les Autochtones, qui a placé plus de 450 diplômés autochtones dans des postes permanents, et des programmes de mentorat qui ont contribué à augmenter la représentation des minorités visibles dans les rangs de la direction de 4,2 points de pourcentage depuis 2020.
Ce qui préoccupe toutefois de nombreux fonctionnaires actuels et anciens, c’est la façon dont ces programmes de diversité seront traités dans le cadre des plans gouvernementaux visant à réduire les dépenses de 15,8 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années.
Darlène Burns, récemment retraitée après 28 ans dans la fonction publique et maintenant défenseure des employés autochtones, a exprimé ses inquiétudes lors d’une assemblée publique à Gatineau la semaine dernière. « Ce genre d’initiatives est souvent le premier à disparaître quand vient le temps de serrer la ceinture, » m’a-t-elle confié, devant une salle remplie de collègues qui hochaient la tête. « Et les progrès que nous avons réalisés peuvent rapidement s’inverser. »
Ses préoccupations ne sont pas sans fondement. Lors des précédentes périodes de restrictions, les programmes de diversité ont subi des coupes disproportionnées. À la suite du Plan d’action pour la réduction du déficit de 2012, les taux de représentation des personnes handicapées ont diminué pendant trois années consécutives, selon les données de la Commission de la fonction publique.
Le Réseau des employés noirs, qui représente des milliers de fonctionnaires noirs, a déjà soulevé des inquiétudes quant à l’impact des contraintes budgétaires sur leur communauté. « Quand on demande aux ministères de faire plus avec moins, le ‘plus’ inclut rarement le travail d’équité, » a déclaré Marcus Jean, porte-parole du réseau.
Jean souligne des préoccupations précises concernant l’impact des réductions de financement sur le Centre sur la diversité et l’inclusion récemment établi, qui coordonne les initiatives antiracistes dans tous les ministères. Le Centre a reçu un financement initial de 12 millions de dollars lors de son lancement en 2020, mais son mandat doit être renouvelé cette année fiscale.
Certains hauts fonctionnaires insistent sur le fait que la diversité ne sera pas sacrifiée. Le sous-ministre de Services publics et Approvisionnement Canada, Paul Thompson, a déclaré à un comité parlementaire le mois dernier que « les initiatives d’équité demeureront une priorité même si nous identifions des gains d’efficacité. »
Mais les chiffres racontent une histoire plus complexe. Selon les documents budgétaires, les ministères ont reçu l’instruction d’absorber environ 600 millions de dollars d’augmentations salariales sans financement supplémentaire, créant une pression pour réduire les effectifs par attrition.
« La réalité est que lorsque les gels d’embauche prennent effet, ce sont les employés plus récents qui sont les plus vulnérables—et beaucoup de ces nouvelles embauches sont venues par le biais d’initiatives de diversité, » explique Dre Melissa Williams, professeure d’administration publique à l’Université Carleton.
Les recherches de Williams montrent que, lors des cycles précédents de restrictions gouvernementales, les gains en matière de diversité de la main-d’œuvre ont pris environ trois fois plus de temps à reconstruire qu’à démanteler.
Le défi auquel fait face la fonction publique ne concerne pas seulement les chiffres bruts. De nombreux groupes en quête d’équité signalent des obstacles persistants à l’avancement. Le dernier Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux a révélé que 19 % des répondants issus de minorités visibles et 22 % des personnes handicapées ont déclaré avoir subi de la discrimination au travail—un taux nettement supérieur à la moyenne de 12 %.
« La représentation n’est que le point de départ, » affirme Yasmine Ahmed, directrice générale de l’Institut canadien pour la diversité et l’inclusion. « La vraie mesure est de savoir si ces employés restent, se sentent valorisés et ont des possibilités d’avancement. Cela nécessite un investissement continu dans la culture du milieu de travail. »
Certains ministères ont trouvé des approches créatives pour maintenir l’élan malgré les contraintes fiscales. Environnement et Changement climatique Canada a intégré des exigences en matière d’équité dans les évaluations de rendement régulières des gestionnaires. L’Agence du revenu du Canada a redistribué les responsabilités de mentorat à l’ensemble de son cadre de direction plutôt que de s’appuyer sur des postes dédiés.
Les fonctions publiques provinciales, qui ont fait face à des pressions similaires, pourraient offrir des leçons. La fonction publique de l’Ontario a maintenu la plupart des initiatives de diversité lors de son exercice d’efficacité de 2019 en en faisant des responsabilités fondamentales plutôt que des programmes distincts.
Les responsables du Conseil du Trésor notent que les changements démographiques font des initiatives de diversité non seulement une question de justice sociale, mais aussi une nécessité opérationnelle. Avec près de 40 % des fonctionnaires admissibles à la retraite au cours de la prochaine décennie, les ministères doivent puiser dans les bassins de talents les plus larges possibles pour les remplacer.
« À bien des égards, il s’agit de préparer la fonction publique pour l’avenir, » a déclaré Anand. « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre notre élan si nous voulons une main-d’œuvre équipée pour relever des défis de plus en plus complexes. »
Pour Daniel Shapiro, qui a rejoint la fonction publique grâce à un programme de recrutement axé sur l’accessibilité il y a deux ans, le débat est personnel. « J’ai enfin trouvé un lieu de travail où mes compétences sont plus valorisées que mon handicap, » m’a confié l’analyste des politiques lors d’une pause pendant l’événement de la Semaine nationale de l’accessibilité la semaine dernière. « Mais je suis encore sous contrat à durée déterminée, pas permanent. Les compressions budgétaires me font me demander si je pourrai rester. »
Alors que les parlementaires se préparent à examiner les plans de dépenses ministériels cet automne, la question demeure de savoir si la fonction publique canadienne peut maintenir son élan en matière de diversité tout en naviguant dans un contexte de restrictions fiscales—ou si les compressions budgétaires affecteront de manière disproportionnée ceux qui n’ont que récemment trouvé leur place dans les couloirs du gouvernement.