La trajectoire des taux de la banque centrale demeure floue alors que les prévisions des économistes sont partagées entre des réductions agressives et une approche plus prudente. Qu’est-ce qui alimente cette incertitude et à quoi les Canadiens devraient-ils se préparer?
Lorsque le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a annoncé sa première baisse de taux en juin, mettant fin à près d’un an de statu quo à 5%, de nombreux Canadiens ont poussé un soupir de soulagement collectif. Ce virage tant attendu laissait croire que nous avions tourné la page sur l’inflation après le cycle de resserrement le plus agressif depuis une génération. Pourtant, plusieurs mois plus tard, les économistes ne semblent pas s’entendre sur la suite des événements.
TD Économie prévoit une autre réduction de 100 points de base d’ici le milieu de 2025. RBC croit que nous obtiendrons un assouplissement de 75 points de base d’ici le printemps. Pendant ce temps, Desjardins anticipe un total de 225 points de base de réductions d’ici la fin de l’année prochaine. Ces variations ne sont pas mineures—elles représentent des visions fondamentalement différentes de l’avenir de notre économie.
« La divergence dans les prévisions reflète une véritable incertitude, pas simplement des différences d’analyse, » explique Avery Shenfeld, économiste en chef chez CIBC Marchés des capitaux. « Nous naviguons en eaux inconnues avec des signaux contradictoires provenant du marché du travail, des dépenses de consommation et des indicateurs d’inflation. »
Cette incertitude découle du portrait économique complexe du Canada. L’inflation de juillet s’est maintenue à 2,9%—toujours au-dessus de la cible de 2% de la Banque, alors que le marché du travail s’est considérablement affaibli, le chômage grimpant à 6,4% en août. Cela crée une tension entre le mandat d’inflation de la Banque et les préoccupations croissantes concernant la fragilité économique.
À cette complexité s’ajoute la situation du consommateur canadien. Les ratios du service de la dette des ménages ont atteint des niveaux record, mais les dépenses de détail ont fait preuve d’une résilience surprenante dans certains secteurs. Cela rend extraordinairement difficile la prédiction de l’impact des hausses de taux précédentes.
« Environ 60% des prêts hypothécaires à taux fixe devront être renouvelés à des taux considérablement plus élevés d’ici 2025, » note Benjamin Tal, économiste en chef adjoint à la CIBC. « L’impact complet des hausses précédentes de la Banque se fait encore sentir dans le système. »
Le marché immobilier offre une autre perspective sur cette incertitude. Les ventes nationales de maisons ont augmenté de 2,1% en juillet selon l’Association canadienne de l’immobilier, mais les prix restent inférieurs de 3,9% aux niveaux de l’année dernière. Les professionnels de l’immobilier signalent un intérêt accru des acheteurs suite à la baisse des taux en juin, suggérant qu’une demande refoulée pourrait se libérer avec de nouveaux assouplissements.
« La première baisse est toujours la plus difficile pour les banques centrales, » affirme Royce Mendes, directeur général et chef de la stratégie macro chez Desjardins. « La Banque du Canada a maintenant franchi ce seuil psychologique, ce qui rend généralement les réductions subséquentes plus faciles à justifier—à condition que l’inflation continue de se modérer. »
Ce qui rend ce cycle particulièrement difficile à prévoir est le contexte mondial. La Réserve fédérale américaine a effectué une réduction surdimensionnée de 50 points de base en septembre, créant une pression sur la Banque du Canada pour qu’elle emboîte le pas afin d’éviter une appréciation indésirable du dollar canadien. Pourtant, les conditions économiques nationales ne justifient pas nécessairement de suivre le rythme de la Fed.
« Le gouverneur Macklem fait face à un exercice d’équilibre délicat, » explique Beata Caranci, économiste en chef du Groupe Banque TD. « Réduire trop lentement risque d’engendrer des difficultés économiques inutiles. Réduire trop rapidement pourrait raviver l’inflation ou la spéculation immobilière. »
La Banque du Canada elle-même a maintenu une position dépendante des données, offrant peu de signaux concrets sur ses intentions. Dans sa décision de politique de septembre, la Banque a noté que « l’offre excédentaire exerce une pression à la baisse sur l’inflation, » mais a également souligné que « le conseil de direction veut voir des progrès continus dans l’assouplissement de l’inflation sous-jacente. »
Ce langage mesuré laisse place à diverses interprétations. Certains économistes lisent entre les lignes pour y voir une banque centrale se préparant à un assouplissement accéléré; d’autres y voient une institution prudente préoccupée par la persistance de l’inflation.
Pour les Canadiens ordinaires, ces prévisions divergentes se traduisent par une planification financière difficile. Les acheteurs de maisons se demandent s’ils doivent bloquer les taux actuels ou parier sur d’autres baisses. Les propriétaires d’entreprises doivent décider s’ils doivent se développer maintenant ou attendre des coûts d’emprunt potentiellement plus bas. Les épargnants sont confrontés à l’incertitude quant aux rendements futurs de leurs investissements.
Malgré leurs prévisions divergentes, le consensus parmi les économistes est que les taux tendront à la baisse au cours des 18 prochains mois. Le débat porte sur le rythme et l’ampleur, non sur la direction. La plupart voient le taux directeur de la Banque se stabiliser entre 2,5% et 3,5% d’ici la fin de 2025—nettement inférieur aux 4,5% actuels.
Pour une économie sensible au logement comme celle du Canada, même cet accord général offre certaines orientations. L’ère des taux d’intérêt d’urgence est probablement derrière nous, mais le chemin vers la normalisation reste tout sauf simple.
Comme l’a récemment plaisanté un économiste de Bay Street en prenant un café: « Si vous cherchez des certitudes dans l’économie d’aujourd’hui, vous êtes dans le mauvais domaine. » C’est peut-être la prévision la plus honnête de toutes.