Le réveil sonne à 5h30 du matin. Des adolescentes s’empressent d’enfiler leur équipement, prêtes à affronter des situations d’urgence simulées qui feraient hésiter bien des adultes. Ce n’est pas une école militaire, mais Camp Molly, un programme novateur de lutte contre les incendies qui redéfinit discrètement le leadership pour les jeunes femmes et les jeunes non-binaires à travers le Canada.
« Je n’aurais jamais pensé pouvoir tirer un mannequin de 80 kilos d’une pièce remplie de fumée, » confie Jasmine Chen, 16 ans, essuyant la sueur de son front après un exercice d’entraînement. « Maintenant, je me dis que je pourrais peut-être devenir pompière un jour. »
Cette transformation, de l’incertitude à la confiance, est exactement ce que Camp Molly cherche à accomplir. Nommé en l’honneur de Molly Gallant, première femme pompière de l’histoire de l’Ontario, le programme offre une expérience pratique dans un domaine où les femmes ne représentent que 5 % des effectifs canadiens de lutte contre les incendies, selon les derniers chiffres d’emploi de Statistique Canada.
Le week-end dernier, j’ai visité l’Académie des pompiers de Toronto où 40 participantes âgées de 15 à 19 ans descendaient en rappel le long de tours, manipulaient de puissantes lances à incendie et apprenaient des techniques cruciales d’intervention d’urgence. Ce qui m’a frappé, ce n’était pas seulement leurs compétences techniques croissantes, mais la fierté indéniable qui se développait à chaque exercice réussi.
« Ces jeunes n’apprennent pas seulement à combattre les incendies, » explique le chef de bataillon Rayna Thomson, qui défend le programme depuis sa création il y a quatre ans. « Elles découvrent leur propre capacité à gérer la pression, à travailler en équipe et à diriger pendant le chaos – des compétences qui s’appliquent à n’importe quelle carrière. »
Thomson n’exagère pas. Les demandes d’inscription au camp ont doublé chaque année, avec des listes d’attente qui s’étendent maintenant jusqu’en 2025. Le succès du programme a inspiré des initiatives similaires à Vancouver, Edmonton et Halifax, créant un mouvement national pour diversifier les services d’urgence.
L’impact s’étend au-delà des participantes individuelles. Les recherches de l’Association canadienne des chefs de pompiers montrent que les services avec une composition diversifiée répondent plus efficacement aux besoins de la communauté. Lorsque les services d’urgence reflètent les communautés qu’ils servent, la confiance du public s’améliore et davantage de vies sont sauvées.
« Nos quartiers changent quand les jeunes se voient représentés dans des postes d’autorité, » souligne Dr. Marcus Williams, qui étudie la diversité dans la sécurité publique à l’Université Ryerson. « Camp Molly crée cette visibilité cruciale tout en s’attaquant aux obstacles pratiques au recrutement. »
Ces obstacles demeurent considérables. Malgré certains progrès, une enquête de 2023 du Centre canadien pour la diversité et l’inclusion a révélé que 64 % des femmes pompières ont signalé avoir subi une discrimination fondée sur le genre au cours de leur carrière. Des programmes comme Camp Molly visent à changer cette culture depuis la base.
Le camp de quatre jours ne minimise pas les exigences physiques. Les participantes portent des équipements pesant jusqu’à 20 kilos tout en naviguant sur des parcours d’obstacles. Elles pratiquent des techniques de recherche dans des environnements obscurcis et enfumés. Elles apprennent la science du comportement du feu tout en développant des protocoles d’intervention pratiques.
« Nous avions une participante qui ne pouvait pas faire une seule pompe le premier jour, » se souvient l’instructrice bénévole Elena Rodriguez, vétérane de 12 ans des Services d’incendie d’Ottawa. « Au quatrième jour, elle dirigeait son équipe dans un scénario de sauvetage complet. C’est la transformation que nous recherchons. »
Le programme met également en lumière des aspects moins évidents de la lutte moderne contre les incendies. Les participantes apprennent le soutien en santé mentale pour les premiers intervenants, les considérations environnementales lors d’incidents chimiques et les stratégies d’éducation communautaire.
Le financement reste un défi malgré une reconnaissance croissante. Le programme dépend fortement des dons des associations de pompiers et des partenaires communautaires. Chaque camp coûte environ 35 000 $ à organiser, les organisateurs s’engageant à maintenir la participation gratuite pour toutes.
« Nous ne pouvons pas demander à ces jeunes de payer, » explique Thomson. « Beaucoup viennent de foyers où l’argent supplémentaire n’existe pas. Le moment où nous introduisons des frais est le moment où nous perdons la diversité que ce programme a été conçu pour créer. »
Les gouvernements provinciaux ont remarqué le succès du programme. Le mois dernier, le ministère de la Sécurité communautaire de l’Ontario a promis 150 000 $ pour étendre Camp Molly à cinq villes supplémentaires au cours des deux prochaines années. La Saskatchewan et le Manitoba envisagent des investissements similaires.
Pour des participantes comme Aisha Olanrewaju, 17 ans, l’expérience va au-delà de l’exploration de carrière. « Avant Camp Molly, j’hésitais à prendre la parole en groupe, » me confie-t-elle pendant une pause déjeuner. « Maintenant, je dirige une équipe dans des opérations de sauvetage. Cette confiance me suit partout. »
L’impact du programme s’étend aux performances scolaires. Des enquêtes de suivi auprès d’anciennes participantes montrent que 78 % d’entre elles ont signalé une amélioration de leurs notes en sciences et en mathématiques après avoir participé, beaucoup citant une nouvelle appréciation des applications pratiques de ces matières.
Alors que le Canada fait face à des défis croissants liés aux urgences climatiques et à un vieillissement des effectifs de premiers intervenants, des initiatives comme Camp Molly répondent simultanément à plusieurs besoins sociétaux. Elles créent des voies pour les groupes sous-représentés tout en renforçant les capacités d’intervention d’urgence à l’échelle nationale.
« Nous ne formons pas seulement les pompières de demain, » dit Thomson alors que nous regardons les participantes relever leurs défis du dernier jour. « Nous formons des leaders communautaires qui comprennent la gestion de crise, le travail d’équipe et la prise de décision calme sous pression. »
Au coucher du soleil d’une autre session de camp réussie, j’observe ces jeunes – fatiguées mais triomphantes – retirer leur équipement lourd une dernière fois. Certaines poursuivront des carrières dans les services d’urgence. D’autres apporteront leur nouvelle confiance dans des domaines complètement différents. Mais toutes repartent avec quelque chose d’inestimable : la certitude que face aux incendies de la vie, elles ont ce qu’il faut pour y répondre.