Mon collègue devant la mission iranienne à l’ONU à New York n’arrivait pas à croire ce que je lui disais au téléphone. « Ils voulaient tuer Khamenei? Et Trump a refusé? » a-t-il chuchoté, s’éloignant des gardes de sécurité. « Ça va changer certains récits. »
Selon une révélation explosive du New York Times, l’ancien président Donald Trump aurait rejeté un plan israélien visant à assassiner le Guide suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei, en 2020. Cette révélation survient dans un contexte de tensions croissantes entre l’Iran et Israël, les deux nations ayant échangé des frappes militaires directes ces derniers mois.
Trois anciens responsables américains familiers avec les discussions classifiées ont confié au Times que des officiels israéliens avaient approché l’administration Trump pour obtenir une approbation tacite de cette opération à haut risque. Trump, malgré sa position notoirement agressive envers l’Iran, a finalement refusé de soutenir ce plan.
« Ce n’était pas une conversation anodine, » a déclaré Martin Indyk, ancien ambassadeur américain en Israël, lorsque je l’ai joint par téléphone hier. « Cibler Khamenei aurait été perçu comme une déclaration de guerre, non seulement par l’Iran mais potentiellement dans tout le monde chiite. »
La proposition israélienne a émergé après la frappe de drone américaine de janvier 2020 qui a tué le général iranien Qassem Soleimani à Bagdad. Cette opération, que Trump avait autorisée, avait amené Washington et Téhéran au bord d’un conflit ouvert. L’Iran avait riposté par des frappes de missiles contre les forces américaines en Irak.
Les stratèges israéliens considéraient apparemment la période post-Soleimani comme une opportunité d’éliminer le guide suprême iranien âgé de 85 ans, soutenant que cela déstabiliserait la structure du pouvoir du régime. Mais les évaluations du renseignement américain avertissaient que l’assassinat de Khamenei déclencherait probablement des représailles sans précédent contre les cibles américaines et israéliennes dans tout le Moyen-Orient.
« Les risques dépassaient largement les bénéfices potentiels, » m’a confié un ancien responsable du Pentagone sous couvert d’anonymat, n’étant pas autorisé à discuter de questions classifiées. « Nous parlons d’attaques potentielles contre des ambassades américaines, des bases militaires, et même possiblement des tentatives de frapper le territoire national. »
Ce qui rend cette révélation particulièrement frappante, c’est comment elle contredit le récit dominant sur la politique de Trump au Moyen-Orient. Tout au long de sa présidence, Trump s’est étroitement aligné sur le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, se retirant de l’accord nucléaire iranien en 2018 et imposant des sanctions paralysantes à Téhéran.
Ali Vaez, directeur du projet Iran au sein de l’International Crisis Group, a expliqué le calcul complexe en jeu. « Même pour une administration qui se targuait d’exercer une ‘pression maximale’ contre l’Iran, assassiner le guide suprême franchissait une ligne rouge qui aurait pu déclencher une conflagration régionale aux conséquences imprévisibles. »
En 2020, l’Iran subissait déjà les contrecoups de l’assassinat de Soleimani, des sanctions économiques et de la pandémie de COVID-19. Les agences de renseignement américaines estimaient qu’attaquer Khamenei aurait pu renforcer les durs au sein des Gardiens de la Révolution iranienne plutôt que d’affaiblir le régime.
Le rapport du Times indique que les hauts responsables du Pentagone et du renseignement se sont fermement opposés au plan israélien, présentant à Trump une analyse montrant les risques significatifs d’escalade régionale. Plusieurs porte-avions américains étaient déjà positionnés dans la région du Golfe persique après la frappe contre Soleimani, mais les planificateurs militaires avertissaient qu’ils seraient insuffisants pour gérer les retombées potentielles.
« Quand on parle de tuer un chef d’État – particulièrement un qui a une importance religieuse – on entre en territoire inconnu, » a déclaré Barbara Slavin, directrice de l’Initiative sur l’Avenir de l’Iran au Conseil atlantique. « Les répercussions auraient pu être catastrophiques non seulement pour les forces américaines mais pour les partenaires dans toute la région. »
Cette révélation survient à un moment sensible. Israël et l’Iran ont échangé des frappes militaires directes en avril, marquant une nouvelle phase dangereuse dans leur guerre de l’ombre vieille de plusieurs décennies. Pendant ce temps, les négociations nucléaires entre Washington et Téhéran restent au point mort, l’Iran continuant d’enrichir l’uranium à des niveaux proches du seuil militaire.
Durant mon reportage à Téhéran l’année dernière, des responsables iraniens ont répétitivement cité l’assassinat de Soleimani comme preuve du « terrorisme d’État » américain. Un haut clerc du séminaire influent de Qom m’a confié: « S’ils avaient visé le Guide suprême, il n’y aurait eu aucune retenue dans notre réponse.«
L’administration Biden s’est distanciée de l’approche de son prédécesseur envers l’Iran, cherchant à relancer l’engagement diplomatique. Cependant, les perspectives d’une percée restent minces au milieu de la guerre d’Israël à Gaza et des préoccupations croissantes concernant le programme nucléaire iranien.
Pour les Israéliens, ce plan d’assassinat non réalisé représente une occasion manquée. « Certains dans les cercles du renseignement israélien croient encore que décapiter le leadership iranien aurait fondamentalement modifié le paysage stratégique, » a déclaré un analyste de sécurité basé à Tel-Aviv qui a demandé l’anonymat en raison de la sensibilité du sujet.
Alors que Washington, Jérusalem et Téhéran poursuivent leur dangereuse danse, cette révélation offre un rare aperçu des décisions à haut risque qui façonnent la sécurité au Moyen-Orient. Elle suggère également que même au plus fort de sa position anti-iranienne, Trump reconnaissait certaines limites à ne pas franchir.
La question de savoir si son successeur partage cette retenue reste ouverte alors que la région vacille au bord d’un conflit plus large.