Les salles de réunion du sommet du G7 en Sicile vibrent d’un mélange de tension et d’anticipation nerveuse alors que le Premier ministre canadien Mark Carney se prépare à sa première rencontre en face-à-face avec l’ancien président Donald Trump depuis la victoire électorale de Carney en février dernier. Cette danse diplomatique à haut risque arrive à un moment crucial pour les relations transatlantiques, avec le spectre des différends commerciaux et des divergences sur la politique climatique qui plane au-dessus de la Méditerranée.
« Nous entrons dans une ère où les relations personnelles entre dirigeants comptent davantage que les cadres institutionnels, » explique Dominique Moisi, membre fondateur de l’Institut français des relations internationales, avec qui je me suis entretenu hier alors que les délégations arrivaient à la station balnéaire. « Pour Carney, établir un rapport de travail avec Trump pourrait déterminer la trajectoire économique du Canada pour les années à venir. »
Le contraste ne pourrait être plus frappant. Carney, l’ancien banquier central avec son approche technocratique de la gouvernance, se distingue nettement du populisme « America First » de Trump. Bien que les deux dirigeants partagent des antécédents dans les affaires et la finance, leurs visions du développement économique et de la coopération internationale divergent radicalement.
Des responsables canadiens, s’exprimant sous couvert d’anonymat, révèlent que l’ordre du jour de la réunion se concentre sur trois dossiers litigieux: la renégociation de la coopération sur les minéraux critiques, les engagements en matière de dépenses de défense de l’OTAN, et l’épineuse question de la souveraineté dans l’Arctique qui s’est intensifiée avec l’ouverture des voies maritimes due à la fonte accélérée des glaces.
« Le Premier ministre est pleinement préparé à protéger les intérêts canadiens tout en trouvant des domaines de coopération pragmatique, » a déclaré la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly lors d’un point presse à l’ambassade du Canada à Rome hier. Ce langage diplomatique mesuré dissimule à peine l’anxiété qui imprègne les cercles politiques canadiens.
De ma position dans l’espace réservé à la presse surplombant le lieu du sommet, je peux observer la chorégraphie minutieuse des équipes avancées qui préparent les réunions qui façonneront les relations nord-américaines. Les responsables canadiens se précipitent entre les salles de réunion avec des dossiers d’information, tandis que leurs homologues américains maintiennent une présence plus décontractée, reflétant peut-être le déséquilibre de pouvoir entre les voisins.
Les données de Statistique Canada montrent la vulnérabilité de cette relation – 75% des exportations canadiennes sont toujours destinées aux États-Unis, malgré des années d’efforts de diversification. Les tensions commerciales du gouvernement Trudeau avec Trump 1.0 ont coûté à l’économie canadienne environ 3,2 milliards de dollars selon des recherches de l’Institut C.D. Howe, une blessure encore fraîche dans l’esprit des fabricants canadiens.
« Carney comprend l’interdépendance économique mieux que la plupart, » affirme Laura Dawson, ancienne directrice de l’Institut canadien du Wilson Center, que j’ai jointe par téléphone depuis Washington. « Son expérience à la Banque d’Angleterre et à la Banque du Canada lui confère une crédibilité unique sur les questions économiques internationales, mais Trump respecte le pouvoir plus que l’expertise. »
Le sommet intervient dans un contexte d’alliances économiques mondiales en mutation. Les récentes Perspectives de l’économie mondiale du Fonds monétaire international soulignent la fragmentation croissante du commerce mondial, avec des blocs régionaux qui se renforcent au détriment de la coopération multilatérale. Le Canada se retrouve pris entre son partenariat traditionnel américain et l’expansion de ses liens économiques avec l’Europe et l’Indo-Pacifique.
En me promenant hier dans le village côtier adjacent au sommet, j’ai rencontré de petits groupes de manifestants brandissant des pancartes condamnant les « criminels climatiques » – une référence au soutien des deux dirigeants au développement des combustibles fossiles. Les références environnementales de Carney, autrefois solides pendant son mandat d’Envoyé spécial des Nations Unies pour l’action climatique et le financement, ont été mises à l’épreuve par l’approbation par son gouvernement de nouveaux terminaux GNL en Colombie-Britannique.
Le retrait de Trump de l’Accord de Paris sur le climat durant son premier mandat, et ses promesses d’expansion de la production pétrolière et gazière américaine pendant la campagne, créent un contexte inconfortable pour les discussions sur la coopération environnementale. Pourtant, des sources diplomatiques suggèrent que les deux dirigeants voient des opportunités de collaboration dans l’expansion de l’énergie nucléaire et le développement des minéraux critiques.
« Nous assistons à une refonte fondamentale de l’ordre international, » explique Antonio Garza, ancien ambassadeur américain au Mexique, présent en Sicile pour des discussions d’affaires parallèles. « La capacité du Canada à naviguer dans ces eaux dépend de l’aptitude de Carney à parler le langage de Trump sans sacrifier la souveraineté canadienne. »
La rencontre se déroule dans un contexte d’anxiété européenne concernant l’engagement américain envers l’OTAN. Les critiques antérieures de Trump à l’égard des dépenses de défense des alliés se sont accentuées depuis sa victoire électorale, avec des demandes spécifiques pour que le Canada double son budget militaire afin d’atteindre l’objectif de 2% du PIB. Le gouvernement de Carney s’est engagé à des augmentations progressives mais fait face à des contraintes budgétaires après avoir hérité de déficits substantiels de l’ère Trudeau.
Au-delà des dynamiques bilatérales, ce Sommet du G7 marque le premier test majeur du leadership international de Carney. Le Premier ministre est arrivé avec des propositions ambitieuses pour une réforme financière mondiale s’appuyant sur son expérience de banquier central, mais celles-ci risquent d’être éclipsées par l’urgence de gérer la relation canado-américaine.
« Chaque dirigeant canadien finit par faire face à ce moment de vérité avec un homologue américain, » note Stephen Clarkson, économiste politique à l’Université de Toronto. « Ce qui rend cette rencontre unique, c’est que les deux dirigeants comprennent les marchés financiers d’une manière que leurs prédécesseurs ne saisissaient souvent pas. »
Les enjeux vont au-delà des relations bilatérales. Avec le récent virage politique à gauche du Mexique sous la présidente Claudia Sheinbaum, l’intégration économique nord-américaine fait face à son plus grand défi depuis la création de l’ALENA. Les responsables canadiens espèrent que Carney pourra positionner le pays comme une force stabilisatrice sur le continent.
Alors que les délégations entament aujourd’hui les sessions formelles, la chimie personnelle entre Carney et Trump sera scrutée tant par les diplomates que par les marchés. Leur capacité à forger un partenariat pragmatique malgré les différences idéologiques pourrait déterminer non seulement l’avenir économique du Canada, mais aussi la résilience de l’ordre international fondé sur des règles que le G7 et le Canada défendent depuis des décennies.